« Toute ma vie résumée en quelques pages », voilà qui peut sembler saugrenu quand on a tous l’impression que nos existences valent bien un roman en plusieurs tomes. Ces quelques pages, pourtant, elles ne font pas que résumer la vie de Patricia, elles en tirent la quintessence du pire. On y trouverait même un soupçon de provoc’ dans l’évocation de certains aspects « abrupts » de sa vie. Un besoin de se raconter, plus qu’une envie, « parce que je me suis rendu compte que je l’avais échappé belle ». Depuis des années, pour Patricia, chaque jour est un sursis. « Les petits cailloux » sont une trace, à vous désormais de les suivre.
Patricia Bourgeois. ce nom ne vous dit peut-être pas grand chose. Installée en région parisienne depuis août 2016, elle avait pourtant réalisé quelques tours ici, en Savoie. Au Montcel, après avoir suivi son musicien de petit ami de l’époque, en 2014, rencontré au détour d’une prestation au Georges V. Vous serez sans doute plus nombreux à la connaître sous le pseudo de Patia, magicieuse de son état, savante association de la magicienne qu’elle est devenue et de la tendre chieuse qu’elle prétend être. Provoquer, surprendre, émouvoir, réjouir… Avec elle, l’émotion est inextricablement au rendez-vous, c’est même à ça qu’elle tourne, Patia, l’émotion. Mais elle est partageuse.
« Arrêter les conneries »
C’est en 2009 que la vocation lui est venue, « quand j’ai découvert ma maladie » , confie-t-elle. Cette maladie avait pris la forme d’une grosse tumeur sur le rein, inopérable, inopérée, du reste. « Je devais mourir » , c’était écrit. Un angiomyolipome de 2,8kg, « de 17cm de haut pour 15 de large » qui lui bouffe énormément d’énergie, ce n’est pas rien. « Avec ce truc, pas besoin de régime, je peux manger ce que je veux ». La particularité de cette joyeuse particule, elle « peut péter au moindre choc, grossir ou rester en l’état ». Dans les deux premiers cas, c’est la mort assurée. « C’est la loterie » , ose-t-elle d’un haussement d’épaules. « C’est même une chance, en réalité parce que depuis, ce n’est plus anodin de se réveiller, le matin. J’étais en vie, jusqu’alors, et je n’en avais pas conscience ». Chaque matin est une fête. Sitôt l’annonce de sa tumeur, elle fait le choix « d’arrêter les conneries » de jeunesse et se lance dans la magie, donc, voici 11 ans, un truc qui lui titillait le cerveau depuis des lustres. Un peu pour faire rire sa fille, un peu pour elle. Elle apprend la psychologie de la magie au contact de Gaëtan Bloom, prestidigitateur mondialement reconnu, et fait de la scène son nouvel écrin.Hypersensible par nature, Patia finit par comprendre que son cerveau droit fonctionne plus que le gauche. « Je n’oublie rien, je fais très attention aux détails. Tout me touche, tout de suite, tout le temps ». Une arme à double tranchant puisque toute émotion est surmultipliée, par conséquent moins facilement gérable. « Je suis » plus « contente, » plus « passionnée, » plus « triste, je déborde de projets, le cerveau ne se débranche jamais ». Problème, aucun de ces projets ne va au bout. « Les petits cailloux » était l’un de ces projets, lui non plus ne connut pas de fin. Au départ. Il a fallu le décès de son père pour qu’elle se hasarde à y remettre le nez, le poursuivre et le conclure. « Les petits cailloux » sont une mise à nu, un récit à l’écriture franche, directe, parfois enfantine. Les événements qui y sont narrés sont des uppercuts, on en ressort sonné, frappé, un drame avec des mots d’enfants. « Il parle beaucoup des emmerdes, j’ai gardé pour moi les belles histoires, je voulais qu’il me reste un peu de jardin secret ». Chaque événement sombre, c’est un petit caillou « qui se détache du cœur ; lorsqu’il n’en reste plus, on meurt ».
Mots d’enfant
Les premiers retours ne tardent pas, « mon professeur de magie s’est emballé, » tu m’as fait chialer et rire en même temps «, m’a-t-il dit. Une lectrice s’est sentie mal à l’aise, je ne voulais pas provoquer cela, je me suis excusée auprès d’elle ». Ce qu’elle ne fait pas lorsque sa magie ose, provoque, comme lorsqu’elle offre un ballon à un enfant du public et l’éclate aussitôt. Oser publier son ouvrage lui avait réclamé beaucoup d’énergie, affronter les critiques, laudatives, à l’unanimité, lui en demande tout autant. Dedans, elle se souvient de son premier amour, Reynald, de son premier chagrin, de ses piqûres d’hormones, et malheureusement d’un autre événement, majeur, dramatique, d’actualité, le viol qu’elle a subi à 7 ans, commis par un animateur de classe verte, le sinistre Alain, une ignominie qu’elle traînera comme un boulet et relate avec ses mots d’enfant : « Adolescente, j’étais la bonne copine, avec une choucroute sur la tête ». Celle qui rase les murs, incomplète. Son hypophyse défaillant, elle sera gavée d’hormones de croissance. Peut-être, du reste, faut-il trouver ici l’origine de sa tumeur.
Aujourd’hui en couple, installée en région parisienne après un détour par le territoire de Belfort, Patia découvre la vie à deux. « Je n’ai pas les codes, je ne sais pas faire ». Son conjoint est mis dans la confidence dès les premiers contacts, « je lui ai expliqué pourquoi il ne devait pas s’attacher à moi » , une technique de drague innovante, pas pour autant gagnante. Mais la magie opère. « Je lui mets la tête dans les étoiles, il me met les pieds sur terre » , sourit-elle.
Il faut dire que son hypersensibilité la pousse à n’aimer que passionnément, « du coup, l’autre connaît l’usure, moi non ». Elle aime le beau, abhorre le mensonge, son cerveau bouillonne en constance, jusqu’à l’épuisement mais une qualité que l’on doit lui reconnaître, Patia ne triche pas. Ainsi, lorsqu’elle doit prendre la pose pour des photos chics et chocs, quand elle tente de changer son image, elle doit forcer sa nature. « J’ai essayé de faire attention aux gestes, aux regards, aux habits, à me tenir » mais ce paraître l’use quand elle en abuse. Nature, démaquillée, la clope négligemment posée au bord des lèvres, c’est ainsi qu’elle souhaite apparaitre pour illustrer ce portrait, c’est à ça qu’on la reconnaît.
Et maintenant, la suite…
L’histoire n’est pas terminée. Rencontrer son « chéri » a été un tournant dans sa vie, « il a cassé des codes chez moi ». Un « neuro typique » face à « une neuro atypique ». « Il est au cœur de ma vie » , renchérit-elle, « je garde en mémoire l’exemple de mes parents qui se sont regardés comme des amoureux jusqu’au dernier jour, j’ai ce modèle, j’ai besoin d’avoir quelqu’un à admirer et à chérir » , il aura donc droit au deuxième volume des aventures de Patia, confinements et couvre-feux lui ont offert ce luxe : écrire. Un recueil d’histoires absurdes traîne par là, aussi, l’hypersensibilité lui permettant de manipuler l’humour noir à sa guise. Quant à la magie, elle est en stand by. Patia avait écrit un spectacle, recevait des dates puis la maladie de son père a stoppé le train en marche. Alors elle s’est occupée l’esprit, a confectionné des meubles en carton, cuisiné, fait de la déco… A la mort de son père, dans le déni, Patia sombra dans la dépression, incapable « de gérer le flot d’informations dans [sa] tête ». En plein confinement, ce n’est autre que Maurice Barthélémy, ex-membre des Robins des Bois, qui « a posé des mots » sur son mal, cette fameuse hypersensibilité. « Depuis, je me documente, j’apprends à comprendre » afin d’apporter de la légèreté et du bonheur aux gens, afin d’exalter en eux cette palette d’émotions qu’elle a mis une vie à apprivoiser. Faire dans la vie ce qu’elle fait sur scène. « A quelle heure c’est léger » , s’interroge-t-elle, à une époque où tout est gravité et lourdeur ? Certes, ces « petits cailloux » heurteront par instants le lecteur le plus aguerri, mais pour sa désarmante fraîcheur, sa troublante sincérité, ils valent la peine d’être suivis, ramassés jusqu’à la terre promise.
« Les petits cailloux », disponible ici. 4,99 euros.
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