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Centre social des Combes : des torts partagés ?

Par Jérôme Bois • Publié le 17/02/21

Le bureau du centre social des Combes vient d’annoncer l’arrivée de Pascal Pongérard, pour un CDD de 2 mois, renouvelable, à sa direction, intronisation qui confirme la volonté de ses membres de retrouver un peu de calme après deux semaines agitées, alors que l’audit financier, en cours, devrait rendre son verdict dans une semaine et définir les véritables responsabilités de chacun dans cette affaire. Pendant ce temps, le déballage, lui, se poursuit.

De découvertes en découvertes, une histoire qui n’en finit pas… (@Galyart73)
Le bureau du centre social des Combes a choisi la transparence, afin de rendre compte aux adhérents de l’association des divers remous qui agitent l’esquif estampillé CSC depuis deux semaines. Les vents, violents, se sont calmés à mesure que l’on se dirige vers la fin de l’audit financier commandé par la municipalité. Les fameux manquements, jusqu’ici presqu’intégralement – à tort ou à raison – imputés au seul ancien directeur Guillaume Hoslteyn, comme la profondeur du trou financier creusé sur l’année 2020 devraient apparaître en gras. L’heure sera alors venu de définir les responsabilités de chacun.

« Un simple accident de parcours »

Pour le moment, la vie tente de reprendre son cours, sur les Hauts de Chambéry, le CSC a fait appel à Pascal Pongérard, nouveau directeur intérimaire, dont la mission consistera à « accompagner le conseil d’administration, de conduire l’équipe de salariés pour l’organisation du CSC et de son activité, d’apporter ses compétences à l’analyse et à la prise en compte des résultats de l’audit financier que nous aurons fin février, et à la préparation des suites à y donner. Il a pris ses fonctions ce jour, 15 février » , annonçait le bureau à travers sa lettre aux adhérents, du 15 février. Il débarque, fort d’un contrat à durée déterminée de 2 mois, renouvelable.En coulisses, le CA tente de remettre de l’ordre dans la boutique : « Je m’occupe de l’avenir et de rien d’autre » , coupe Jean-Gérard Langlois, président élu lors du CA du 22 décembre*. « Nous attendons la fin de l’audit, ce qu’il se passe autour du centre est un accident de parcours bien dommageable mais un simple accident de parcours par rapport au fait que le CSC fêtera ses 50 ans cette année ». L’audit apportera en effet des données précises sur l’ampleur du désastre, que certains envisagent encore relatif. Seulement, tout le monde ne partage pas cette vision idéaliste de la situation. Dans ce contexte torride, le versement d’un acompte à la subvention 2021 a été voté, en séance du 16 décembre 2020, par le conseil municipal, avance de 62 100 euros, soit un vrai bol d’air frais et de quoi débuter 2021 de façon plus sereine. Un versement normal à cette époque de l’année, pour un certain nombre d’associations.Pour mémoire, fin 2019, le rapport financier dressé par le commissaire aux comptes laissait apparaître un résultat positif de 3 375 euros**. L’année 2020 commençait donc sous les meilleurs auspices et les projets pouvaient germer. 12 mois plus tard, le CSC s’est trouvé dans le rouge, ce qui interroge grandement Sophie Pêcheur, ancienne comptable de l’association, entre 2016 et 2019. « Ils ont mis la plupart des salariés au chômage partiel du fait de la crise sanitaire, il s’agit du plus gros poste de dépense : comment, donc, le centre peut-il être dans le rouge ? Je ne comprends pas, normalement, il devrait même y avoir un petit bas de laine à l’issue de l’exercice 2020 ». Pour elle, l’ancien directeur aurait pris beaucoup de libertés. « Il a pris les choses en mains dès son arrivée » et personne ne semble avoir pu l’en empêcher. 

L’acompte sur la subvention 2021 votée le 16 décembre 2020.

Seulement, le bureau a décidé de négocier une rupture conventionnelle avec l’ex directeur, ce qui n’est pas sans poser question. « Un débat s’engage sur pourquoi engager cette procédure. Les nombreuses erreurs de gestion de Guillaume H. remettent en cause la pérennité du centre avec pertes de subventions de la CAF et d’autres financeurs pour le centre socio-culturel, perte de confiance des financeurs, erreurs également de management des ressources humaines, non-respect des procédures de gouvernance statutaire avec le Conseil d’administration » , détaillait le compte rendu du CA du 22 décembre 2020. « Si plusieurs administrateurs s’accordent à reconnaître les qualités relationnelles, les capacités du directeur d’avoir des idées fédératrices autour de projets pour le quartier, la partie administrative, gestionnaire qui est fondamentale n’est pas assurée correctement et pénalise gravement le centre et ses salariés qui ont du mal à lui garder leur confiance ». Le jugement du conseil d’administration sur l’action de celui qui était encore directeur était sans appel.

Un état des lieux pourtant alarmant établi fin décembre

Il faisait déjà suite à un désespérant état des lieux, établi quatre jours plus tôt. Ainsi, le 18 décembre, le bureau dressait dans le détail un panorama très critique sur l’état du centre : alerte de la Caf – qui compte parmi les principaux financeurs du centre social – sur les retards apportés aux demandes de bilans, de projets non rendus à temps et alerte de la fédération départementale des centres sociaux, à la fois administrative, financière et humaine. Par ailleurs, le bureau avait « constaté les difficultés financières » et affirmé que « des paiements de dettes » n’avaient pas été effectués depuis le début de l’année. « Le centre souffre d’une insuffisance de trésorerie » , mentionnaient-ils. « Les financeurs constataient des bilans envoyés très tardivement, incomplets, empêchant le versement de subventions imputables au directeur ». Fermez le ban. «Lorsque j’étais en charge de la comptabilité du CSC » , reprend Sophie Pêcheur, « il n’y avait pas de problèmes financiers et quand je suis partie, il n’y avait aucun souci de trésorerie ». Les relations avec la directrice de l’époque, Naïma Françon, étaient au beau fixe. « Son départ à la retraite avait été anticipé et budgété, ce fut notre plus gros poste de dépense de 2019 » (les salaires représentaient 344 014 euros pour l’année 2019). Pas de dépenses somptuaires à noter ; de par son affectation, elle se définit comme « une lanceuse d’alerte ; cela fait partie du travail de comptable » , chaque mouvement suspect doit donc faire l’objet d’un signalement. Son histoire – surtout la fin – au sein du centre semble confirmer par ailleurs que la gestion des ressources humaines était bien aléatoire.Embauchée en CDI en 2016, elle profite de sa bonne entente avec Mme Françon pour envisager, avec cette dernière, la perspective de reprendre la direction après son départ en retraite. « Je suis partie en formation courte sur un an, je faisais des heures supplémentaires pour assurer malgré tout mes tâches au CSC ». Malheureusement, des conflits apparaissent, des problématiques « de droit du travail et de gestion sociale ». Novembre 2018, elle tombe en dépression, « j’étais épuisée et je ne comprenais pas les reproches injustifiés qui m’étaient adressés ». De retour en septembre 2019, Sophie Pêcheur tombe nez à nez avec celle qui allait devenir son successeur. « Je n’étais revenue que pour 15 jours, j’ai dû former ma remplaçante, incapable de faire des demandes de financements, des réponses à la Caf, des budgets… J’ai donc, au bout de deux semaines, tiré la sonnette d’alarme ». Sans autre conséquence que ce mail l’invitant à rester chez elle, tout en étant payée. 

Deux comptables en CDI… pour un seul poste

De là, elle sera rémunérée à ne rien faire durant près de 14 mois, tout en étant priée de ne pas remettre les pieds au centre social. Aujourd’hui, une procédure de droit social est en cours, en appel, prévue pour être jugée en octobre 2021. Son successeur avait été titularisée au poste de responsable administrative et financière, ironie du sort, « le jour où je suis allée passer ma visite médicale » en septembre 2019. Ce qui indiquerait que son sort avait été scellé avant même sa première rencontre avec l’ancien directeur. Le CSC compte donc, aujourd’hui, deux comptables en CDI même si la terminologie du contrat de la seconde (responsable administrative et financière) est différente. Précisons que les contrats de travail doivent systématiquement être visés par le président de la structure***. Se pose la question des nombreux contrats signés entre 2019 et 2020, comme le dénoncèrent beaucoup d’anciens membres du CA (lire notre article du 3 février). A titre d’exemple, selon Sophie Pêcheur, avant l’arrivée de Guillaume Hoslteyn, « il n’y avait jamais eu d’adjoint à la direction » ce que confirment les rapports d’assemblée générale 2017 et 2018.Ce type d’agissements ne peut que prêter à débat. « Les gens du bureau ne se doutent pas qu’ils sont responsables sur leurs biens personnels. Le président d’une association a une responsabilité financière. Le patron n’est pas le directeur, qui est salarié, et la présidente de l’époque et son bureau ont laissé faire ». Accusation dont Marie-Jeanne Tivollier se défend encore. Sa démission, le 23 septembre 2020, avait du reste été justifiée par le désaccord autour de l’attribution des locaux de Pugnet à Al Andalous (lire notre article du 9 février). Quant à Jean-Gérard Langlois, il dit avoir pris connaissance de la gravité de la situation à son élection à la présidence (il était auparavant au conseil d’administration). A noter que le rapport moral du 15 octobre 2020 du président entre octobre et décembre 2020, Mehmet Dogan, ne fit aucune mention de quelconques problèmes de ressources humaines ou de gestion administrative et financière au sein du CSC. « Un nouveau directeur, Guillaume Holsteyn, est arrivé en cours d’année (mai 2019) et a consacré ses premiers mois à découvrir le CSC, les habitants et les partenaires du quartier. Parallèlement, il a rapidement initié un travail de réorganisation pour redresser les finances, nous permettant de clôturer l’année 2019 sans pertes » , déclinait-il. L’heure était encore aux projets, à la célébration des 50 ans du centre ainsi qu’à la satisfaction de voir les comptes 2019 en positif.Actuellement au chômage mais sans allocations, Sophie tente de joindre les deux bouts avec trois enfants à charge mais ne regrette pas d’avoir réclamé « un licenciement judiciaire » sans quoi « je serais aujourd’hui encore salariée avec deux personnes sur un seul poste ». Elle avoue ne pas « comprendre comment le CSC peut se retrouver à genoux ». Elle insiste : « Les membres du bureau de toute association sont des bénévoles, bien souvent, ils ne savent pas à quoi ils s’engagent. Ces personnes ne sont pas toujours formées en matière de droit du travail ou de gestion de budget. Le système global des associations et des responsabilités est dangereux ». « Lors des embauches ou des licenciements » , abonde Isabelle Belin, « le CA, dont je faisais partie, n’a jamais été consulté. Le directeur nous disait ne pas avoir besoin du CA pour prendre les décisions. Nous n’arrivions pas à travailler avec lui ». Elle démissionnera le 24 septembre 2020, au lendemain du départ de la présidente. L’audit se chargera sans doute d’éclaircir ces points d’interrogation.Reste donc à connaître les responsabilités de chacun, là-dedans.

Le directeur, un dirigeant de fait ?

Ce sont les statuts qui délimitent les pouvoirs de direction dans une association. Le dirigeant de droit est en règle générale le président de l’association, ou les personnes à qui il délègue les pouvoirs, bien qu’il reste co-responsable des actes réalisés au nom de l’association. Le ou les dirigeants reçoivent ainsi mandat pour agir au nom et pour le compte de l’association et peuvent être à la fois dotés du pouvoir de représentation et de décision. Notons que lorsqu’une association fonctionne avec un CA et un bureau, ces pouvoirs distincts – représentation et décision – peuvent être distingués : le CA a vocation à assurer la bonne marche de l’association en accord avec les décisions prises en assemblée générale, le président représente, quant à lui, l’association auprès des tiers et doit respecter l’objet fixé dans les statuts. Les autres membres du bureau, secrétaire et trésorier, assurent la gestion administrative et la comptabilité de l’association. Au CSC, plusieurs directeurs se sont succédés et il apparaît que plusieurs membres du conseil d’administration ont claqué la porte avant que les fuites ne se succèdent. Une question reste en suspens pour l’heure, simplement étayée par de nombreuses allégations : le directeur du centre, qui cristallise l’ensemble des foudres, a-t-il outrepassé les pouvoirs qui lui incombaient, devenant ainsi dirigeant de fait ? Quoiqu’il en soit, la responsabilité pourrait être, dans un cas, celle du président en exercice lors des manquements – en l’occurrence Marie-Jeanne Tivollier, si ceux-ci étaient confirmés par l’audit financier. Dans l’autre cas, elle pourrait être partagée en cas de requalification. Néanmoins, si d’aventure l’ex-directeur avait engagé des frais au nom de l’association, au-delà de sa mission de direction, sa responsabilité personnelle pourrait être engagée, comme nous l’a confirmé un professeur d’université, spécialiste du droit pénal des personnes morales. Enfin, s’il devait y avoir une requalification de son poste en dirigeant de fait, d’autres questions, d’ordre fiscal, viendraient se poser. En effet, si le fisc venait à considérer que le directeur salarié du CSC s’est comporté comme un dirigeant de fait, sa rémunération causerait des difficultés à l’organisme lui-même, pouvant lui faire perdre son statut privilégié. Dans une instruction fiscale du 18 décembre 2006, l’administration a précisé que cette requalification pourrait être acquise s’il est avéré que les membres du conseil d’administration n’exerçaient pas leur rôle, « en particulier celui de contrôler et de révoquer ce salarié, et le laissant en fait déterminer la politique générale de l’organisme à leur place. » Si tel était le cas, entre autre partage de responsabilités, serait également mise en avant « un leadership » pouvant occasionner une telle requalification… Tout cela restant, à l’heure où ces lignes sont publiées, à conforter ou infirmer. Sans compter que de l’argent public irrigue ses comptes, cette page de la vie du CSC devra être tournée en espérant que la cour régionale des comptes ne vienne y mettre son nez. En matière de responsabilité, il y a en effet de quoi s’interroger, dans cet épineux dossier. 

* Seul en lice, il sera élu avec 9 voix pour, une contre et trois abstentions. Il succéda ainsi à Mehmet Dogan, démis de ses fonctions par un vote de confiance réalisé à bulletin secret. C’est ce même 22 décembre que la secrétaire et le vice-président, Mohamed Daif, donnèrent leur démission. Il faut revenir à la réunion du CA du 18 décembre pour comprendre : plusieurs membres du bureaux exprimèrent ce soir-là leur défiance à l’égard du président. Motif invoqué, le bureau « ne respecte pas son engagement de faire des comptes-rendus réguliers de ses travaux » .
** En 2018, le compte administratif était en négatif, -19 378 du fait d’une baisse des provisions pour charges. Les provisions pour risques n’ont pas été abaissés alors qu’un conflit de droit social était déjà en cours. De fait, 50 000 euros de charges exceptionnelles ont été ajoutées au budget 2020. Ce conflit aurait dû être provisionné dès 2018.
*** Le directeur du CSC peut uniquement signer des contrats en CDD inférieurs à 3 mois.

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1 commentaire

Sophie Pecheur

20/02/2021 à 09:06

En fait, le rôle du comptable d'association et à fortiori celui de responsable administratif et financier, est de seconder le directeur et les membres du bureau dans la bonbe gestion de l'association en assurant un suivi budgétaire et de trésorerie et en participant activement au bilans a rendre aux financeurs, aux budgets et demandes de financement. Il a également un rôle de vigilance en terme de bonnes pratiques de gestion financière et de ressources humaines (en veillant notamment au bon respect du droit du travail )

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