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Aix-les-Bains : deux artistes, une fresque, un symbole fort

Par Jérôme Bois • Publié le 25/01/21

Le lieu d’accueil et d’hébergement d’urgence dit villa Carmen, sis boulevard des Côtes à Aix-les-Bains, voit son activité tourner à plein régime et ce n’est jamais une bonne nouvelle. Surtout quand, exceptionnellement, l’établissement géré par la Sasson doit aussi ouvrir aussi le jour, crise sanitaire oblige. Inaugurée fin 2017, cette maison abrite aujourd’hui 22 résidents, en état de précarité, souffrant de troubles psychologiques, psychiques, autonomes et c’est peu dire que la période est trouble. Seulement, leur quotidien peut être rythmé d’activités participatives ludiques. Ce que proposent la Sasson et le relais des Deux-Sources a pour intention de mettre de la couleur dans ce bâtiment et « de la vie dans la vie » des résidents. Ils ont fait appel, pour cela, à deux artistes de la région aixoise, Matt B et James 2 Aix.

Matt B en plein travail (@Pierre-François Youssouf)
Le lieu de vie de la villa Carmen, plus salon que « réfectoire », comme indiqué sur l’étiquette de la porte, réclamait, trois ans après son inauguration, un ravalement de façade, ce que ses résidents se sont attelés à faire. Car parmi eux, certains ont de l’or dans les mains et savent donner de leur temps pour améliorer le quotidien du lieu. Résidence d’accueil d’urgence gérée par la Sasson, la villa se veut un endroit chaleureux où sont accueillies des personnes en situation de précarité, des saisonniers sans toit, des gens qui ont connu (ou connaissent) la rue. Le soir, la villa est leur abri, foyer où le lien social se reconstitue, avec l’aide d’une équipe éducative aux petits soins. 

Totoro, ce héros !

Parfois, comme à l’occasion de la réfection de certaines pièces de la maison, une idée artistique germe, un projet collectif destiné à impliquer le plus grand nombre autour d’une réalisation dont tout le monde bénéficierait. « On se demandait quoi faire d’un mur, nu, situé dans la salle de vie » , se souviennent Karoline Janzac, coordinatrice et animatrice du relais des Deux-Sources, et Karen Veyrat, conseillère en économie sociale et familiale. « Nous en avions discuté avec les résidents » , l’idée de la fresque a alors jailli. La salle avait en effet été repeinte, les plinthes refaites, ne restait plus qu’un mur, nu, en béton brut, dont la destination pouvait se parer de couleurs plus explosives en plus de devenir un symbole. Ainsi, James 2 Aix, artiste aixois a été contacté, lui même faisant appel à Matt B, installé à Saint-Ours. Ensemble, les voici appelés à réaliser une œuvre, de façon totalement bénévole, à laquelle pourront participer certains résidents, au gré de leurs envies ou compétences. Totoro, corpulent héros du film d’animation éponyme d’Hayao Miyazaki, sera le personnage central de cette fresque, avec, autour, une explosion de couleurs, qui symbolisera le nouveau départ dans la vie, la diversité des cultures et des identités qui coexistent au sein de la demeure. Les deux artistes se partageront donc la tâche. « C’est James 2 Aix, que je connaissais, qui m’a sollicité. Nous n’avions jamais travaillé ensemble jusqu’ici » , détaille Matt B, « j’étais plutôt pour, j’avais envie de donner un peu de moi ». Peintre en décoration, James Amé, alias James 2 Aix, s’est très vite emparé du projet proposé par Karoline, qu’il connaissait. Ses œuvres « imitation béton brut » , tantôt trompe-l’œil, tantôt personnages ou décors peints, se fondront avec l’univers plus chamarré de Matt B. « Ses décors se mêleront aux miens, c’est une expérience qu’on avait tous les deux envie de partager ». Le choix de Totoro a été naturel, pour James. « On avait réfléchi à un personnage bienveillant, qui a envie d’aider. Totoro était un beau symbole ». 

La villa Carmen

Artistes en sourdine

Pour les deux artistes, cette association est aussi l’opportunité de recommencer à travailler hors de chez eux, notamment pour Matt B, alors que les confinements successifs l’avaient contraint à se mettre en sourdine. « La période est difficile, j’aime faire de l’événementiel mais là, il n’y a plus rien. Lorsque j’organise des portes ouvertes dans mon petit espace, à Saint-Ours, les gens viennent mais moins nombreux qu’escompté. Nous étions déjà secondaires, nous sommes devenus inexistants ». Tandis que les musiciens étaient parvenus à se faire entendre, lors du premier confinement, les artistes-peintres ont dû attendre leur tour. « Ce qui me manque, c’est de pouvoir exposer ». Alors quand une opportunité telle que celle-ci se présente, il n’hésite pas. « Comme on ne sert pas à grand chose » , sourit-il, « c’est l’occasion de faire du bénévolat, quelque chose de bien, d’utile ». Quant à James 2 Aix, son travail lui permet de ne pas compter que sur son art, qui reste sa sucrerie : « Artistiquement, je travaille beaucoup sur le bouche-à-oreille » , dans la discrétion. Pourtant, sa première exposition, à Challes-les-Eaux, en février dernier, avait été interrompue par le confinement, sa participation à Has’art dez-vous avait connu le même sort, en octobre. La Covid n’aura fait aucun prisonnier. C’est donc avec entrain que les deux artistes se sont plongés dans ce projet, qui prendra vie les 28 et 29 janvier prochains. Et qui pourquoi pas pourrait en appeler d’autres.

Union des compétences

Ce n’est pas le seul projet collaboratif réalisé au sein de la villa Carmen, ouverte en novembre 2017 grâce à la collaboration de l’Etat, de la ville et de la Sasson : la confection de mobilier, le décapage des barrières extérieures, entre autres, ont déjà réclamé les savoir-faire de chacun. « Nous voudrions faire une bibliothèque et aménager une buanderie » , ambitionne Karoline Janzac, pour que les compétences des uns s’associent à celles des autres. 

Tout l’art de James 2 Aix
Dotée de 24 places, la villa peut, en période de grand froid, porter sa capacité à 36. Accueil d’urgence de nuit, ouverte traditionnellement de 19h30 à 7h30, elle ouvre également en journée, depuis que le virus a pointé le bout de ses mauvaises intentions. Le public contacte le 115, qui gère les places d’urgence, il est ensuite disséminé dans plusieurs lieux d’accueil. « Les résidents sont volontaires, ils prennent des initiatives pour faire vivre la maison, nous les encadrons et proposons des animations » , poursuit-elle. En journée, habituellement, ce sont les travailleurs sociaux qui prennent le relais. C’est là qu’intervient le relais des Deux-Sources, qui avait dû fermer voici deux ans faute de coordinateur, rouvert et regroupant ces associations* « pour mettre toutes les compétences en commun » et offrir aux bénéficiaires les meilleures attentions. Ce système permet à ces précaires, blessés par la vie, d’émerger non pas individuellement mais collectivement. Et des projets comme cette fresque ne peut que les y aider.

* Le relais des Deux-Sources regroupe aujourd’hui l’Entraide aixoise, le Secours populaire, catholique, les Restos du cœur, Saint-Vincent de Paul, la Croix-rouge, la Sasson, le CCAS, Habitat et humanisme et Espoir 73.

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1 commentaire

Unknown

27/01/2021 à 09:43

Bravo ! J'ai hâte de voir l'oeuvre éclore. C'est super d'avoir des réalisations dans des lieux de vie, naturellement exposées.

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