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Economie : pas d’explosion des dépôts de bilans en Savoie en 2020
Par Laura Campisano • Publié le 18/02/21
Boom des créations d’entreprises et baisse drastique, voire historique, des dépôts de bilan, procédures collectives et faillites personnelles sur le département, les prévisions fatalistes qui ont entouré l’année écoulée ont finalement été déjouées. Du moins pour le moment, puisque les aides de l’Etat ont permis de maintenir « artificiellement » certaines entreprises à flots, ce qui a amené Jean-Michel Dufour, président du Tribunal de commerce et successeur de Gil Sanzogni, à tendre la main aux entrepreneurs dès l’ouverture des travaux de l’année 2021 de la juridiction, le 5 février dernier.
Des chiffres jamais vus en 30 voire 40 ans sur le département, voilà ce qui en substance a marqué – et inquiété – l’ensemble des juges consulaires et du greffier du tribunal de commerce de Chambéry, à l’heure du bilan de l’année 2020 en termes de procédures collectives et de dépôts de bilan. Car si la tentation est grande de se réjouir, ce que pointe du doigt la juridiction commerciale est l’absence quasi totale d’appels à l’aide de la part des entrepreneurs, quand bien même leur situation s’avérerait complexe.
Une « prospérité économique » qu’il faut prendre avec précaution
« Le tribunal de commerce est en quelques sortes la caisse de résonance de l’économie locale », prévenait Frédéric Mey, greffier du tribunal de commerce, au moment de dresser le bilan chiffré des activités du tribunal de commerce au titre de l’année 2020, « mais peut-on dire à le lire, que la situation économique va très bien ? » Une interrogation légitime, tant les chiffres sont « exceptionnels » , au sens premier du terme. Car nous le disions dans notre article du 12 février dernier, les créations d’entreprises, qu’elles soient locales ou nationales, ont littéralement décollé. En Savoie, 1 331 immatriculations au registre du commerce ont été enregistrées en 2020 contre 1 127 en 2019, soit une hausse de 18 % sur le département, de 5% pour les immatriculations de sociétés commerciales, et de 3 % pour les sociétés civiles. Cela, nous l’avions vu, s’explique par la création de nouveaux besoins, en lien avec la crise sanitaire. Mais pas uniquement. Il y a bien sûr les activités de livraison à domicile et de e-commerce « qui sont des activités porteuses, avec une progression à deux chiffres », détaille Frédéric Mey, « et il y a aussi la volonté de se sortir du chômage en créant son entreprise. »
Un engouement qu’a souhaité tempérer Pierre-Yves Michau, procureur de la République du Tribunal judiciaire de Chambéry invitant les néo-entrepreneurs à faire preuve de prudence avant de se lancer : « La liberté d’entreprendre en France est quasiment absolue, alors que toute activité commerciale s’exerce dans un cadre économique, comptable, administrative et juridique, dont les règles sont parfois complexes, et dont l’ignorance ou la méconnaissance conduit souvent à la déconfiture. La seule volonté ne fait pas le chef d’entreprise », a-t-il exposé. En effet, le Parquet sanctionne les comportements allant à l’encontre des règles du commerce, en hausse en 2020 de 27 %, avec le prononcé de 51 interdictions de gérer, 12 faillites personnelles et 3 décisions de comblements de passif. « Ces décisions favorisent la neutralisation des commerçants malhonnêtes ou indélicats, tout en écartant ceux qui ne sont pas malhonnêtes mais incapables d’exercer correctement une activité commerciale et peuvent causer d’importants dégâts et préjudices à leurs partenaires. » Rapides et coercitives, les réponses en matière commerciale sont plus rapides que les recours par la voie pénale, et s’avèrent plutôt efficaces. L’idée n’étant pas de dissuader ou de doucher l’enthousiasme entrepreneurial mais plutôt de faire preuve de pédagogie, jusqu’à « songer à imposer à tout candidat à l’entrepreneuriat une formation minimale, contrôlée, quant aux règles légales, comptables, règles de gestion afin de mettre fin aux dépôts de bilans à répétition et aux faillites d’habitude. » C’est là même que les incubateurs, les citéslabs comme celui de Grand Lac, montrent toute leur utilité, puisque les créateurs sont accompagnés de la création à la réalisation. Mais tous les entrepreneurs ne font pas forcément cette démarche…
Moins de procédures collectives, pour le moment
Les procédures collectives ont quant à elles, chuté comme cela n’avait pas été vu depuis les 30 dernières années, comme le souligne Frédéric Mey « Il n’a pas été prononcé aussi peu de procédures collectives en Savoie depuis les 30 dernières années, la baisse de procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation est de 34%. Nous sommes loin du pic de 2009, après la crise financière puis économique, où 584 procédures avaient été diligentées à cette époque dans le département. » Il en va de même pour les prononcés de mandats ad hoc* et de conciliation** qui « chutent de façon vertigineuse, – 68%, et l’on peut retrouver ces tendances au niveau national », ainsi que les contentieux liés aux impayés, que tous avaient imaginé flamber « cela n’a jamais été aussi bas depuis 40 ans » avec une baisse de 43% des contentieux.
Cela aussi, s’explique. Tout d’abord, 40% des saisines en procédure collective*** sont initiées par l’URSSAF laquelle a suspendu ses recours, évitant dès lors des dépôts de bilan attendus, pour des entreprises qui n’auraient, Covid ou non, pas pu poursuivre leurs activités. « Cela peut se comprendre également grâce aux mesures essentielles de soutien aux entreprises qui cachent la situation réelle de celles-ci, et l’absence – pour le moment – d’indicateurs significatifs des conséquences de l’arrêt des remontées mécaniques et des autres mesures de fermetures administratives, ordonnées depuis fin novembre 2020 », précise Frédéric Mey, « d’autant qu’il est très difficile d’établir des prévisions fiables concernant l’avenir économique de notre département. Cette imprévisibilité est renforcée par le caractère imprévisible lui-même de la situation sanitaire. » Nul doute que l’arrêt des remontées mécaniques, dont les activités représentent la moitié du PIB du département, auront des conséquences qu’il faudra supporter. Le chiffre bas des dépôts de bilan, Jean-Michel Dufour l’attribue quant à lui à « l’attentisme général dans l’espoir d’une reprise prochaine et forte », tout comme aux prêts garantis par l’Etat – d’un montant global de 130 milliards d’euros – au chômage partiel, aux reports de charges « qui donnent l’impression à ce jour que bon nombre d’entreprises sont sous anesthésie générale ». Car si la baisse de l’ensemble des procédures a pu donner du répit à certains entrepreneurs « l’inquiétude reste profonde », selon le président du Tribunal de commerce, « car les ouvertures participent à la prévention, permettant aux entreprises dans certains cas, de prendre conscience de leurs difficultés et de sauver leur entreprise en préservant un maximum d’emplois salariés. » Méconnaissance du droit des procédures collectives ou craintes – fondées ou non – de la juridiction, en tous les cas, Jean-Michel Dufour a appelé de ses vœux « que le mot tribunal ne soit plus une entrave pour nous rencontrer. Je rappelle que malgré les difficultés connues, l’an dernier il a pu être sauvé plus de 600 emplois grâce aux procédures de prévention, aux plans de sauvegarde, et de redressements, ou par le biais de cessation d’entreprises arrêtés par le tribunal », a-t-il fait valoir.
Un message de pédagogie et d’espoir en direction des entrepreneurs
C’est pourquoi le président a pris le temps de détailler chacun des outils mis à disposition des entrepreneurs, avant d’atteindre un point de non-retour appelé cessation d’activité ou liquidation judiciaire****. « Le tribunal de commerce est comme un centre médical », a-t-il expliqué, « plus vous attendez avant d’affronter le diagnostic qui fait peur, plus le mal progresse et plus les chances de rétablissement de l’entreprise s’amenuisent. Beaucoup de dirigeants viennent nous voir au stade terminal des difficultés de l’entreprise, quand plus rien ne peut être tenté pour la sauver. Je le regrette […] j’invite les chefs d’entreprise à nous saisir lorsqu’il est encore temps de le faire et solliciter un rendez-vous de prévention. »
Un tel discours amène à penser aux établissements toujours fermés, depuis plusieurs mois, ceux recevant du public, tels que les restaurants, les bars, les discothèques, les salles de spectacle ou encore les espaces de jeux, dont les aides ne suffiront peut-être pas à conserver une activité pérenne ou à redémarrer. « J’ai la conviction que la détermination, les facultés d’adaptation prouvées et le dynamisme des chefs d’entreprise savoyards, entourés de leurs équipes, nous permettront de sortir de cette crise particulièrement sévère pour notre département a conclu le chef de la juridiction commerciale, sachez-le, les 28 juges élus du tribunal de commerce eux-mêmes dirigeants d’entreprises ou anciens dirigeants, déploient ou déploieront tous les moyens et toute leur énergie afin de vous accompagner si vous les sollicitez. » Façon de dire que la balle est dans le camp des entrepreneurs, et que cette main leur est tendue, reste à savoir de quelle humeur se réveillera la Savoie, quand le temps de la reprise sera venu.
* Le mandat ad hoc est une procédure mise en place en amont de la cessation des paiements qui permet la désignation d’un mandataire pour aider l’entreprise à régler ses difficultés de nature économique, financière, sociale et juridique. C’est une procédure confidentielle dont le chef d’entreprise peut sortir à sa convenance.
** La procédure de conciliation a une durée de 5 mois en temps normal et de 10 mois en ce moment en raison de la crise sanitaire. Il s’agit également d’une procédure confidentielle, qui amène à la désignation d’un conciliateur poursuivant les mêmes objectifs que le mandataire. Elle permet également de trouver un accord avec les principaux créanciers, quand les démarches amiables sont difficiles.
*** Les procédures collectives (de sauvegarde ou de redressement) privent les créanciers collectivement de leurs droits d’agir contre l’entreprise débitrice avec pour objectif d’assurer la pérennité de l’activité et la sauvegarde de l’emploi. Elles visent l’élaboration d’un plan, permettant au chef d’entreprise de rembourser ses dettes dans un délai maximal de 10 ans.
**** Au sujet de la liquidation judiciaire, le président du Tribunal de commerce a indiqué que « les esprits ont évolué, cela est aujourd’hui considéré comme un incident de parcours qui peut ouvrir la porte vers une réussite future. Chaque entrepreneur est considéré comme une force vive de notre pays et à ce titre, il a le droit au rebond. S’il hésite à saisir ouvertement le tribunal de commerce, le chef d’entreprise peut rencontrer en toute confidentialité le président ou un juge délégué à la prévention. La loi l’autorise et aucune contrainte ne s’impose au chef d’entreprise à l’issue de l’entretien ».
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