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Les opinions du Petit Reporter : la haine

Par Jérôme Bois • Publié le 07/12/20

Lundi, réveil médiatiquement douloureux après un énième weekend de violences et de répression en Hexagone. Ça manifestait un peu partout, ce samedi-là, les forces de l’ordre devaient faire face à des manifestants… venus manifester contre la loi « Sécurité globale » mais pas seulement : selon le rituel désormais bien agencé, de nombreuses franges violentes et quelques badauds, téléphones en main, pour tenter de gratter quelque chose de savoureux à diffuser (ou à dénoncer) en masse, participèrent aux festivités. Ainsi commence la désinformation derrière laquelle on ne peut qu’entrer en componction. L’impuissance au pouvoir, on va vite le constater.

Ainsi donc, un journaliste de l’AFP, plongé au cœur des affrontements entre casseurs et policiers, diffuse du cliché en masse, ce samedi 5  décembre, œuvre d’Anne-Christine Poujoulat. Ses tweets font alors état de « voitures incendiées le long du parcours de la marche, et plusieurs vitrines, dont celles d’un supermarché, d’une agence immobilière et d’une banque » qui « ont été endommagées par des casseurs avenue Gambetta ». Plus loin, sur le fil d’actualité de l’agence, le journaliste, Clément Lanot, annonce « 22 interpellations » selon les chiffres officiels. Jusqu’ici, rien que du très ordinaire, à chaque rassemblement populaire.

Et puis, dimanche 6 au petit matin, plusieurs médias (BFM, la Parisien, France Bleu, Le Monde etc.) se passent le mot et sortent de grands aplats pour expliquer que la photo d’un policier en feu prise la veille est « trompeuse ». Un intitulé repris en boucle et en masse. Oui, ce cliché est trompeur et les internautes, eux, ne s’y étaient pas trompés, aguerris qu’ils sont à toute tentative d’intoxication médiatique. Et soutenus par certains hommes politiques et le syndicat des cadres de la sécurité intérieure, selon France Bleu. Car une vidéo, filmée au même endroit, montre qu’un engin enflammé a certes été lancé en direction des FDO, mais sans jamais les atteindre.

Ouf, la vérité est rétablie, l’AFP se voit clouée au pilori, les internautes, eux, sont rassurés après cette énième tentative de désinformation de la part de la principale agence de presse française. Le fameux avocat, Juan Branco, célèbre pour… pour… bref, célèbre, quoi, évoquera, à propos de la supercherie, la sainte nécessité  « de nettoyer les écuries d’Augias » par le biais de la suppression des formations de journalistes, « faites pour formater et politiser », selon ce grand penseur, éminence grise en matière de noblesse journalistique. Et l’AFP, dans tout cela ? « Des centaines d’incompétents », achève le chevalier blanc.

Des internautes rediffusent les images montrant qu’en effet, le policier ne cramait pas salement, non. « Un policier en feu, un simple incident, c’est la Pravda qui l’écrit », s’enflamme Chris Gir, célèbre anonyme parangon de l’investigation. Pour sa comparse Catherine Da Silva, « quand on voit le nombre de journalistes à particule », ça expliquerait « beaucoup de choses ». Dom assène à son tour : « Vous n’y étiez pas, j’y étais, le policier est passé près du feu et son bouclier s’est pris dans une toile brûlée. En aucun cas il s’agit d’un cocktail molotov ». Human Robot embraie à propos des policiers entassés contre un mur face aux manifestants : « Pourquoi est-ce qu’ils sont agglutinés comme des cons ? Il y en a un qui roule un joint derrière pour les autres ou comment ça se passe ? Il s’est trompé dans les ingrédients visiblement. C’est à se demander si ça vient pas d’eux cette explosion ». On ne le saura jamais. Peut-être, je gage, s’agglutinaient-ils pour se protéger mutuellement… Mais ce postulat demeure hasardeux. « Il y a quelque chose qui cloche entre les images et le commentaire », dira le Malouin. Oui, on le sait, ce policier n’est pas en feu, comme le prétendait maladroitement ce commentaire du journaliste de l’AFP.

Sauf que jamais au grand jamais l’AFP ni son journaliste n’ont indiqué, sur Twitter, ou ailleurs, que le policier était en feu. « Un projectile incendiaire » a été lancé, relatera Clément Lanot, « un déodorant accroché à un pétard serait probablement à l’origine de cette flamme. Aucun policier ne s’est transformé en torche humaine à ce moment-là ». Bon, d’accord, ils ont été visés par un engin enflammé potentiellement dangereux sans doute pour leur faire mal, acte largement répréhensible au demeurant, mais ce n’est pas le sujet…

Et comme dans ce monde gouverné par la bêtise, la seule réponse à l’ignorance est la justification, le rédacteur en chef investigation numérique de l’AFP répondra qu’ « on n’aurait pas dû diffuser sur Twitter cette photo sans sa légende, sans la contextualiser davantage ». Parce que le premier internaute venu pourrait alors tomber dans le panneau à pieds joints et à son corps défendant, sans doute. « Quand on fait une erreur (factuelle) », réagira l’agence après coup, « on fait une correction, mais là il n’y en avait pas ».

La magie des réseaux sociaux a simplement rempli son office habituel : permettre à des hordes d’ignares transis d’inculture et de réflexions « à-peu-prètistes » de cracher leurs immondices à la face du monde et de réclamer des têtes « comme le fit jadis la canaille », celle qui « chassa nos rois », ironisait Pierre Desproges. Pour s’auto-justifier, comme toujours. Et pour exister comme souvent.

J.B

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