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La non-ouverture des stations de ski vécue comme « un sacrifice incompréhensible »

Par Jérôme Bois • Publié le 25/11/20

Les annonces d’Emmanuel Macron, mardi 24 novembre, ont laissé, mine de rien, beaucoup de monde sur le carreau. Si les commerçants entrevoient la lumière du jour, bars, restaurants, discothèques et salles de sports restent dans l’ombre. Mais c’est peu, comparé au sentiment de trahison qui domine chez les professionnels du tourisme de montagne. Car si Jean Castex avait promis des réponses sous dizaine, après moult réunions harassantes mais positives avec les élus locaux, les professionnels et les acteurs en général du tourisme de montagne, le président a pris tout son monde de court.

@Laurent Sarenne, France Montagnes
« Une trahison totale, il nous a littéralement sacrifiés » , s’est indignée Emilie Bonnivard. La députée de la 3e circonscription de Savoie y croyait pourtant dur comme fer, rejointe dans son euphorie par Vincent Rolland, député de la 2e circonscription : « Nous comptons sur la poursuite de l’amélioration de la situation sanitaire pour que le gouvernement prenne la décision appropriée, conforme à la préservation de la santé et des personnels médicaux ainsi qu’à l’activité économique du territoire » , écrivait-il le 23 novembre. « D’ores et déjà les protocoles sanitaires ont été transmis à la cellule interministérielle de crise et le département de la Savoie s’est doté de plusieurs centaines de milliers de tests antigéniques pour tester rapidement ». Au début du mois, France Montagnes s’était déjà fendu d’un communiqué, afin d’annoncer en grandes pompes que tous les voyants seraient au vert pour la fin du confinement : « Nous travaillons sur la base de la connaissance de nos clients, de l’expérience de la gestion du parcours client et de la parfaite maîtrise de nos territoires pour ouvrir l’ensemble des stations de ski françaises » , déclarait le président de France Montagnes et de l’association nationale des maires de stations de montagne (ANMSM), Jean-Luc Boch, le 2 novembre. « Les efforts mutuels » allaient payer, pensait-on, alors qu’en Savoie, 51% du PIB est généré par l’économie de la montagne.Et puis boum ! Stupéfaction. « J’ai interrogé le gouvernement hier (le 23 novembre) » , expliquait Emilie Bonnivard, « ça ne sentait pas bon » et ce en dépit des nombreuses heures de travail pour que tout soit prêt, on y reviendra. « J’ai trouvé étonnant le malaise affiché par Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’Etat en charge du tourisme, lorsqu’il a répondu à ma question sur la réouverture des stations. Il était mal à l’aise ». Bien vu, ce malaise annonçait déjà la déclaration du 24 au soir. « Il savait ce que le président allait dire » , poursuit la députée. Vincent Rolland n’en dira pas moins : « Encore hier le Premier ministre nous indiquait qu’une décision serait prise dans une dizaine de jours en concertation avec les socio-professionnels et les élus de la montagne. Je suis très déçu d’avoir été concerté pour que cette décision incompréhensible et précipitée soit arrêtée par le président. Elle va plonger des dizaines de milliers de professionnels dans d’immenses difficultés. C’est bien évidemment à eux que je pense ». Emmanuel Macron, dans son allocution, douchait définitivement les espoirs d’ouverture pour Noël, laissant présager, au mieux, une éclaircie pour fin janvier.

Xavier Dullin dénonce « un bras d’honneur adressé aux montagnards »

Et pourtant, cela sentait si bon… « J’ai participé aux réunions de préparation de la saison d’hiver avec les domaines skiables, France Montagnes, les présidents des départements d’Isère, de Savoie et de Haute-Savoie, avec le syndicat national des moniteurs et tous les acteurs socio-économiques de la montagne, tout avait été anticipé, nous avons fait un gros travail auprès des hôpitaux et de l’agence régionale de la santé, les discussions étaient en cours… Et là, Emmanuel Macron vient nous couper l’herbe sous le pied ». Xavier Dullin, conseiller régional, en avait gros, ce mercredi matin, c’est peu de le dire. « Il méconnaît totalement ce milieu de la montagne, c’est même un bras d’honneur adressé aux montagnards ». « Les stations sont toutes dotées de centre de test, de référents Covid, nous avons travaillé sur l’isolement des personnes malades et les jauges maximales… ça avançait. Avec les hôpitaux, nous avons envisagé une réouverture sachant qu’il n’y aura pas trop de monde en station » et donc pas trop de patients à traiter en cas d’accident, soupire Emilie Bonnivard. Suite à quoi Jean Castex, premier ministre, avait promis, après s’être montré très ouvert aux préconisations des socio-professionnels et des élus, de trancher dans les dix jours. « C’est un sacrifice incompréhensible » , s’étrangle-t-elle. Alors certes, Emmanuel Macron a laissé entrevoir la perspective du 20 janvier pour une réouverture sous conditions « avec l’éventualité que nous subissions un nouveau pic à cette date lié aux vacances de Noël » , insiste Emilie Bonnivard. « Mais clairement, le pire n’est pas à craindre à cette date, il est à craindre maintenant ! Il ne faut pas se projeter à février ! »

« Ouvrir en février serait déjà extraordinaire »

Nicolas Rubin, maire de Châtel, en Haute-Savoie, dénonce, lui « une négligence et un manque de considération » de la part du chef de l’Etat. « Il fallait nous adapter à la crise, la réunion du 23 novembre avec le premier ministre devait permettre de mettre tout le monde autour de la table… et Macron a fait fondre la neige sous nos pieds. On se base sur des chiffres indiquant que les hôpitaux ne pourront pas gérer de nouveaux patients. Or, ce n’est pas la pandémie qui rend la France malade, c’est la France qui est malade de ses hôpitaux. On nous dit qu’il y aura moins 30 à moins 50% de clientèle étrangère mais nous savions qu’il s’agirait d’une saison anormale ! On prend des chiffres comme ça nous arrange et voilà ! » A la question de savoir si les stations pourraient survivre à une année blanche, le maire de Châtel balaie le pire : « On peut survivre à tout, le problème vient de ceux qui vivent des investissements de la montagne ». « Tous les investissements que les sociétés d’exploitation avaient prévus au budget 2021 doivent être repoussés » , signale Xavier Dullin, « les grandes entreprises du secteur de l’aménagement de la montagne possèdent 60% du marché français ! » Ce château de cartes est aussi constitué par les hôtels, bars et restaurants, « perturbés par l’incertitude » témoigne Slobodan Merdovic, restaurateur à la Féclaz. « Si à titre individuel j’ai anticipé, financièrement, collectivement, le ressenti est qu’on nous a laissé croire que les stations ouvriraient et que l’on pourrait faire de la vente à emporter ». Il tente de positiver, « si l’on ouvre en février, ce serait déjà extraordinaire ». Le 15 novembre, Elisabeth Borne, ministre du travail, avait appelé les professionnels à faire appel aux saisonniers, comme ils l’auraient fait dans des circonstances normales : « J‘ai voulu rassurer les professionnels du secteur, leur dire qu’on est en train de regarder comment on peut leur donner une assurance, pour qu’ils recrutent les saisonniers. Ils pourront bénéficier, si nécessaire, d’activités partielles » , avait-elle déclaré ce jour-là. « On a embauché », souffle Slobodan Merdovic, « ce que nous n’avions pas fait cet été et ce qui nous a pas mal paralysé car nous avions manqué de main-d’œuvre » alors qu’affluaient les vacanciers. Certes, ils seront pris en charge mais cette déclaration trahissait un optimisme presque total.

« Fermer les stations ne signifie pas fermer la montagne »

Alors un espoir subsistait, en la personne de Patrick Mignola, député de la 4e circonscription, qui s’était engagé, au lendemain de l’annonce présidentielle, à rencontrer le premier ministre. « Nous avons tous été saisis, hier soir (mardi), c’est compréhensible sur le fond mais à nos yeux, cette déclaration était précipitée. Nous voulions nous laisser le temps d’évaluer la situation sanitaire nationale et hospitalière locale. S’il était impossible d’ouvrir, alors nous demandions un travail sur les dispositifs d’accompagnement ». Surpris, le chef de file des MoDem à l’Assemblée nationale, mais soucieux de ne prendre aucun risque sanitaire superflu. « Je saurai peut-être comment cette annonce a été décidée et faite, car notre souhait était d’avoir du temps » , ces 10 jours accordés par Jean Castex. Et le travail de titan fourni par les socio-pros n’a pas été « suffisant pour les accorder. Maintenant, l’important est de redonner de la confiance à ce milieu ». Pour commencer, le député a demandé des éclaircissements à Jean Castex, « pour sortir d’une confusion le plus rapidement possible. Si les stations sont fermées, les montagnes ne le sont pas. Les remontées, oui, mais pas les montagnes. J’ai souhaité que ce soit précisé ». Il fait ainsi référence aux activités de plein air type ski de randonnées, ski de fond, raquettes, randonnées, fil neige… Par ailleurs, compte tenu de l’importance vitale que revêt de la période des fêtes pour les stations, Patrick Mignola a évoqué un dispositif d’accompagnement plus généreux encore. « Nous n’aurons pas les touristes étrangers, des pertes de chiffre d’affaires de 20 à 25%, le système d’activité partielle doit être mis en place dès le 1er décembre et le plafond du fond de solidarité, élevé ». Quant aux stations de moyenne montagne, « il est nécessaire qu’elles prennent le virage du tourisme 2, 4 saisons, vert, et ce dans le cadre du plan de relance ». Une aide à l’investissement, en somme. « Enfin, j’ai demandé à ce que les conditions d’ouverture puissent être clairement définies, rapidement, de façon compréhensible et transparente. Il peut y avoir des ouvertures différenciées car tous les départements ne sont pas au même niveau de contamination. Il ne faut donc pas de date figée ». Le 20 janvier ne saurait donc rester une date butoir. « J’ai bon espoir » , conclut-il, « que les ouvertures soient plus précoces mais la surcharge hospitalière est telle qu’en cas de fréquentation massive, il deviendrait difficile de gérer les cas de traumatologie ou d’infarctus. Il faut éviter le scénario cauchemar d’un déconfinement qui nous conduirait à une troisième vague ». Le spectre d’une débauche d’excès, lors du réveillon du nouvel an laisse percer cette crainte, « la vraie trouille, c’est le 31 décembre » , celle qui pourrait définitivement doucher les espoirs qui subsisteraient encore dans cette date du 20 janvier.Et tant pis si cette annonce sonne comme « un coup de promo » pour nos concurrents européens en matière de tourisme de montagne, comme l’estime Xavier Dullin.

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