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Grand Chambéry en équilibre instable

Par Jérôme Bois • Publié le 22/02/21

La séance du conseil d’agglomération du 11 février a établi de façon concrète que l’heure n’était plus aux amabilités au sein de l’exécutif de Grand Chambéry. La cohabitation entre deux blocs, née des accords de juillet 2020 semble avoir vécu. Si d’aucuns espèrent un apaisement favorable à une co-construction de projets, il se pourrait qu’une révolution de palais ne soit pas à exclure. La guerre froide revisitée ?
Lundi 22 février, 11 jours après que le clash en haut lieu a été rendu public, deux séances du conseil municipal se tiennent, conjointement, à La Ravoire et à Chambéry. Ce même jour devait avoir lieu une conférence des maires*, à l’initiative du président de Grand Chambéry, Philippe Gamen, décision incompréhensible pour les élus concernés dans la mesure où nul n’ignorait la tenue de deux réunions municipales dans deux des principaux bastions de l’EPCI. Finalement, nous apprenions, le 17 février que cette conférence était reportée. Un report de raison, alors qu’un maintien aurait ajouté de l’épice à un plat déjà corsé. Voici 11 jours, un clash de grande ampleur survenait en pleine réunion d’agglomération. Première vice-présidente, Aurélie Le Meur s’en prit vertement à un président contesté par une moitié de l’exécutif de Grand Chambéry : « Nous nous étions accordés sur une gouvernance partagée ; ce n’était pas évident mais cela s’imposait. Nous avions décidé de bâtir un exécutif partagé ». En effet, lors de la séance d’ouverture du nouveau conseil d’agglo, devant un échiquier politique nouveau, avec l’arrivée de forces émergentes, l’heure était à la cohabitation (lire notre article du 10 juillet). Certes, le président Gamen voulait instaurer une forme de continuité avec le précédent exécutif conduit par Xavier Dullin sur les plans touristique, agricole, culturel ou patrimonial. C’est toutefois sur la gouvernance que la donne allait changer. Les vice-présidents élus devaient ainsi se partager les deux colorations politiques, pro-Gamen d’un côté et pro-Le Meur de l’autre. Un équilibre dans le choix des hommes qui ne traduit pas un équilibre sur le plan de la représentativité, nous le verrons. Combien de temps cela pouvait-il tenir ? « Si de nombreuses communes sont » passées à gauche « et qu’à Grand Chambéry, le binôme de tête est de sensibilités différentes, force est de constater que tout converge à l’ouverture et à la concertation » , écrivions-nous, le 10 juillet, sitôt l’élection du président actée. Le 18 juillet, les 15 vice-présidents étaient connus, selon une répartition équilibrée**. 

« Ni fiançailles, ni mariage ni même lune de miel »

Mais sept mois plus tard, que reste-il de ces beaux discours inauguraux ? Un équilibre précaire. « Les actes différent des mots » , explique Aurélie Le Meur, « le fonctionnement du président est solitaire : les ordres du jour des bureaux ne sont pas construits en commun, en sept mois, nous n’avons eu que trois réunions des vice-présidents et des réunions de bureau pour un total cumulé d’une heure et 22 minutes. Enfin, plusieurs délibérations n’ont fait l’objet d’aucune décision collective. Nous avons fait les bons élèves mais la nomination des conseillers délégués a été la goutte d’eau ». Marie Perrier, Eric Delhommeau, Dominique Pommat, Pierre Brun et surtout Sylvie Koska avaient en effet été désignés par le président, « sans concertation préalable » , nous y reviendrons. « Un véritable déni de démocratie » , soutient la vice-présidente, « alors que j’ai été élue pour dénoncer ces pratiques politiciennes ». 

Aurélie Le Meur et Philippe Gamen, un ticket pas tout à fait gagnant.
En séance, Philippe Gamen avait semblé marqué : « Je prends note que tout va mal, que rien n’avance, je souhaiterais tout de même savoir combien, parmi vous, partagent cette vision des choses ». Devant les remontrances des uns et des autres, il arguait le harcèlement politique : « Depuis plusieurs mois, je subis beaucoup de pressions.Ces pressions ne me mettent pas en confiance. Oui, je romps les accords. Je ne suis pas en confiance, je prends ma part de responsabilité à 50% là-dedans ». « Mon message du 11 février se voulait un message d’alerte » , se justifie aujourd’hui Aurélie Le Meur, « je suis pour des assemblées où tout se discute, pas où tout ne tient qu’à la seule volonté du président parce qu’il a du mal à animer une instance de 15 VP. Il considère que la gouvernance partagée existe de fait, sous prétexte que le nombre de VP est équilibré mais ce que l’on veut, c’est une gouvernance de projet. C’est très facile de dire qu’il veut rompre les accords ». Seulement, le jeu politique joue son rôle à plein temps : « Beaucoup de conseillers sont là pour faire du jeu politique. Je trouverais vraiment dommage de risquer de perdre 5 ans à cause d’un immobilisme politique. C’est peut-être dans l’intérêt de la droite de bloquer l’agglo tout ce temps pour qu’il ne s’y passe rien. Elle a mis en place un président qui aujourd’hui, ne voit en moi que l’adjointe au maire de Chambéry et non la première VP ». En définitive, le ticket gagnant de juillet n’a pas été validé. « De ces accords de juillet, il n’y a eu ni fiançailles, ni mariage, ni même lune de miel ».

Un président qui représente un tiers des habitants de l’agglomération seulement

Ciblé de toutes parts, Philippe Gamen n’a pas pour autant souhaité donner suite à nos demandes d’entretien. Son entourage nous affirme qu’il ne veille qu’à « travailler avec l’ensemble des vice-présidents » pour un maximum d’efficacité. Il faut donc chercher dans les discours des uns et des autres des motifs d’espoir pour le maire du Noyer, petite commune baujue de 217 habitants, plongé dans la mare aux crocos: « Il faut pouvoir dépasser tout cela et travailler ensemble » , note Alexandre Gennaro, « nous ne sommes pas là pour nous invectiver. Depuis sept mois, une nouvelle agglomération est en place, avec de nouveaux conseillers, je n’ai certes pas soutenu la candidature du président mais il faut le soutenir et j’aimerais que l’on puisse discuter d’un véritable projet d’agglomération à construire ensemble ». Pour lui comme pour d’autres, l’approbation à l’unanimité du budget 2021 a été un signal fort. « Je suis élue depuis 2008, il me semble que c’est la première fois » , relève, satisfaite, Sylvie Koska. D’autres élus ne s’en contenteront pas. Ainsi, Thierry Repentin a-t-il pointé l’iniquité dans la représentation territoriale d’une agglomération de 139 000 âmes*** : « La candidature d’Aurélie rassemblait des élus de communes représentant un total de 90 000 habitants (soit près de 65% du nombre total d’habitants, NDLR), elle représentait une large majorité qui ne se traduit pas dans l’exécutif avec 7 VP. Et le président décide de rompre cet équilibre, c’est maladroit ». Au point de suggérer que sa candidature aurait été « anti-Chambéry. Dans l’esprit de la loi, on travaille avec les exécutifs choisis par les électeurs, la responsabilité de ce président est de trouver les moyens cet esprit demeure. Pour toute évolution de fond, il faut le vote de la ville-centre, son poids est essentiel et ne transparait pas aujourd’hui, une agglo ne peut avancer sans elle ». Il va plus loin : « J’ai été président de l’agglo entre 2000 et 2004, à l’issue d’un vote de 4 heures, face à Marius Pillet. Je lui avais alors proposé la 1ère vice-présidence, nous avions travaillé main dans la main, le débat était terminé. Cette dynamique n’existe pas aujourd’hui. Sous le mandat précédent, le président rencontrait une fois par mois, le samedi, le maire de la ville-centre, j’ai proposé qu’on continue. Il m’a été dit qu’il n’a pas les disponibilités pour ». « Pour moi » , abonde le maire de La Ravoire, « ça pose un problème qu’une agglomération soit dirigée par quelqu’un qui ne représente qu’un tiers des habitants ».

Sylvie Koska
En désignant de lui-même des conseillers délégués, sans concertation et en choisissant une élue de la minorité chambérienne ainsi que deux maires Baujus (Eric Delhommeau, maire de Bellecombe-en-Bauges et Marie Perrier, maire de Doucy-en-Bauges, s’ajoutant à Dominique Pommat et bientôt Pierre Brun), Philippe Gamen a élargi l’espace entre deux sensibilités. « Il forme un exécutif allant contre les intérêts de la ville-centre » , reprend Thierry Repentin. « J’y vois comme une grande méconnaissance des problématiques urbaines mais heureusement » , sourit-il, « ce choix n’est pas irrémédiable ». 

Sylvie Koska pouvait être nommée conseillère déléguée

La nomination de Sylvie Koska a donc été l’affront de trop après les griefs exposés par Aurélie Le Meur puisque membre de la minorité chambérienne, une désignation que le maire chambérien a apprise en visitant le site internet de sa ville, puis de Grand Chambéry, deux sites gérés par un service commun, « ce qui jette une suspicion sur les relations de confiance que nous devons avoir. ». Sylvie Koska, une élue « que le suffrage universel a récusée » symbolise, contre son gré, cette querelle de gouvernanceUn choix que l’intéressée estime pourtant parfaitement légitime. « Nous le sommes parce que nous représentons le deuxième plus grand nombre de voix à l’agglomération ». Élue et faisant partie du bureau, elle pouvait en effet prétendre à une délégation****. « Qu’un représentant de la ville de Chambéry obtienne une délégation me semble politiquement et démocratiquement juste ». Quant au mode de désignation, il reste à la discrétion du président. « M. Repentin avait refusé de prendre la compétence gens du voyage et ressources humaines » , compétences ayant échu à Brigitte Bochaton, maire de Jacob-Bellecombette. « Le président » , poursuit-elle, « est plutôt quelqu’un qui prend en considération ceux qui ont envie de travailler. Cette affaire fait beaucoup d’histoires alors qu’il s’agissait d’aider Brigitte à assumer cette double compétence ». « Je voyais qu’il y avait des enjeux d’équilibre, dans ces pressions au sujet de la nomination des conseillers délégués, ça ne me met pas en confiance » , expliquait Philippe Gamen le 11 février dernier. Dans la foulée, Brigitte Bochaton s’était également indignée : « J’ai repris les gens du voyage parce que personne n’en voulait. Or j’estime que c’est une communauté qu’il faut respecter. J’ai simplement apprécié que Mme Koska ait accepté de travailler avec moi. Je n’ai pas reçu d’autres coups de fil. Je ne trouve pas cela déshonorant, je trouve que c’est un procès d’intention qui lui est adressé » et bottait en touche tout acte politique derrière cette désignation alors que le spectre de sympathies entre la présidence et la droite chambérienne réapparaissaient dans certains discours off. « C’est un moyen de reconnaître le vote des citoyens » , rappelle Sylvie Koska, élue communautaire depuis 2008, « le vrai sujet, c’est désormais comme travailler ensemble, au service des habitants. Les résultats des dernières élections devraient plutôt nous donner de l’humilité » , conclut-elle.Thierry Repentin a dit ne pas vouloir reconnaître la légitimité de Mme Koska à ce poste de conseillère déléguée et annonce que « tout est possible » lorsqu’on l’interroge sur la perspective d’un nouvel exécutif. Démission du président ? Démission collective ? Ira-t-on jusqu’à obtenir un nouvel exécutif et peut-être un nouvel équilibre des forces politiques ? « C’est sûr qu’avec 41 voix contre 39 lors de l’élection du président, la révolution plane tout le temps. Philippe Gamen prend des coups, c’est le jeu, c’est un nouveau rôle pour lui. Mais je préférerais que l’on se chamaille sur de vrais projets » , relance Alexandre Gennaro, « sur de nouvelles compétences, sur le choix d’une compétence sociale, sur le schéma de transport cohérent à toutes les communes du territoire… » Aurélie Le Meur s’engage, elle, à « faire une proposition de gouvernance partagée » au président, « sur comment il est possible de se ressaisir et de se réunir. Nous exprimerons notre vision, nous dénoncerons, nous proposerons ». Mais les querelles devront prendre fin : Alexandre Gennaro annonce du reste son intention de « sonner la fin de la récréation » si les choses devaient demeurer en l’état « parce que l’on ne donne pas un bel exemple de ce que les élus doivent faire ». Il est vrai que sept mois d’immobilisme, dans l’esprit d’une moitié de l’exécutif, c’est déjà beaucoup. Et ce même si l’autre moitié de partage pas cette opinion.

* Elle rassemble les maires de toutes les communes membres de l’agglomération. La conférence des maires est obligatoire et débat de sujets d’intérêt communautaire.
**Ont été élus vice-présidents, dans l’ordre, Aurélie Le Meur, Luc Berthoud, Thierry Repentin, Jean-Marc Léoutre, Alexandre Gennaro, Brigitte Bochaton-Paturel, Franck Morat, Corinne Wolff, Alain Caraco, Michel Dyen, Jean-Benoît Cerino, Daniel Rochaix, Marie Benevise, Serge Tichkiewitch et Jean-Pierre Fressoz. Y figurent ainsi 5 élus chambériens et 3 maires des Bauges.
*** En 2017, Cœur des Bauges avait été intégrée à Chambéry Métropole, devenant ainsi Grand Chambéry. Un choix imposé par le préfet, dans le cadre de la révision du schéma départemental de coopération intercommunale, qui n’avait pas été du goût de tout le monde. Du côté bauju, on assurait compter le nombre d’habitants nécessaire pour continuer d’être communauté de communes (5 000 habitants).
**** L’article L. 5211-9 du CGCT dispose que le président « peut déléguer par arrêté, sous sa surveillance et sa responsabilité, l’exercice d’une partie de ses fonctions aux vice-présidents et, en l’absence ou en cas d’empêchement de ces derniers ou dès lors que ceux-ci sont tous titulaires d’une délégation, à d’autres membres du bureau. A la lecture de ce texte, il convient donc d’abord d’avoir été élu vice-président ou conseiller membre du bureau pour pouvoir bénéficier d’une telle délégation par le président » .

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1 commentaire

gerard Blanc

23/02/2021 à 17:30

Vivement l'élection des élu-es communautaires directement par les citoyen.nes, au suffrage universel comme les autres élu.es (sauf les sénateurs,...tiens, tiens) et sur des programmes débattus démocratiquement avant l'élection. Puisque certains ne semblent pas en capacité ou en envie de respecter le contrat initial de gouvernance partagée ... Vite, sortez de l'immobilisme et des petits intérêts particuliers, y'a urgence à agir et à changer de braquet, notamment face aux crises climatiques et sociales en cours

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