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Chambéry : le centre social des Combes dans l’œil du cyclone

Par Jérôme Bois • Publié le 03/02/21

Que se passe-t-il au centre social et culturel des Combes ? Pourquoi cette agitation dans les rues des Hauts de Chambéry autour de cette structure ? Les langues se délient, les accusations prennent corps et tous les regards se tournent vers le directeur du centre, Guillaume Holsteyn, au sujet duquel une procédure de rupture conventionnelle a été engagée après que le conseil d’administration a refusé de lui imputer une faute grave. En attendant, la sphère sociale vacille pour la troisième fois, sur les Hauts, après la mort des centres des Châtaigniers et de Pugnet.

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Une alerte a été lancée par Chambéry Cap à gauche, le 1er février : « que se passe-t-il au centre social des Combes », interroge le groupe politique, bien implanté sur les Hauts de Chambéry ? Rien de nouveau, serions-nous tentés de dire puisque les premiers soupçons de débâcle financière remontent à l’été dernier, laissant surgir le spectre d’une nouvelle défaillance d’une structure sociale sur les Hauts de Chambéry après Pugnet et plus anciennement les Châtaigniers. Et puis voici que les adhérents du centre se voient informés par courrier, en ce début d’année, que le centre vit des heures sombres : « Le conseil d’administration, élu lors de l’Assemblée générale d’octobre 2020, s’est réuni le 14 novembre, les 18 et 22 décembre, et le 11 janvier. Les nouveaux administrateurs ont découvert progressivement une situation très problématique, en particulier sur le plan financier, à laquelle ils ne s’attendaient pas du tout. Cette situation résulte principalement de graves négligences de gestion, malgré les alertes successives des différents financeurs (Ville de Chambéry, Caisse d’allocations familiales, État, Département, Agglomération) ». Les bases sont posées, il reste à comprendre et démêler le vrai du faux parce que comme nous le disait l’ancienne présidente du CSC, Marie-Jeanne Tivollier, « ça parle dans tous les sens ».

Un trou financier « jamais connu en 50 ans d’existence »

Le groupe politique Chambéry Cap à gauche s’est interrogé publiquement sur la situation au CSC.
Cette négligence stigmatisée par la lettre aux adhérents est personnalisée par le futur ex-directeur du centre social et culturel (CSC), Guillaume Holsteyn, avec qui le conseil d’administration « a décidé de rompre toute collaboration ». Une rupture conventionnelle serait actuellement négociée, le CA ayant refusé de lui imputer toute faute grave. « Il a foutu la merde » , commente, laconique, un proche du dossier. A partir de là, les spéculations vont bon train. Recruté en mai 2019 suite au départ en retraite de la précédente directrice, il débarque à Chambéry avec les meilleures recommandations alors que « le CSC était déjà en difficulté en termes de dynamique » , se souvient Driss Bourida, ancien conseiller municipal référent du quartier. Sur le plan politique, l’intéressé avait déjà quelque expérience, il figurait sur la liste EELV conduite par Esther Benbassa, aux sénatoriales de 2017 à Paris. «Il pensait alors attirer du monde et était arrivé avec plein d’idées ». Sa compétence ne semblait pas pouvoir être remise en cause : « Le centre est géré par les habitants pour les habitants, le recrutement a donc été géré par les membres bénévoles du centre » , détaille Farid Rezzak, adjoint en charge du quartier dans l’actuelle majorité. « Les demandes de référencements qui ont été faites se sont révélées positives. J’ai participé à son recrutement, il y a eu une vraie consultation ». Pourtant, il faudra à l’adjoint chambérien attendre la sortie de l’été 2020 pour percevoir un dysfonctionnement : « Il fallait laisser passer l’été, parce que nous avions jusque là entendu toute sorte de choses, c’est à la sortie de l’été que l’on voit si ça dysfonctionne mais je ne sais pas pourquoi ça n’a pas été vu avant ». Vu par la précédente majorité, s’entend.Le voici avec « un sujet qui nous tombe dessus ». Les services et les financeurs alertent la nouvelle majorité, aux affaires depuis le 3 juillet 2020 sur « de graves manquements » : d’ordre administratif, comptable, en termes de ressources humaines et d’activité. « Ce que je peux vous dire aujourd’hui, c’est qu’il n’y a eu ni enrichissement personnel ni détournement de fonds », promet Farid Rezzak. « Mais les financeurs avaient du mal à obtenir une situation comptable claire du CSC. Il y a clairement eu négligence ». Une négligence confirmée par l’ancienne présidente du centre, aujourd’hui au conseil d’administration, Marie-Jeanne Tivollier, qui avait été « amenée à démissionner de façon brutale » , selon elle*. « Au fil du temps, nous avons eu un véritable différend avec le directeur, les choses s’étant aggravées autour d’un fait, le non-respect des statuts ». Sur le coup, elle s’interroge mais ne voulait « surtout pas lâcher ». Ce que l’on sait, c’est qu’il y a aujourd’hui un trou financier « jamais connu en 50 ans d’existence ». La vice-présidente ne confirmera toutefois pas le chiffre de 62 000 euros soufflé çà et là. Pour Aloïs Chassot, aujourd’hui dans l’opposition, le chiffre pourrait être trois fois supérieur. « Nous étudions actuellement les possibilités pour pallier ce trou ». A la demande des élus de la majorité Repentin, un audit financier va être mené durant ce mois de février, à la fin du mois, la situation dans le détail devrait être connue.

« Il nous avait vendu un véritable réseau national »

Pourquoi un tel gouffre financier ? « Il a négligé la demande des subventions et les bilans des actions du centre. Nous recevons une partie des subventions lorsque l’on met une action en œuvre, le reste arrivant après divulgation du bilan de l’action » , bilan préparé par les animateurs, dans ce cas non transmis par le directeur. Parmi les dysfonctionnements observés, le logement de fonction que Guillaume Holsteyn n’aurait pas occupé mais qu’il aurait proposé à l’un de ses collaborateurs. « Non, c’est une interprétation » , reprend Marie-Jeanne Tivollier, « il n’y a pas de logement de fonction ». Selon Farid Rezzak, « un animateur du CSC a bénéficié gratuitement d’un ancien logement mais c’est assez flou : il existe deux versions à ce sujet, le directeur lui aurait fait bénéficier du logement ou un ancien élu de la précédente majorité lui aurait donné les clés ». Aujourd’hui, la municipalité travaille « à trouver un autre logement à cet agent » , dans des conditions normales. 

Guillaume Holsteyn
« Je pense qu’il y a eu des problèmes de gouvernance, en particulier sur le partage des pouvoirs » , explique Farid Rezzak. « La Caf participe au financement de trois postes : le directeur, la personne en charge de l’accueil au droit et le secrétariat. Avec son budget, l’association fait ce qu’elle veut ». De nombreux contrats auraient ainsi été signés sous sa direction, bien plus que ce qui existait auparavant, « des recrutements faits sans que le CA en ait été informé, au sujet desquels il est difficile de trouver les fiches de poste. Des financements n’avaient pas été fléchés pour le recrutement ». Ainsi, alors que la comptable de l’association était en arrêt maladie, une nouvelle comptable est arrivée… en CDI. « J’en ai entendu parler » , confirme l’élu. Mais ce n’est pas tout : « Sur le plan financier, des acteurs n’ont pas été payés » , soutient Driss Bourida, « alors qu’à son arrivée, il nous avait vendu un véritable réseau national et affirmait qu’il allait avoir le plein de finances. Il a tout de suite pris le leadership » , jusqu’à s’imposer de partout dans le quartier « alors qu’à ce que j’entends, il n’a monté aucun projet ». Cette situation est d’autant plus troublante que du fait de la crise sanitaire et du confinement, « il doit rester de l’argent ». « Il y a eu des subventions de dépensées pour des actions non faites ou pas totalement » , reprend Farid Rezzak. « C’est pourtant de l’argent public. Nous avons été clairs, nous ne donnerons pas de fonds publics, on ne laissera rien passer, il y a eu des fautes graves, lourdes ». Une façon de répondre aux rumeurs faisant du directeur un personnage « protégé » par la mairie. 

Et maintenant, revenir aux missions essentielles du centre social

De la négligence, l’association « Dépanniers », qu’il co-présidait, en aurait également fait les frais puisqu’impliqué dès la création de la structure le 7 mai, lors du premier confinement de mars, l’ex directeur n’aurait en définitive… jamais déposé ses statuts en Préfecture de Savoie, à la grande surprise des autres membres, parmi lesquels des élus de Demain Chambéry. Or, « Dépanniers » , qui disposait de toutes les autorisations requises, a alimenté de nombreuses polémiques, au sein du quartier puisque de nombreux repas n’auraient pas été facturés et « des gens se sont retrouvés avec des paniers repas alors qu’ils n’avaient rien demandé » , souffle Driss Bourida, « je l’avais du reste dénoncé » , ajoute-il. Ces informations sont cependant difficiles à confirmer : « Les statuts de l’association devaient être déposés, ils ne l’ont jamais été. Et nous n’avons pas de compte bancaire » , résume Irwin Roussel, trésorier de Dépanniers. « La mission du CSC était de facturer et d’établir les listes des personnes bénéficiaires avec les services de l’Etat et des assistantes sociales ». « S’il s’agissait d’une action louable » , reconnaît Aloïs Chassot, « il ne fait aucun doute que cette association avait des visées politiques, pendant la campagne, nous avions eu ce genres d’échos ». Des échos faisant état d’un vif soutien du directeur à la candidature de Thierry Repentin. Depuis octobre 2020, le CA se réunit très régulièrement pour tenter de trouver une sortie honorable à cette situation, un expert comptable a même été nommé. Quant au centre à proprement parler, il se trouve être le troisième à connaître une situation calamiteuse après les centres des Châtaigniers et de Pugnet**. « S‘il faut le municipaliser, ce sera une transition et pas du » quoi qu’il en coûte «. Nous n’avons pas le droit d’avoir un centre social qui se casse la figure » , tranche Farid Rezzak. Se pose alors la question du modèle de ces centres sociaux, un point sur lequel Aloïs Chassot souhaite appuyer : « Nous avions commencé à réfléchir durant la campagne sur un nouveau mode de gouvernance, les cas des Châtaigniers et de Pugnet nous avaient faits tiquer. Une ville finance un centre social et n’est pas impliquée dans sa gestion. Pour nous, il était très difficile d’avoir accès aux comptes, sauf que comme nous avions plutôt tendance à lui faire confiance, nous lui avions laissé du temps. En début de mandat, je pense que les choses auraient été différentes ». Pour Driss Bourida, « le sujet doit être désormais traité techniquement, pour le quartier, les centres sociaux ne fonctionnent pas et les gens n’en peuvent plus. La Caf apporte beaucoup d’argent dans le financement des centres sociaux, elle a un cadre juridique ». Peut-on alors changer de modèle ? Difficile à dire « mais il faut agir vite, revenir à l’essentiel des missions du centre me semble la bonne solution car ce qui se passe aujourd’hui fragilise une nouvelle fois le quartier ». « Il ne peut pas y avoir un centre social comme seul pilier de l’action sociale sur les Hauts » , abonde Farid Rezzak, « nous voulons qu’il se recentre pleinement en tant que centre social ».C’est une sorte de boule puante dont se serait bien passée le conseil municipale, concerné à plus d’un titre puisque la compagne du directeur Guillaume Holsteyn est membre de cette assemblée, en qualité d’adjointe.
Contacté, Guillaume Holsteyn n’a pas donné suite à nos demandes d’interview. 
* Suite à la mise à disposition des locaux de Pugnet à l’association Al Andalous, dont l’activité principale est l’enseignement de l’arabe et d’étude sur l’islam. Une mise à disposition qui n’a, semble-t-il, fait l’objet d’aucune convention passée avec la mairie, ce que nous a affirmé Aloïs Chassot. « Nous avions adressé un courrier à la mairie, suite à cette démission et autour de l’attribution de ces locaux à l’association, afin d’y voir plus clair. Nous l’avions fait cet automne, nous n’avons jamais eu de réponse ».  Le 1er décembre dernier, une perquisition, autorisée sur ordonnance du tribunal judiciaire de Paris, avait été menée au domicile de son président, Farid Slim pour « apologie de terrorisme ». Une perquisition qui avait suscité « l’incrédulité » des membres de l’association.
** Un collectif s’est formé afin de reprendre les activités du centre social de Pugnet, jusqu’ici sous la tutelle du CSC.

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1 commentaire

Unknown

03/02/2021 à 21:45

Juste une précision : l'association Posse 33 a repris une partie des activités de l'ancienne structure et anime depuis 2 ans, avec les moyens qu'on lui a attribué, l'animation de la vie sociale sur les Châtaigniers. En lisant l'article, on pourrait penser qu'il ne se passe plus rien aux Châtaigniers ce qui n'est pas juste.

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