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Chambéry : révélations en série autour du centre social des Combes
Par Jérôme Bois • Publié le 09/02/21
Plus d’une semaine après que nous vous ayons dévoilé les premiers contours de ce qui allait être l’affaire de ce début d’année, voici que se succèdent témoignages et révélations, sur les agissements d’un centre social et culturel plus que jamais au centre des attentions. La majorité municipale fait front tandis que les incendies se déclarent un peu partout à mesure que les langues se délient.
A l’heure où nous écrivons ces lignes, le conseil d’administration du centre social des Combes n’a pas encore ajouté sa voix au concert de témoignages sur les agissements de l’ancienne direction. C’est peu dire que celle-ci serait un bénéfice afin d’y voir clair et comprendre ce qui a pu leur échapper. Le centre vacille, perd ses feux, petit à petit, et nombreux sont ceux qui ne veulent pas le voir mourir d’un trépas anonyme. Toutes les énergies se concentrent à conserver ce « pilier de la vie sociale » , à cette heure. Reste à comprendre précisément comment on en est arrivé là.
« J’étais tombé dans un piège »
Administratrices pendant trois ans, Isabelle et Angi ont vivement réagi, sur les réseaux sociaux, aux divers écrits de la semaine passée et se désespèrent de voir leur centre ployer sous la tempête médiatico-politique. Leur courroux est plus qu’à fleur de peau. « Nous nous sentons aujourd’hui accusées par plusieurs personnes, dont l’ancien directeur et d’autres, de ne pas avoir fait notre travail correctement. On parle à notre sujet de » problème de gouvernance «, d’avoir » laissé trop faire le directeur «, quand d’autres parlent d’un » manque de dynamisme du centre «, etc. Tous ces grands mots ne sont pas pour nous, nous voulons des faits concrets nous concernant, si vous en avez ! » Habitantes du quartier « ayant fréquenté le centre social-culturel des Combes, puis ensuite administratrices pendant 3 ans, nous avons démissionné du conseil d’administration du centre parce que l’ancien directeur Guillaume Holsteyn considérait qu’un CA ne » servait à rien « et refusait de nous informer de ce qui se passait au centre et de répondre à nos questions ». Mohamed aussi était administrateur, pas très longtemps, l’automne dernier, mais suffisamment pour se rendre compte que les dysfonctionnements demeuraient trop profonds pour être comblés. « J’ai été un administrateur éphémère » , se souvient ce membre du collectif Chambéry à venir, « j’y étais entré au cours de la formation de la nouvelle assemblée le 15 octobre 2020. Au départ pour donner un coup de main et redresser le CA. Nous étions plein de bonnes volontés ». A cet instant, un afflux massif de bras du quartier devait remettre le CSC d’aplomb. « Mais on a découvert des cadavres dans les placards, des demandes de financements non faites, des comptes-rendus d’actions non envoyés… Il n’y avait aucun rapport d’activité, aucune feuille de route ». Des manquements qui ont incidemment provoqué le blocage des financements. « Notre tâche est tout de suite devenue compliquée. Il aurait fallu licencier des gens mais nous ne nous sentions pas légitimes pour le faire, alors que nous venions d’arriver, ces gens, nous ne les avions pas embauchés ». Direction et CA se renvoyaient allègrement la balle, selon Mohamed. « J’étais tombé dans un piège ». L’audit sur les finances du centre devrait dévoiler en grand angle l’ensemble de ces manquements. Jusqu’ici, toutefois, entre le conseil d’administration, la ville et la fédération des centres sociaux, le dialogue est bon, « la ville peut toujours se réserver l’option de ne pas remettre de subventions au vu de l’audit, mais là, actuellement, tout le monde fait son maximum pour aider la structure, et ça a toujours été le cas » , confie Olivier Meyer, délégué départemental de la fédération des centres sociaux des deux Savoie. C’est d’ailleurs également le sentiment de l’un des financeurs principaux de la structure « L’objectif de la Caisse d’allocations familiales, ce n’est pas de fermer des structures » confirme Marion Durand, conseillère thématique Animation de la vie sociale, enfance et jeunesse à vocation départementale à la CAF de Savoie, « notre objectif c’est de développer, de soutenir les partenariats avec ces structures sur le territoire ».« Les bénévoles du CSC » , poursuit Olivier Meyer, « ont fait ce qu’ils pouvaient et n’ont pas vu arriver les difficultés, il y a actuellement une bienveillance autour du CSC pour le sauver, il y a beaucoup de stress. Sur les erreurs de gestion ou pas, il n’y a pas d’arbitrage ni de coercition de la part de la fédération ». Il insiste néanmoins sur les compétences requises pour prendre la direction d’un centre social : « Un directeur de centre expérimenté regarde à deux fois avant de se lancer dans un projet. Il faut une rigueur quotidienne de gestion, des outils de pilotage, des procédures de contrôle, il faut se souvenir de pourquoi on est financé, comment on dépense, dans quel cadre, est-ce qu’on est conforme… C’est 80% de gestion rigoureuse, administrative et financière très claire ».
Une convention à retardement
Un autre exemple, flagrant, des largesses que pouvait se permettre la direction du centre social implique l’association Al Andalous. Cette dernière, en conflit avec la précédente majorité pour des autorisations de travaux de locaux qu’elle lui refusait, avait trouvé refuge dans les locaux du centre de Pugnet, alors sous la tutelle du CSC, après ses déboires financiers. Sans autorisation préalable de la mairie, comme l’exige pourtant l’article 5 de la convention passée entre l’ensemble des associations chambériennes et la municipalité. Cet article prévoit qu’une association peut s’engager à occuper des locaux pour ses activités ou à en faire bénéficier un tiers. Deux conditions se posent là : que l’association accueillie adhère à l’association accueillante et que soit signée une convention prévoyant les modalités d’occupation desdits locaux (activités, durée…) La convention entre le CSC et Al Andalous a donc été signée le 6 octobre… pour des locaux qu’elle occupait déjà bien avant. En effet, le clash entre Marie-Jeanne Tivollier, ancienne présidente aujourd’hui membre du bureau, et Guillaume Holsteyn, ex directeur, portait sur cette attribution de locaux qu’elle jugeait abusive, remontait au 22 septembre. « J’avais été alertée par des habitants du quartier, des cours d’arabe et d’éducation religieuse y étaient donnés ». Le CA n’aurait pas été consulté, d’une part, et le présumé caractère cultuel des enseignements mettait le centre dans l’embarras ; association de droit privé, elle reste une entité laïque. « Le lendemain, Guillaume Hoslteyn m’a incendiée, je décide de partir ». Nous sommes alors le 23 septembre, on prête alors à la future ex présidente des propos « discriminatoires » et « insultants » , dévoilait le collectif Chambéry à venir dans un post sur les réseaux sociaux (lire ci-contre). Dans sa lettre de démission adressée au CA, elle indiquait avoir « été saisie le 22 septembre vers 17 heures, d’un nouveau courrier » l’informant « de difficultés récurrentes dans l’usage des salles dont la gestion nous est confiée. M’étant rendue sur place pour m’informer plus avant, j’apprends qu’une association bénéficie de salles toute la semaine, à des heures où il n’y a plus de personnel (de 18h à 20h) pour des cours d’arabe y compris samedi et dimanche. Ceci ne me parait pas incompatible avec les activités nouvelles, aucunement. Mais une personne de l’association, dont les compétences n’ont pas été vérifiées, ajoute à ces cours d’arabe des séances d’histoire de l’Islam. Ce qui m’a amenée à réagir assez vivement par rapport à nos statuts et à leur respect dans une attitude fondamentale de respect de la laïcité ; principe que j’ai rappelé. Je ne vois pas en quoi cela peut être interprété comme propos islamophobes. C’est pourquoi je m’estime diffamée dans ma fonction, et mise en difficultés dans mes responsabilités de présidence et je contre-attaquerai en diffamation ma défense si le cas devait être évoqué devant les tribunaux ». Nous étions alors 15 jours avant la signature de la convention. Depuis fin janvier, le CSC a été dessaisi de la gestion des locaux et des activités de Pugnet par la ville, rappelait la lettre envoyée aux adhérents du centre début février. Pour Farid Rezzak, adjoint en charge du quartier des Hauts de Chambéry, « les gens d’Al Andalous ne peuvent être pointés du doigt. Ils ont fait une demande de locaux, ils l’ont obtenu ».
Culte ou culture ?
Seulement, sitôt le clash entre l’ancienne présidente et l’ex directeur, « on a demandé au centre de régler les choses vis à vis d’Al Andalous puisqu’il n’était pas en règle. On lui a demandé de tout clarifier ». Pour l’association, « les élus étaient bien au courant, ce ne pouvait pas être une découverte. Nous avions occupé les locaux de Pugnet de septembre au second confinement, uniquement pour nos cours et la possibilité, le dimanche, de nous réunir » , précise Teddy Dupin, vice-président d’Al Andalous, par ailleurs directeur du centre social des Moulins, à Mérande. Soit jusqu’autour du 29 octobre. Avec la mandature Dantin, les relations étaient pour ainsi dire inexistantes, « nous n’avions pu avoir aucune discussion ou temps d’échange. Une association musulmane, ça crée des peurs » , soupire-t-il. Si la ville gérait les locaux de Pugnet jujste après la fermeture du centre social, elle en a ensuite cédé la gestion au CSC. Installée dans un local privé place du Forum, l’association souhaitait y faire des aménagements. Jamais elle n’obtint les autorisations nécessaires, « pour des raisons injustifiées et injustifiables ». Association de loi 1901, « nous ne pratiquons pas de culte, nous étudions l’islam et organisons des séjours pour les adolescents et les familles ». Pour beaucoup, elle est le symbole du lien social qui s’opère sur le quartier. Pour d’autres, elle enseigne la religion. Si le site internet de la ville classe Al Andalous dans les rubriques « spiritualité et religion »*, l’association a bien été enregistrée au greffe des associations comme étant « culturelle », nous signale la Préfecture. Depuis le changement de gouvernance, à la mairie, la dialogue s’est toutefois noué : « On leur avait suggéré les Combes parce qu’ils disposaient de salles, ils ont dit oui » , ajoute Teddy Dupin. La difficulté provient aujourd’hui d’un problème de sémantique : Al Andalous est-elle une association cultuelle ou culturelle ? La nuance est énorme. Un travail est en cours avec la ville, promet Farid Rezzak, afin de clarifier toutes les zones d’ombres autour de ce dossier. Fin octobre 2020, la ville finit par récupérer les clés, « nous avons repris la main sur Pugnet » , rembobine l’adjoint, « plus personne n’occupe ses locaux. Maintenant, c’est nous qui allons conventionner les associations en vue d’occuper cet espace ». Dans tous les cas, Nathalie Colin-Cocchi, aujourd’hui dans l’opposition et auparavant adjointe à la jeunesse, s’interroge : « Un CSC n’a pas vocation à faire de la politique ni du culturel ». Du cultuel encore moins. Pour ce qui est de la politique, la guerre des nerfs a d’ores et déjà été déclarée (lire notre article du 6 février)**. Nombreux – en dehors de l’opposition chambérienne – sont ceux, en effet, qui réclament que la lumière soit faite sur d’éventuelles ingérences du centre ou de son directeur dans la dernière campagne, « pour nous c’est la question essentielle et nous attendons une réponse » , concédait Marc Pascal, d’EELV. En attendant, le déballage continue…
* L’ancien président Farid Slim, dont le domicile avait fait l’objet d’une perquisition en décembre dernier, a vu le parquet de Paris reconnaître « le caractère injustifié de ma perquisition, cela démontre que nous sommes toujours dans un état de droit, il ne manque plus que la confirmation par le juge en charge de l’instruction qui sera rendue le 31 mars ». Ce message a été posté sur les réseaux le 8 février.
** Le centre social des Combes avait accueilli plusieurs réunions publiques et soirées festives de candidats aux municipales. Ce qui ne peut lui être reproché. L’article L. 2144-3 du code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoit en effet que : « Des locaux communaux peuvent être utilisés par les associations ou partis politiques qui en font la demande. Le maire détermine les conditions dans lesquelles ces locaux peuvent être utilisés, compte tenu des nécessités de l’administration des propriétés communales, du fonctionnement des services et du maintien de l’ordre public. Le conseil municipal fixe, en tant que de besoin, la contribution due à raison de cette utilisation. » Le maire ou le président d’EPCI est donc seul compétent pour se prononcer sur toute demande de mise à disposition d’un local communal. Tout refus de sa part doit être motivé. Un refus ne peut être légalement opposé, par l’exécutif local, que pour des motifs tirés des nécessités de l’administration des propriétés communales ou intercommunales, du fonctionnement des services ou du maintien de l’ordre public. Est donc illégal, un refus fondé sur la seule couleur politique du demandeur.
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