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Pour les « voisins de la rue », l’association la Team fait bloc

Par Laura Campisano • Publié le 04/12/20

Depuis 2018, l’    ssociation « Tous ensemble agir et marauder »(TEAM) s’est donnée comme mission de venir en aide à ceux que l’on ne voit plus, nos « voisins de la rue » selon l’expression de la présidente Julie-Laure Demont-Platerier, investie dans les maraudes depuis 2016 avant de créer avec trois comparses, la Team pour faire perdurer les liens noués avec les personnes rencontrées au cours de ces moments de partage essentiels. Installée dans le paysage associatif Chambérien, la Team a des idées, des projets et des besoins.
Marauder, c’est une expérience qu’il faut connaître de l’intérieur pour saisir l’investissement de ces hommes et ces femmes, qui donnent de leur temps pour ceux qui ont tout perdu, parfois du jour au lendemain, depuis 10 jours comme depuis 30 ans. Une quarantaine de bénévoles de la TEAM se relaient, pour que deux fois par semaine, leurs « amis de trottoir » aient accès à des vêtements chauds, des soupes, des produits d’hygiène et autres besoins indispensables pour affronter la rue. Si leur nombre augmente sensiblement l’hiver, à l’approche des frimas, il est d’autant plus important l’été, où le nombre de décès est supérieur chez les sans-abris. Mais au-delà des denrées distribuées, le plus important reste le lien social, la considération, comme nous le détaille Julie-Laure Demont-Platerier.
Comment est née cette TEAM, dont vous êtes aujourd’hui la capitaine ?

Nous étions plusieurs de l’association à nous être rencontrés dans l’antenne chambérienne d’une autre association à Chambéry, avec laquelle j’ai maraudé entre 2016 et 2018. L’antenne a fermé en 2018 et nous trouvions trop dommage de perdre les liens tissés avec les personnes que nous rencontrions au cours de nos maraudes. Nous sommes quatre de l’ancienne asso à avoir lancé la Team, aujourd’hui je suis la seule de ce noyau de départ à être restée. Un nouveau bureau a été élu et j’en suis la présidente.
Comment fonctionne l’association ?
Nous sommes une association indépendante, sans système d’adhésions, nous ne comptons pas sur les membres pour financer nos actions. Nous essayons d’avoir le moins de dépenses possible, moins de 100 euros par mois, pour notre local, assurance comprise, qui nous sert à stocker les dons que nous recevons, et les frais courants. Nous recevons des dons de particuliers sur une cagnotte en ligne, et communiquons essentiellement soit par mail ou via notre page Facebook. Nous avons également un numéro de téléphone plutôt utilisé par les personnes dans la rue, ou pour les personnes qui voudraient des renseignements. Ponctuellement, nous organisons des événements pour récolter davantage de fonds comme la vente de jacinthes l’an dernier avec le Lion’s club Aix-Sabaudia sur le marché de Noël, qui nous a permis de récolter 1 000 euros – le Lion’s club finançait l’achat des jacinthes – ou encore l’organisation de notre premier loto, qui était une chouette réussite. Tout cela permet de financer des nuitées d’hôtel en cas d’urgence, d’assurer les distributions lors des maraudes.Pour les dons de vêtements ou denrées, nous allons les récupérer sur place, soit chez les particuliers soit dans les lieux de collecte comme au Carrefour City, avenue du Comte-Vert à Chambéry, qui sont très touchés par notre cause. Aujourd’hui, il y a une quarantaine de bénévoles, chacun vient quand il veut, quand il peut, nous avons tous des familles, un emploi à côté. Au niveau du rythme des maraudes, avant le confinement nous étions présents toutes les semaines, toute l’année, à raison d’une fois par semaine. Malheureusement, durant le premier confinement, nous n’avions pas d’autorisations pour poursuivre les maraudes et ça a vraiment été un crève-cœur pour nous, comme pour nos bénéficiaires. Au deuxième confinement nous nous sommes donc directement rapprochés de la Préfecture, et nous intervenons à présent deux fois par semaine.
Quels produits ou denrées distribuez-vous au cours des maraudes ? De quoi avez-vous besoin ? 
Nous distribuons en premier lieu des moments d’échange, que nous illustrons avec des sacs de couchage, des tapis de sol, des tentes, des vêtements chauds, des réchauds parfois. Bien sûr des sous-vêtements, caleçons, chaussettes, des kits d’hygiène, dentifrice, brosse à dents, et en ce moment nous venons avec des thermos pour des soupes chaudes qui sont très appréciées, ainsi que des denrées alimentaires.

Avez-vous des appuis, autres que les dons de particuliers, sur lesquels compter pour collecter ce matériel et ces denrées ? 
Nous fonctionnons beaucoup avec les autres associations du secteur, des commerces également. Certains sont nos partenaires officieux, d’autres enseignes comme Gemo ou Kiabi, nous permettent de faire des collectes de chaussures, chaussettes, sous-vêtements avec les étiquettes encore dessus. Nous avons un partenariat annuel avec Décathlon, qui met à notre disposition des duvets, des chaussures ou des sacs à dos qu’ils réparent quand ils sont à peine abîmés. Nous pouvons aussi compter sur la Cantine savoyarde de Chambéry, qui nous a déjà mis à disposition sa grande salle pour faire des journées beauté, où des coiffeurs et des esthéticiennes viennent bénévolement proposer des shampoings, coupes de cheveux, rasage, tout cela autour d’un goûter. C’est très apprécié, et pour l’estime de soi, c’est très important pour eux. Parfois, certains commerces font des dons sans vouloir que leur nom apparaisse, d’autres fois on est agréablement surpris, comme l’an dernier pour le loto, où un directeur d’auto-école nous a offert un premier lot exceptionnel : un permis de conduire plus le code ! Ce genre de gestes, ça réconcilie avec l’espèce humaine ! Finalement, on se dit que les gens sont contents quand on les sollicite. Et pour juger de la réelle efficacité de ces échanges, de notre action, à la dernière maraude, nous avons déposé 17 commandes personnalisées, avec les demandes de nos bénéficiaires et les besoins de chacun. 
Votre action est d’autant plus importante, en ces temps de confinement, de crise sanitaire, de repli sur soi. Qu’est-ce que les confinements successifs ont comme conséquences sur l’accueil des personnes dans la rue ?
Depuis le deuxième confinement, les centres d’hébergement sont pleins, puisque compte tenu des protocoles sanitaires dus à l’épidémie, seules la moitié des places sont proposées. Sur les 56 places du centre de Chambéry (ouvert aux hommes, NDLR) seules 28 places sont donc occupées. A Bassens, où sont accueillies les femmes, avec ou sans enfants, il y a une trentaine de places occupées. En tout sur Chambéry et environs, plus d’une centaine de personnes sont hébergées dans les centres en ce moment. Et il y a tous ceux qui sont dehors, on ne peut pas savoir combien ils sont.
Sans compter que cela ne doit pas être évident pour eux, d’être testés ou même de respecter l’obligation des attestations… 
N’étant pas testés, en effet, nous avons peu d’informations quant aux sans-abri ayant été atteints par le virus à Chambéry, ils sont beaucoup plus touchés sur Paris. Nombre d’entre eux l’ont peut-être sans le savoir, comme ça a été le cas pour nous au sein de l’association, aucun de ceux qui a été touché ne l’a vécu de la même manière. Pour ce qui est des amendes en lien avec le confinement, heureusement, nous n’avons pas de grosses remontées d’amendes que les personnes sans-abri auraient pu avoir. 
La situation sanitaire a-t-elle changé quelque chose, dans vos rapports avec les gens que vous rencontrez et que vous aidez ? 
Il est sûr que nous ne pouvons plus toucher personne, nous fonctionnons plus par check ! et que l’absence de contacts pourrait être mal vécue par nos amis de trottoir que nous croisons depuis longtemps, mais ils comprennent parfaitement la situation. Nous faisons un usage intensif de gel hydroalcoolique, que nous leur distribuons, ainsi que les masques. Après, il n’est pas rare que lors de la distribution de soupes, certains mettent plus de temps pour la boire, juste pour nous faire rester avec eux. Le temps d’échange est le plus important, quand on croise quelqu’un en état de tristesse profond, simplement lui parler, le regarder, lui répondre, le considérer en fait, cela vaut pour tous, on se sent exister. Les personnes dans la rue souffrent par ailleurs de nombreux clichés, quant à leur situation…
Le plus abominable d’entre eux est sans doute à l’égard des jeunes, comme si cela était plus facile de faire la manche que de chercher un travail. Alors qu’ils ont pu se retrouver exclus de leur famille pour une orientation sexuelle différente, à cause de conflits familiaux importants. Quand les gens nous racontent leur histoire, ceux qui ont tout perdu en six mois, les migrants, ce par quoi ils sont passés pour fuir et se retrouver ici…c’est une leçon de vie. C’est vrai que certains restent dans la rue par choix, mais ce qui est certain, c’est que les sans-abri ne se plaignent jamais, ils n’ont rien mais ne se plaignent pas. Dans une société où tout est matériel, où tout le monde est insatisfait, les entendre dire lors des maraudes qu’il ne faut pas leur donner trop de choses pour en garder pour les autres….
C’est une expérience intense, marauder, une sorte de grand huit émotionnel ?
Oui et c’est pour cela que nous faisons toujours un débrief en fin de maraude, parce qu’il y a des moments magnifiques et des moments catastrophiques, il faut décharger. Je me souviens qu’au cours de ma première maraude, je culpabilisais de m’asseoir sur mon fauteuil. Il faut être allé sur le terrain pour comprendre ce sentiment. Certains bénévoles disent parfois que c’est trop dur, nous-mêmes, on se dit qu’on n’en fait pas assez, qu’on pourrait aller plus loin. Mais certains soirs, quand c’est très difficile, on repense à ceux qui s’en sont sortis, on se dit que ça ne sert pas à rien. 
Comment voudriez-vous aller plus loin ? 
Dans un premier temps, nous voudrions pouvoir installer des casiers pour sécuriser les affaires des personnes dans la rue. Cela existe déjà dans des grandes villes comme Bordeaux par exemple. Les personnes qui vivent dans la rue sont stigmatisées, elles le portent sur elles. Très souvent, si les gens refusent d’aller en centre c’est pour éviter qu’on leur vole leurs affaires, ou leur téléphone portable qui est souvent leur seul lien avec l’extérieur. Nous voudrions donc pouvoir leur permettre de manière sécurisée de stocker leurs affaires, et mettre à leur disposition des jetons de lavage, une tenue également. Nous avons rencontré la municipalité à ce sujet, qui a trouvé l’idée très bonne et souhaite pouvoir mettre l’idée en place. Peu importe qui fait ce qui doit être fait, tant que c’est fait. Nous nous enrichissons des bonnes idées des autres, nous sommes là pour faire du bien, pour améliorer le quotidien de nos semblables. Ensuite, nous aimerions pouvoir être épaulés par des vétérinaires, pour les animaux des sans-abri. Là aussi, un cliché circule sur les mauvais traitements des animaux. Mais il faut savoir que les animaux sont toujours nourris, plus que leurs maîtres, qui les font passer en premier. Peu de centres d’hébergement acceptent les chiens, que les gens prennent au départ dans l’idée de se défendre. C’est aussi pour cela que certains refusent d’aller en centres. De même, nous lançons un appel vers des personnels du milieu psycho-médical, et de la réinsertion, pour les aider à s’en sortir. Peut-être que la première expérience professionnelle ne sera pas la bonne, mais en persévérant, c’est possible. Hors confinement, nous donnons aussi des cours de soutien en français, nous avons d’ailleurs hâte de pouvoir les reprendre et de poursuivre.
Les bénévoles doivent aussi bouillonner d’idées en tout genre pour aider, quels profils voyez-vous en maraude ? 
Nous venons tous d’horizons différents, certains travaillent, d’autres non, il y a de plus en plus de jeunes, on se dit que la relève est là. La plupart des bénévoles sont des écorchés de la vie, il faut avoir vécu du tragique, pour donner de cette manière. L’association pour cela, c’est une aventure humaine magnifique, nous avons de vrais coups de cœur en maraudes. Nous n’acceptons pas de mineurs en revanche, même si les enfants sont très actifs dans des actions de type collecte, ou vente de calendriers, par exemple. Mes enfants, que ce soit à Noël ou aux anniversaires, sont toujours très motivés à aller chercher dans leurs jouets pour donner. Je suis super fière de mes enfants, je vois que la transmission se fait, que leur génération ne sera pas dans l’ignorance de l’autre. 
En parlant de Noël, nous imaginons bien que vous avez des surprises de prévues…
Il y aura en effet une maraude le soir du 25 décembre, tous n’y participeront pas mais nous y serons. Nous avons été contactés par différentes personnes et par des établissements scolaires pour distribuer des box, et aussi des cartes de Noël confectionnées par les enfants de l’école de Vimines et aussi des établissements sur La Ravoire, qui avaient déjà eu beaucoup de succès l’année dernière. 

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