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Sabrina Haerinck : « Ma vision de la politique a changé depuis que je suis élue »

Par Laura Campisano • Publié le 14/11/20

« Un an jour pour jour » après sa première réunion au Mouvement citoyen de Chambéry, Sabrina Haerinck est conseillère municipale, au sein de l’équipe de Thierry Repentin. Nous l’avions rencontrée après l’élection pour connaître son parcours ainsi que celui de Jean-Pierre Casazza, tirés au sort tous deux sur les listes électorales, pour rejoindre la liste Chambé Citoyenne. Aujourd’hui, après quatre mois passés dans la majorité, nous voulions savoir où elle en était.
Qui aurait imaginé que cette jeune femme originaire du Nord, qui bloquait le 17 novembre 2018 l’avenue des Landiers sur la VRU, deviendrait en juillet 2020 élue d’une majorité municipale ? Elle-même n’en revient pas, tenant la question politique à distance, davantage préoccupée par sa propre existence et ses vicissitudes du quotidien : comment s’en sortir, comment vivre, comment subsister au rythme des saisons de ski, où elle officiait comme pisteur ? Jusqu’à ce que les décisions politiques la rattrapent : elle réalise que les réformes étatiques ont un impact sur sa vie de tous les jours. Hasard de la vie, sans doute, elle est tirée au sort pour participer à la campagne municipale du Mouvement citoyen. Jadis dans une grande défiance vis-à-vis de la chose publique, elle revient sur ses positions d’alors, maintenant qu’elle en est en charge. Rencontre.
Comment se sont passés ces premiers mois, dans les baskets de la conseillère municipale que vous êtes ? 
« Au départ, ça n’a pas été simple. En tant que » gilet jaune «, j’étais au milieu de gens de tous horizons, de toutes professions, des soignants, des caissiers, des femmes de ménage, des mères célibataires… les invisibles de l’économie française, c’était l’idée de base des gilets jaunes, par ailleurs. Cette mixité, le mouvement citoyen a essayé d’aller la chercher mais ce n’est pas évident, d’avoir une vision d’élue, c’est dur de se projeter. Pour ma part, il y a tellement de choses que je ne maîtrisais pas, je ne fais qu’apprendre depuis que je suis arrivée. Et je me pose cette question en permanence  » qu’est-ce que les gens attendent d’un élu ? « 

Crédit photo : Malou Pictures
Vous, qu’en attendez-vous ? 
Qu’il soit en lien avec les gens, qu’il soit en contact, ne soit pas déconnecté, qu’il utilise le bon langage pour s’adresser aux gens. Un élu, ce n’est pas seulement quelqu’un qui est tiré au sort dans les urnes, ce n’est pas seulement être élu pour être élu. 
Quel enseignement tirez-vous de vos premiers pas dans la majorité, pensez-vous être le type d’élue que vous espérez ?
Je fais aussi des erreurs, bien sûr. Mais je comprends mieux le statut d’élu, depuis que je suis conseillère municipale, même si ce n’est pas aussi compliqué que pour d’autres postes. C’est d’ailleurs un sujet de réflexion que nous avions avec Chambé Citoyenne, nous étions partis sur une expérimentation, une prise en main des dossiers de manière concrète, pour répondre aux sujets au fur et à mesure. C’est toujours une réflexion d’ailleurs, j’espère qu’elle ne s’arrêtera jamais. 
Cela vous donne envie, aujourd’hui, de faire de la politique ? 
Oui, même si je n’avais pas envisagé cette place, le hasard ou la vie ont fait que je suis là. Je pense qu’il faut toujours progresser, s’impliquer, pour les gens qui nous ont fait confiance, qui ont voté pour nous.
Et pour les autres…
Oui, c’est tout à fait vrai. Quand on est élu c’est pour tous. C’est ce qui m’a marqué dans les propos de Joe Biden, lors de son élection, ces premiers mots ont été de dire qu’il était le président de tous les Américains, qu’ils aient voté pour lui ou non. Et c’est maintenant que je suis en fonction que j’en prends vraiment conscience. 
C’est également ce qu’a dit Thierry Repentin, lors de son élection le 4 juillet dernier. Comment se passent les choses, au sein d’un groupe aussi éclectique que le vôtre ? 
Nous avons chacun un parcours, voire un parcours politique différent, ce qui forcément, crée un débat, mais c’est bon signe pour la démocratie. On ne peut pas toujours être d’accord sur tout ! Au sein du mouvement citoyen, tous les avis étaient écoutés et respectés, nous essayons de faire la même chose au sein de la municipalité. Alors c’est sûr, ça ralentit peut-être le process, la mise en place de certaines choses, mais cela fait avancer les idées que nous portions jusque là. Rappelez-vous, le Mouvement citoyen souhaitait plus de démocratie participative : on essaie, ce n’est peut-être pas parfait, mais au moins on essaie. Les autres ont-ils essayé, eux ? Thierry Repentin a souhaité une alliance, certes ce n’est pas simple, mais il faut faire avec et discuter quand cela est nécessaire.
Cela ressemble à un défi ; comment se projeter ? 
Tout est à construire, malgré tout, chacun de nous essaie de se prêter au jeu, c’est bon signe. Pour ma part, je commence à essayer de m’organiser, j’espère pouvoir être là pendant six ans, pour faire avancer ma délégation en faveur de la cause animale et dans la commission sociale, parce que tout mon parcours professionnel est en lien avec cela. Les mois qui viennent de s’écouler ont été difficiles à vivre, mais m’ont permis de mettre en place certaines choses, j’ai aussi pu avoir le retour d’autres personnes, pour pouvoir avancer. 
Vous étiez très éloignée de la vie politique, plutôt en retrait des élections avant d’être tirée au sort. Quel regard portez-vous sur la fonction aujourd’hui ? 
Je ne suis plus aussi catégorique que je pouvais l’être au départ, ma vision de la politique a changé depuis que je suis élue. Le fait d’y être, la réalité à laquelle je suis confrontée m’a fait évoluer. Il y a encore deux ans, toutes les réformes successives avaient renforcé ma défiance envers les politiques, comme beaucoup. Il était dur de comprendre comment des gens qui gagnent bien leur vie à Paris, pouvaient prendre des décisions pour nous. Je pensais qu’être de droite ou de gauche, finalement, c’était pareil, je me demandais toujours, comment on pouvait en arriver là, sans pouvoir agir, j’étais attachée, comme d’autres, à une forme de fatalisme. Il faut savoir qu’avant d’être tirée au sort je n’avais jamais pris part à la vie locale, je ne faisais partie d’aucune association, je n’avais jamais fréquenté le centre social ni œuvré, ou milité. Aujourd’hui, je pense qu’il y a des nuances à apporter, je ne pense plus que les politiques sont tous les mêmes. Je pense plutôt que les institutions, le système tel qu’il est mis en place laisse peu de marge de manœuvre. 
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris, dans cette fonction, depuis votre arrivée ? 
Quand on devient élu, il y a énormément de travail derrière. Il faut le dire, c’est toujours de l’investissement. J’ai surtout découvert que le travail passe avant tout entre les équipes et les services de la mairie. Nous, nous sommes élus pour six ans, peut-être plus ou non. Les équipes, elles, restent là après nous et doivent toujours s’adapter à de nouvelles équipes. Leur position ne doit pas être simple et je les remercie de s’adapter à notre projet politique.  
D’autant que parfois ils sont très différents, selon la sensibilité politique…
Justement, je pense que le travail collectif doit s’organiser en dehors de ces clivages, il faut pouvoir montrer que nous sommes capables de travailler en équipe quel que soit le bord politique. Derrière les clivages gauche-droite, il y a des batailles d’ego, et je trouve cela un peu dommage. Il faudrait en sortir, laisser de côté les plans de carrière pour que les projets mis en place puissent servir au quotidien, qu’ils apportent quelque chose à la collectivité. On a l’idée que les politiques font des choses avant tout pour eux-mêmes, mais j’espère pouvoir faire avancer la collectivité et non pas servir ma vie politique. On pourrait se retrouver sur des projets, c’est ça qui m’importe. 
Quelle est votre vision, pour la suite ? 
Je me concentre sur ce qui m’a donné envie de me retrouver là, pour que les choses changent sans être seulement spectatrice. Je suis loyale envers ces idées, qui m’ont portée jusqu’ici. Je suis soutenue, par des citoyens investis qui me font avancer. Je constate que nombre de gens se soulèvent, ne demandent qu’à participer à la vie locale, et je crois qu’il faut prendre le temps de les faire participer. Je sais aussi qu’il faut se protéger, quand on est élu, il y a un gros travail déjà mis en place. Je ferai de mon mieux pour accueillir tous les points de vue différents des miens, surtout en ce qui concerne les Chambériens «. 

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