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Confronté à une dette historique, le centre social des Combes fonce vers la cessation de paiement

Par Jérôme Bois • Publié le 08/03/21

Opportune et animée, cette réunion publique organisée par le bureau du conseil d’administration du centre social des Combes. Face à une trentaine d’adhérents, d’élus, de salariés et d’habitants du quartier, le bureau a fait un point précis sur l’état du CSC. Les premières conclusions de l’audit ont été révélées, les responsabilités évoquées, l’ancien directeur plus que jamais chargé et les regards ont fini par se tourner vers l’avenir, qu’il faudra dessiner au plus vite.
On a failli s’y perdre… de 20 000 à 200 000 euros, de 62 000 à 360 000, la valse des chiffres a donné le tournis à tous les suiveurs du quotidien du centre socioculturel des Combes, plongé dans un marasme sans précédent.

Des dettes à gogo

Vendredi 5 mars, le conseil d’administration avait dû être convoqué afin d’être informé du contenu de l’audit financier commandé par la mairie de Chambéry au cabinet d’expertise Hexact. Dans la foulée, le CA avait prévu l’organisation d’une réunion publique afin de rendre compte, au plus vite, de ses conclusions aux adhérents et aux habitants du quartier des Hauts de Chambéry. Ce fut chose faite lundi 8 mars, journée qui fera date dans les 49 ans d’histoire du CSC.En effet, jamais déficit n’avait été si important : 80 000 euros, ce qui place le fonds associatif sous la ligne de flottaison à – 63 492 euros. Mais le niveau de la dette, lui, est d’un tout autre calibre : 292 566 euros répartis de la façon suivante : 70 575 euros de dettes vis-à-vis des fournisseurs, 160 347 euros de dettes sociales et fiscales, 25 000 euros vis-à-vis du centre des Moulins, 12 499 euros de subventions restant à reverser à diverses associations, 12 771 euros de dettes à divers créditeurs (tels Régie Plus) et 11 374 euros de produits constatés d’avance. Et ce pour la seule année 2020 ! Par ailleurs, il reste à percevoir la subvention Caf de 132 000 euros et celle de l’Etat de 20 000 euros, montants susceptibles de ramener la dette à un peu plus de 140 000 euros mais une bonne partie de ces subventions n’est pas garantie. Au 31 décembre 2020, la trésorerie du centre s’élevait à 43 800 euros. En 2021, la situation s’est aggravée puisque la dette s’est creusée de 53 000 euros sur les deux premiers mois de l’année, portant le total à 343 000 euros. Pour mémoire, fin 2019, le rapport financier dressé par le commissaire aux comptes laissait apparaître un résultat positif de 3 375 euros. Un peu plus d’un an aura donc été suffisant pour pour laminer des comptes jusqu’ici au clair.

« Dépanniers », un coût de 24 000 euros pour 200 euros de recettes

Dans le détail, les raisons de ces vertigineuses défaillances financières ont de quoi laisser songeur : les coûts de personnel qui ont explosé de +127 000 euros, du fait de plusieurs embauches, notamment sur Pugnet*, « où deux postes en CDD transformés, pour des raisons qui nous échappent, et de façon inconsidérée, en CDI » , commentait Jean-Gérard Langlois, le président du CA. Ce montant s’explique aussi par le versement de primes de précarité, d’indemnités, de litiges prud’hommaux perdus, de remplacements maladie… tandis que 5 673 euros ont été versés à des bénévoles. A noter en outre que le coût de fonctionnement global du CSC a augmenté de 39 000 euros, que les provisions pour les litiges en cours s’élèvent à 26 000 euros (lire notre article du 17 février, où il était question de la présence incongrue de deux comptables sur un seul poste), que 20 000 euros ont été mobilisés pour l’achat de matériel, d’une caravane, d’un minibus, et que de nombreuses subventions n’ont pas été perçues pour cause de dépassement de délais de dépôt des bilans d’action. Enfin, l’opération « Dépanniers », si décriée depuis la révélation des difficultés du centre, a coûté la bagatelle de 24 000 euros à l’établissement, pour 200 euros seulement de recettes. Entre 2019 et 2020, la masse salariale a connu un bond puisque six personnes ont été embauchées pour un total de 13 salariés.Devant un tel constat, un nom a bien évidemment fini par apparaître – tardivement durant cette réunion – celui de Guillaume Holsteyn, ancien directeur, avec qui le CA a signé une rupture conventionnelle en échange d’une somme de 1 800 euros. « Il a fait ce qu’il a voulu » a admis Jean-Gérard Langlois, jusqu’ici peu enclin à pointer l’ex directeur du doigt, « il y avait eu rupture de communication entre le bureau, le CA et la direction ». Tout les chiffres précédemment exposés démontrent bien cette absence de dialogue. « La plupart des activités n’ont pas été financées, d’autres ont été développées sans avoir effectué les démarches de gestion. Certes, il faisait preuve d’un dynamisme dans la création d’activités mais cela se faisait au détriment de toute la gestion administrative nécessaire ». « Mais il suffisait de venir sur la place devant le centre pour savoir qu’il allait liquider le centre » , réagit Mustapha Hamadi, adhérent du centre et ancien référent du quartier sous la majorité précédente. « C’est une catastrophe économique pour les salariés et les bénéficiaires du centre ». 

Une grosse vingtaine de personnes dans la salle

Guy Fajeau, habitant des Hauts et membre de Chambéry Cap à gauche, poursuivit : « Tout est à charge contre M. Holsteyn, ça me semble légitime, mais comptez-vous porter plainte parce qu’il semble y avoir détournement de fonds publics et de fonds sociaux, là ? D’autre part, pour les habitants, cette rupture conventionnelle est incomprise et incompréhensible ». « Dès que l’on a constaté l’ampleur des dégâts, nous avons soumis au CA la perspective d’un licenciement pour faute grave. M. Holsteyn nous a demandé une rupture négociée lors de l’entretien préalable du 8 janvier 2021. Après un débat au sein du CA, elle a été validée » , résumait le président. De peu. Son dynamisme et le développement d’activités seront portés à son crédit. « Mais cela n’empêchera pas d’éventuelles poursuites en justice » , insistait Jean-Luc Vignoulle. Aujourd’hui, le processus est terminé, la rupture conventionnelle a bien été signée et depuis le 27 février, il n’est plus possible de revenir dessus. Fortes de ces éléments enfin mis au grand jour, les langues pouvaient publiquement se délier** dans des proportions assez considérables, même. Gestion des ressources humaines, traitement des salariés et des collaborateurs, gestion financière douteuse, tout y passait. Pour beaucoup, « il était temps de dire les choses » , « on nous a volé le centre » , s’indignait cette employée de mairie.

Trois options d’avenir

Seulement, dans cette réunion, il devait aussi et surtout être question d’avenir. A ce jour, trois solutions s’offrent au CA : la demande d’aide au comblement des dettes aux divers financeurs, possibilité viable à condition de ne pas être en cessation des paiements, ce qui est le cas du CSC « sauf en cas de décision concertée et quasi immédiate des financeurs ». Deuxième option, le redressement judiciaire, si le centre venait à se déclarer en cessation des paiements. « Cela nous oblige » , expliquait Jean-Luc Vignoulle, « à régler les 343 000 euros sur 10 ans au maximum » avec pour corollaire un plan de licenciement du fait d’un trop grand nombre de salariés « par rapport aux financements ». Enfin, la liquidation judiciaire s’il s’avérait impossible de redresser la situation financière. « Nous en avons discuté avec nos salariés, ils seraient alors licenciés mais dans un cadre protégé, en cas de non-paiement ».Il semble évident que la ville ne mettra pas au pot, au grand dam de Mohamed Hamoudi, membre du collectif d’habitants créé pour sauver le centre social. « Nous ne voulons pas de la liquidation mais que les financeurs mettent la main à la poche. Nous sommes prêts à les accompagner ». Mohamed Slim, directeur de Posse 33, préférait s’interroger, quant à lui, sur les limites d’un système. « Les habitants doivent prendre conscience de leurs limites. Ce n’est ni la faute de la ville ni celle de la Caf, nous n’en sommes pas au premier coup d’essai, il y a eu plusieurs défaillances auparavant. On ne peut pas passer son temps à se défausser sur d’autres gens. Les instances en place sont aussi responsables que le directeur, les habitants aussi le sont. Quatre directeurs différents ont été défaillants ». « Pour moi » , abonda Mohamed Daif, ancien administrateur et membre de Chambéry à venir, « il faut attaquer tout le monde. Je suis parti du CA parce que je ne voulais pas porter des responsabilités qui n’étaient pas les miennes*** ».

« Un accident de parcours »

Le mode de gouvernance était clairement dénoncé, un modèle – associatif – que la ville envisage sérieusement de changer. (lire notre article du 23 février). Ces remarques firent cependant bondir Marie-Jeanne Tivollier, lassée d’être visée par les critiques alors qu’elle était encore présidente du CSC jusqu’au 22 septembre dernier. « Pendant six mois, de mai à décembre 2019****, tout était bien et rose. Je me demande toujours pourquoi les relations se sont distendues début 2020 avec le directeur. J’ai fait l’objet de qualificatifs peu » amicaux «, il a même fait allusion à des difficultés dans mon couple ! J’ai pourtant continué à travailler, mes responsabilités, je les ai prises, je suis dévouée au centre depuis 40 ans, cessons de refaire l’histoire et respectez la parole d’une présidente qui a fait ce qu’elle a pu ». Dans la foulée de sa démission, deux enquêtes commandées par deux financeurs, dont la Caf, avaient été ouvertes, elles visaient à comprendre quels problèmes étaient en train de connaître le CSC, enquêtes non rendues publiques à ce jour. En ce début mars, le bureau n’envisage rien moins que la cessation de paiement. Selon Jean-Luc Vignoulle, la fédération des centres sociaux assure « qu’il est possible de poursuivre une activité a minima ». La ville, représentée par Farid Rezzak, adjoint délégué au quartier, et par Salim Bouziane, délégué à la jeunesse et au sport-santé, promettait que la seconde partie de la subvention mairie, de l’ordre de 150 000 euros*****, « ne sera pas économisée mais versée pour la poursuite de l’activité sociale ». Un projet doit toutefois être défini en concertation avec les habitants. Sur le même modèle ? En société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) ? « On va se donner le temps de trouver ». « On va assurer la continuité sur une période pour engager les travaux de reconstruction mais seulement sur une période limitée car nous n’avons pas pour objectif de gérer le centre social » , complétait Salim Bouziane. Ainsi, pas de municipalisation du CSC à prévoir au-delà de cette phase de transition. Il a été également précisé que si les salariés, les grandes victimes de cette incurie, étaient libres de candidater en cas d’ouverture de postes sur la nouvelle structure, ils ne seront pas prioritaires. Le bureau regrettait l’investissement limité de la mairie, « c’est la première année où la situation du centre est compliquée, depuis 49 ans, il a fonctionné, ça reste un accident de parcours » , insistait Jean-Gérard Langlois. En vain.Le CA sera amené à se décider rapidement, en définitive : liquidation ou redressement ? Faites vos jeux. Dans tous les cas, il faudra du neuf, et vite.
A noter que l «audit financier sera rendu public dans son intégralité prochainement.
* Le CSC s’était porté volontaire pour assurer la gestion du centre de Pugnet qui avait connu de grosses difficultés financières également.
** De nombreux intervenants présents à cette réunion s’étaient déjà exprimés dans ces colonnes, les 3, 6, 9, 17 février et du 5 mars.
*** Mohamed Daif, arrivé le 15 octobre 2020 au CA le quittera quelques semaines plus tard, seulement.  » J’ai été un administrateur éphémère, au départ pour donner un coup de main et redresser le CA. Nous étions plein de bonnes volontés. Mais on a découvert des cadavres dans les placards, des demandes de financements non faites, des comptes-rendus d’actions non envoyés… Il n’y avait aucun rapport d’activité, aucune feuille de route. Notre tâche est tout de suite devenue compliquée. Il aurait fallu licencier des gens mais nous ne nous sentions pas légitimes pour le faire, alors que nous venions d’arriver, ces gens, nous ne les avions pas embauchés. J’étais tombé dans un piège« , nous confiait-il en février dernier.
**** Guillaume Holsteyn avait pris ses fonctions en mai 2019.
***** Le conseil municipal avait approuvé, en décembre 2020, le versement d’une première partie de la subvention au CSC s’élevant à 62 000 euros.

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