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Les opinions du Petit Reporter « Cachez-moi ces quartiers, que je ne saurais voir ! »

Par Laura Campisano • Publié le 01/03/21

On a coutume de dire que les photographies sont des fenêtres sur le monde, qu’elles permettent de rendre compte, pour qu’à l’extérieur d’un pays, d’un quartier, d’une zone territoriale, on sache et on comprenne ce qui se joue. En zone de guerre, les reporters d’images sont essentiels, pour que le monde ouvre les yeux sur la réalité. Photographes, journalistes, notre métier est bien d’être les témoins d’une époque, d’une situation. Bien sûr que tous n’ont pas d’intérêt à ce que la situation soit connue, évidemment qu’il vaut mieux parfois, fermer les yeux et « s’occuper de ce qui nous regarde », elle est drôle cette expression, presque absurde, quand ce qui nous fixe du regard, justement, ce sont les dizaines de paires d’yeux de ceux qui considèrent « l’étranger » à son territoire, l’élément perturbateur de sa légende personnelle, comme une cible à abattre. Pas de temps à perdre pour le business, on le voit à Naples, quand Roberto Saviano ne peut plus faire un pas dehors sans escorte, ne sachant jamais où il dormira le soir, « juste » pour avoir fait son travail : rendre compte, pas rendre des comptes. 

Il y a des zones de non-droit, partout, en Italie, en France, à Marseille ou à Reims, à Roubaix comme à Montpellier. Il y en a surtout partout où la seule personne qui a autorité a détourné le regard, a préféré faire comme si tout cela finirait par se tasser tout seul, là où plus personne n’ose entrer : l’Etat, la République si vous préférez. Police, services publics, journalistes, pompiers, médecins, plus personne n’oserait donc poser un pied dans un quartier prioritaire de la ville, sous prétexte que selon la rumeur, c’est une zone de « non-droit » ? Il y a des droits, au contraire, surtout celui de se taire, et qui pire qu’un journaliste comme candidat ! On utilise les termes de coupe-gorge, de zone de guerre, mais enfin ! De quoi parlons-nous ? On entend çà et là, qu’il ne sert plus à rien de remonter à la source de cette situation, qu’il faut aujourd’hui des actes forts : le seul à pouvoir le faire c’est l’Etat. Pas des milices armées de battes de base-ball, pas la police en civil, pas les policiers municipaux qu’on a maintes fois sacrifiés et qu’aujourd’hui on décide d’armer (!!!) au lieu de reconnaître que tous les pansements, les rustines, les petits coups de pouce ne sont plus suffisants. 

On se souviendra longtemps de ce président fanfaronnant « d’utiliser un karcher pour se débarrasser de la racaille » et personne ne m’empêchera de sourire ce soir, sans commenter, présomption d’innocence oblige. Qui peut se galvaniser aujourd’hui d’avoir le remède miracle contre ces situations bouchées, fermées ? L’Etat doit donner l’exemple, en se comportant de manière responsable. On ne peut pas laisser son enfant jouer avec les allumettes et détourner le regard quand la maison prend feu. C’est irresponsable. Non, il n’y a pas « que » des quartiers populaires où règnent des boss, sortes de caïds invisibles – car ils envoient les mineurs au casse-pipe, je ne l’ai que trop vu devant le juge des enfants – intouchables jusqu’à un coup de filet de la Bac où ils jureront qu’ils n’y sont pour rien. Beaucoup se taisent, pressent le pas. Tout le monde préfère ne pas voir. Est-ce l’affaire de tous ? Est-ce la responsabilité de la société si une maison prend feu parce que responsable légal d’un enfant n’a pas « réagi » quand ce dernier a fait flamber la baraque ?

Les outils légaux pour répondre à la haine, à la provocation, à la colère, aux émeutes, ça ne manque pas. En 1948, les toutes jeunes compagnies de sécurité républicaine sont intervenues dans les cités minières contre les mineurs de fond en grève, dans le Pas-de-Calais et en Lorraine. Le processus est connu, les tirs, à balle réelle, occasionnant 4 morts et il ne s’agissait que d’une grève que le ministre de l’intérieur de l’époque, Jules Moch qualifiait d' «insurrectionnelle ». Autre époque, autres mœurs. Faut-il en arriver à de telles extrémités ? N’y a-t-il pas de voie médiane entre fermer les yeux et envoyer l’armée ? Doit-on pratiquer la politique de la terre brûlée au XXIe siècle pour faire comprendre qu’un territoire comme la France est la maison de tous et non pas confiscable par quelques-uns ? Je ne peux y croire, ni m’y résoudre, tout n’a pas été tenté, c’est un mensonge, éhonté de surcroît.

Notre confrère de l’Union, Christian Lantenois, est actuellement encore en train de se battre pour survivre alors qu’il sortait un objectif de son étui pour rendre compte. Quand la République détourne trop longtemps le regard de sa maison qui brûle, d’autres risquent de les fermer pour longtemps. Il s’agirait d’agir.

L.C.

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