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Pierre-Yves Michau, procureur de la République du TJ de Chambéry : « l’année 2020 a vu une augmentation des atteintes aux personnes, notamment intrafamiliales »

Par Laura Campisano • Publié le 10/02/21

Au terme d’une année 2020 qui a réclamé une capacité hors-normes de réadaptation des services de justice, qu’elle soit civile ou pénale, le temps d’un bilan est venu avec la rentrée judiciaire. L’augmentation des atteintes aux personnes, sans doute dues au confinement, a vu la recrudescence de violences intrafamiliales, dont certaines ont conduit à des comparutions immédiates. Application d’une nouvelle politique pénale, menée tambour battant par Pierre-Yves Michau, procureur de la République au tribunal judiciaire de Chambéry.
Ce n’est pas peu dire que la justice a dû faire preuve de sang-froid pour s’adapter régulièrement aux directives liées à la crise sanitaire, comme nous l’évoquions avec Myriam Bendaoud, présidente du Tribunal judiciaire de Chambéry. Durant le premier confinement, la justice pénale a continué à se poursuivre, notamment les comparutions immédiates, le contentieux de la détention et les urgences. Mais à compter du déconfinement, la reprise des activités de la justice pénale, à plein, a permis de « recommencer à travailler sur des volumes quasi identiques, avec un protocole sanitaire strict » comme nous l’a expliqué le procureur de la République du TJ de Chambéry. 

La nature des infractions a changé : baisse des PV mais augmentation des atteintes aux personnes

Outre la réorganisation des services que nous avions évoquée durant toute l’année 2020, la justice a mis en place des mesures pour que la sécurité sanitaire des personnels, magistrats, avocats et justiciables soit assurée : équipements de protection, masques, jauges maximales définies des salles d’audience, tout a donc été pensé pour que l’institution puisse fonctionner dans les meilleures conditions possibles. « Après la période de confinement, le volume d’affaires à traiter était quasi-équivalent, même s’il reste des dossiers renvoyés qu’il faut encore traiter, au fur et à mesure » explique Pierre-Yves Michau. 
La différence s’est vue sur la nature même des infractions relevées. Si l’on peut se réjouir de la « très nette diminution des chiffres de procès-verbaux établis de l’ordre de 2 000 pv en moins alors que nous avions dû enchaîner deux périodes difficiles, d’une hausse significative de déferrements (présentation au procureur après une garde à vue, NDLR) des 196 audiences de comparution immédiates », un sujet apparaît préoccupant, celui de l’augmentation des atteintes aux personnes, notamment des violences intrafamiliales. Et le procureur de la République entend apporter une « réponse ferme et rapide, notamment face aux délinquants d’habitude » même si pour le magistrat, cette hausse n’est pas automatiquement liée au confinement même si cela a sans doute joué un rôle indéniable. La libération de la parole dans le débat public a sans doute permis de mettre à jour des violences qui n’étaient ni connues des services ni dénoncées dès la commission des faits. Par ailleurs, début mars 2020, « les effectifs de police et de gendarmerie avaient été affectés au maintien du confinement plus qu’au traitement du judiciaire, et dont certains d’entre aux étaient touchés par le virus », l’absence de dénonciations de telles violences ne signifiaient pas pour autant que les violences n’existaient pas. Fait significatif de ce phénomène, en octobre 2020 à quelques jours du second confinement, le corps sans vie d’une habitante de Chambéry-le-Haut avait été découvert dans les caves d’un immeuble, en lien direct avec des violences intrafamilales, et donnant lieu à une ouverture d’information. Le seul, par ailleurs, l’ensemble des services ayant l’œil braqué sur ces situations sous haute tension. « L’année 2020 a vu une augmentation des atteintes aux personnes, et la thématique des violences familiales et conjugales en est le trait principal, » souligne Pierre-Yves Michau, sur un territoire où les atteintes aux biens étaient prédominantes les années précédentes. « Nous prenons la mesure du phénomène, actuellement, chaque semaine sont jugés deux à trois auteurs de violences conjugales au TJ de Chambéry. » En revanche, pas de notable explosion des chiffres des infractions « Covid » liées au non-respect du couvre-feu et des confinements, lesquelles « reçoivent davantage des contraventions de 4e classe, il y a quelques délits, au bout de plusieurs réitérations, mais cela reste peu fréquent. Sur cette thématique, il n’y a rien de vraiment significatif. »

Un autre traitement de certains délits, par le biais de l’ordonnance pénale 

L’autre volet de la nouvelle politique pénale du procureur est le recours plus fréquent à l’ordonnance pénale, évitant le renvoi systématique de certains dossiers à l’audience pénale. Souvent utilisée pour traiter des infractions au code de la route, pour lesquelles il n’est pas nécessaire d’infliger une peine d’emprisonnement ni une amende supérieure à 5 000 euros, le prévenu est convoqué par le délégué du procureur qui lui explique la peine décidée par le Parquet. Son champ d’application a été élargi par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, « ce qui offre une palette de sanctions plus importantes que précédemment », permettant notamment le recours aux jours-amendes : en cas de non-paiement de l’amende, le prévenu doit effectuer une peine d’emprisonnement équivalente au nombre de jours infligés, ou encore les stages de sensibilisation pour les délinquants routiers. « Cela permet d’apporter des réponses conséquentes à certains comportements, beaucoup de délinquance routière mais aussi des atteintes aux personnes, en dehors des violences conjugales s’entend. Il n’y a toutefois pas d’infraction privilégiée pour l’orientation vers l’ordonnance pénale », souligne Pierre-Yves Michau. Ce mode de poursuite permet une plus grande pédagogie dans le prononcé de la peine « le délégué du procureur explique la finalité de la condamnation, comment cela se passe, ce qui permet aux justiciables d’accepter la peine, plus facilement. » précise-t-il. 

Contre l’apparition de clusters en détention, une dizaine de détenus libérés de la Maison d’arrêt de Chambéry

Enfin, dernier point notable de l’année 2020 de la justice pénale, l’Ordonnance de la Chancellerie du 25 mars 2020, du plan d’urgence adaptant les règles de procédure pénale à l’état d’urgence sanitaire, qui prévoit la libération anticipée de quelques 8 000 détenus afin de prévenir l’apparition de clusters dans les maisons d’arrêt françaises, surpeuplées. A Chambéry, une dizaine de détenus a bénéficié de cette détention à domicile, ce que comprend sur un strict plan sanitaire le procureur, bien que sur un plan pénal, « ces détenus n’avaient pas le profil, ni le dossier suffisamment solide, pour effectuer leur peine en milieu ouvert. »  Une forme d’inquiétude sur un plan symbolique pour le magistrat, « cela souligne la fragilité judiciaire et l’insuffisance des places en établissement pénitentiaire, le problème de surpopulation carcérale est toujours d’actualité, bien qu’il y a un nombre croissant d’aménagement de peines. Ce problème n’est toujours pas réglé. Le problème s’est posé avec ce contexte de pandémie et ce virus susceptible d’être contagieux. La question qui se pose est » qui remet-on en liberté ? « quand certains détenus ne répondent pas aux critères. C’est là un des enseignements de la crise sanitaire. » Pour Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation, cette mesure est en revanche insuffisante, comme elle l’avait expliqué dans un communiqué du 1er avril 2020 le taux d’occupation des lieux de détention étant après cette libération anticipée, de 140 % en moyenne. En novembre dernier, 42 clusters étaient apparus dans des établissements pénitentiaires, ce qui n’a pas été le cas à Chambéry, d’après le Parquet. 

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