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Les opinions du Petit Reporter « Oh mon dieu ! Ils ont tué Berry ! »
Par Jérôme Bois • Publié le 17/02/21
J’avais déjà eu l’occasion de m’inquiéter de l’ingérence des réseaux sociaux dans notre système judiciaire, lorsque Gérald Darmanin avait été désigné ministre de l’Intérieur. Je pourrais le faire chaque semaine tant l’opinion se pense en mesure d’interagir sur tout et de faire rendre gorge à qui elle veut quand elle le décide. Elle est comme ça, l’opinion, un peu soupe-au-lait.
Tenez, voici deux semaines, sur le post d’un journaliste local, des anonymes avaient cru bon distribuer les points Godwin comme Jésus multipliait les pains, comparant la majorité chambérienne à un régime militaire allemand quelque peu vigoureux du mitan du XXe siècle. On n’est plus à une audace près, et on regrette amèrement que le ridicule, le pathétique, l’outrancier ne blessent pas à défaut de tuer. Il nous appartient alors de passer outre, de quitter ces réseaux ou d’essayer d’y faire le ménage puisque leurs milliardaires de patrons ne semblent pas disposés à le faire.
Seulement, l’opinion publique virtuelle cause parfois des dégâts collatéraux dont on ne peut faire semblant de s’étonner. Dernière victime, si j’ose dire, France 3 : éminente chaîne du service public, elle s’honore de divertir par la culture en tentant de tirer notre intellect par le haut. Vendredi 12 février, France 3 devait diffuser le téléfilm « la Loi de Damien », avec Richard Berry en vedette. Devait. Parce que dans un tragique élan de trouille, la chaîne a finalement déprogrammé le film dans lequel, ironie du sort, l’acteur interprétait un avocat. C’est le conseil de l’acteur qui a dénoncé l’indicible : « Ça signifie que plus jamais aucun film où Richard Berry apparaît ne sera programmé sur le service public », s’est interrogé Me Hervé Temime ? « Parce que la justice ne pourra jamais trancher donc CQFD (…) Qu’ils prennent un bon avocat. Avec des explications de cette nature, ils ont intérêt à être bien défendus, ça n’est pas crédible du tout ».
Les justifications de France Télévision étaient, il est vrai, assez risibles : « Afin de ne pas perturber les démarches juridiques dont la presse se fait l’écho entre Richard Berry et sa fille et en accord avec les ayants droits, France 3 décale la programmation de » La loi de Damien « et le remplace par » La loi de Julien «. Un prénom de changé, voilà qui est tranché ! C’est la victime présumée que l’on protège. Soit. Fi de la présomption d’innocence, fi de la prescription.
Rembobinons un peu les bandes : voici trois semaines, Coline Berry, âgée de 46 ans, dévoilait – sur Instagram ! – qu’elle aurait été victime de violences et d’agressions sexuelles. Elle dépose une plainte contre son père, Richard, qu’elle accuse d’être l’auteur de ces actes, des faits remontant aux années 80. En de telles circonstances et avec un tant soit peu de culture juridique, deux éléments nous viendraient en tête : 1, la présomption d’innocence, définie par l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme. 2 la prescription, de 30 ans à compter de la majorité de la victime pour viol sur mineur. Seulement, nous sommes à l’ère de « balance ton porc » et de « Metoo », la plèbe ne s’embarrasse guère de considérations juridiques dès qu’il s’agit de se trouver un ennemi – si possible mâle, blanc et à genoux – à achever. Il ne faut pas le minimiser mais force est de constater qu’on est habitué à ce que des quidams se muent en procureurs du dimanche. Le problème vient de ces groupes privés, comme Le Monde, ou publics, comme France Télévision, qui, dans un souci de préservation de leur image de marque, se vautrent dans la complaisance à l’égard de ces accusations et finissent par détruire socialement ou « annuler » – c’est la cancel culture – une personne accusée. Pas jugée, encore moins condamnée. Richard Berry n’aurait-il donc plus droit d’être ce qu’il est ? France 3 a délibéré. Le Monde avait tout aussi vite tranché pour sceller l’avenir du dessinateur Xavier Gorce, aujourd’hui au Point, comme un bras d’honneur adressé à son ancienne boutique. J’entends, à l’instant, Fatima Benomar, du mouvement « les Effrontées », qui réclame la généralisation de ces déprogrammations « le temps de l’enquête » dit-elle. Après lequel il sera de toute façon trop tard pour l’accusé de se refaire une virginité puisque les têtes auront déjà socialement été coupées par ce tribunal populaire. Pour tout dire, le cas Berry, au départ, m’avait moins heurté que celui de Marilyn Manson, accusé des mêmes maux mais lui, victime en plus « de sa sale gueule », à en juger par ce que déféquaient ses pourfendeurs sur Twitter. Un tel détraqué ne pouvait être qu’un délinquant sexuel, expliquaient-ils. C’est la logique du petit peuple. Flirter avec la diffamation en se drapant d’anonymat.
En déprogrammant Richard Berry, France 3 a tué Richard Berry. Et conforté une justice du peuple toujours plus impitoyable. Et dangereuse. C’est dramatique et nous regardons, sans rien dire…
J.B.
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