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Les opinions du Petit Reporter : diviser, c’est gagner

Par Jérôme Bois • Publié le 01/11/20

C’était un chefaillon qui, sentant monter la colère parmi ses salariés du fait de nombreuses décisions aussi intempestives qu’inefficaces, s’ingéniait à en promouvoir certains plutôt que d’autres. A la tête du client plus qu’au mérite. Du moins le ressentions-nous ainsi. Au sein des agences que lui seul chapeautait, il ne pouvait dès lors régner que défiance et colère, la désignation d’un coupable en découlait inexorablement. Le temps passé à nous regarder en chiens de faïence faisait le jeu du chefaillon, en droit de sévir à sa guise contre les révoltés de l’autorité. Son mode de management, personne ne se serait hasardé à le cautionner. Mais il était seul à cheffer, de toute façon. En sport, c’est toujours celui qui répond à une agression qui est sanctionné.

Ça ne pouvait pas durer, cela semblait évident. Le clash allait être inévitable, vous pensez bien, petit à petit, cette colère, sourde, devait finir par gronder pour parvenir jusqu’au siège, où trônait en magister notre bon chefaillon, imperméable aux remontées acides de ceux qui avaient le courage de les lui adresser. Pendant que les autres courbaient l’échine en rongeant leur frein. Le chefaillon avait apporté la division, il avait de fait conforté son règne.

Curieusement, la situation que nous vivons à l’échelle du pays m’évoque celle vécue quelques années plus tôt au sein d’un groupe en totale déliquescence aujourd’hui, dans lequel les salariés, pourtant martyrisés, peinent encore à élever la voix. 

Les mesures gouvernementales visant à définir les contours du confinement épisode 2 font apparaître les mêmes maux ; des commerçants, contraints à la fermeture, sont allés manifester devant les portes de grands centres commerciaux, les libraires se sont élevés contre les Fnac, les Cultura, les grandes surfaces, autorisées à ouvrir (les choses ont changé, les rayons non essentiels sont maintenant scellés, ce qui donne des clichés ahurissants lorsqu’on découvre des étals de livres sous plastique noir, comme si la culture devait être bâillonnée), rejoints par les quidams dont la plupart n’a que trop rarement mis les pieds dans une librairie. Ils auraient pu être fleuristes, vendeurs de vêtements, chausseurs, tous se sont trouvés des ennemis communs. En somme, les gens se bouffent entre eux.

Mais ce n’est pas devant les GMS qu’il faut aller brandir les fourches ! L’injustice qui permet à ces dernières de rester ouvertes est bien née de l’imagination d’un fonctionnaire parisien, là aussi, sourd aux considérations populacières. Et lire la révolte qui suinte, çà et là, sur les murs de ces piliers du CAC 40 a de quoi interroger. Était-ce la faute du salarié s’il se trouvait promu par sa hiérarchie et confronté à la défiance de ses collègues, parce qu’il avait été malin, stratège ou simplement parce qu’il se trouvait être le plus docile ? Le seul à incriminer était bien le chefaillon. Le donneur d’ordre. Il sévit toujours aujourd’hui. 

Est-ce donc du fait de ces grands magasins si les petites gens se déchirent et baissent le rideau ? Adressez-vous au vrai responsable. Au donneur d’ordre. Parce qu’en nous divisant, il assoit son autorité. Et l’injustice, manifeste ici, ne sera jamais réparée. C’est ce qu’essaient de faire des maires, en faisant adopter des arrêtés qui ne manqueront pas d’être cassés par les services de l’Etat. A moins que le nombre ne fasse la différence… Les voir proliférer aujourd’hui est un vrai courant de démocratie : Paris ne peut décider seul pour tous. Ils ne sont ni hors la loi, ni de dangereux démagogues (les clients seront probablement moins sujets à quelconque contamination qu’en étant massés dans des grands magasins), et ce même si Bruno Le Maire y est allé de sa charge contre eux, en stigmatisant leur irresponsabilité. Ces élus ont compris que la division ne les mènera nulle part et que ce n’est qu’en rangs serrés que l’on parvient à faire entendre et respecter le murmure venu d’en bas. 

J.B.

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