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« Pour eux », le mouvement des citoyens cuistots dynamise la solidarité à Chambéry
Par Laura Campisano • Publié le 18/03/21
Lancé au niveau national le 20 mars 2020, alors que la France venait tout juste d’être confinée pour la première fois, le mouvement #PourEux a fait des émules un peu partout dans l’hexagone. La Savoie n’a pas fait exception, et c’est depuis début novembre, au deuxième confinement, que l’aventure a démarré à Chambéry. Depuis, près de 1 000 repas ont été distribués à des personnes sans abri et en situation de grande précarité, cuisinés par des citoyens, acheminés par des citoyens à vélo, gratuitement. Une de ces initiatives qui redonnent foi en la solidarité sans contrepartie autre que de « faire du bien ».
Entre le 20 mars et le 20 mai 2020, 75 000 repas ont été ainsi distribués en France, les moyens matériels mis en place financés par une cagnotte Ulule. Ils n’ont pas de « président », ils ne sont pas réunis en association. Ceux qui rejoignent le mouvement peuvent partir lorsqu’ils le souhaitent, revenir si bon leur semble. Liberté, transparence et absence de « personnification », sont leurs crédos : ils donnent, préparent, cuisinent, acheminent, tissent des liens, mais n’attendent rien en retour. Depuis novembre, de plus en plus de cuistots et de livreurs participent à cet élan de solidarité à Chambéry, et le mouvement ne semble pas devoir se tarir.
Une appli, une cuisine, un vélo
Le concept est simple: s’inscrire sur l’application pour proposer ses services soit de livreur, soit de cuistot, soit les deux puis, repérer où aller récupérer les paniers repas à livrer, à vélo. On ouvre le frigo, et s’il y a trop à manger, plutôt que de congeler par exemple, il est possible de proposer un ou plusieurs repas complets sur l’application, qu’un livreur viendra chercher aux horaires qui nous arrangent. Simple, gratuit et solidaire, une formule assez efficace sur la base du volontariat et de l’entraide.Ludivine et Grégory sont ceux qui mettent actuellement en relation cuistots et livreurs, et gèrent le groupe sur les réseaux sociaux, mais comme rien n’est attaché à une personne en particulier, s’ils devaient un jour partir, l’entraide pourrait néanmoins perdurer « C’est la force du mouvement, chacun s’implique comme il le peut », commente Grégory, « chacun est responsable de son action propre, on va aider les gens en se libérant des contraintes, il n’y a donc aucun frein à la solidarité. » Si pour démarrer les distributions, il a fallu s’appuyer sur la Sasson ou la Team, afin de repérer les bénéficiaires, c’est aussi au gré des rencontres que les équipiers de #PourEux réussissent à distribuer le maximum de plats chauds à ceux qui en ont le plus besoin. Environ 100 repas par semaine réchauffent ainsi à la fois des personnes sans abri et en grande précarité, chaque midi et chaque soir. « Il s’agit principalement de repas chauds, détaille Ludivine, » avec entrée, pain et desserts, il y a aussi des repas froids qui peuvent être réchauffés. « Le tout est réparti sur un fichier excel entre les livreurs, les cuistots et les besoins, lesquels s’inscrivent via un formulaire où ils peuvent renseigner les tranches horaires idéales pour la récupération des paniers repas.
Certains commerçants jouent le jeu également en distribuant leurs invendus qui permettront d’agrémenter ces repas, mais ce n’est pas sur eux que le mouvement s’appuie en priorité » On ne compte pas sur eux dans le processus de base «, explique Grégory, » c’est un bonus, ils apportent leur aide et c’est bien dans le cadre des partenariats. On ne les force pas, c’est simplement que n’ayant pas envie que les denrées partent à la poubelle, ils préfèrent les donner. « Leur base, ce sont les citoyens qui ont envie de s’investir, même ponctuellement et on ne peut que leur donner raison, depuis le début, 60 profils ont été enregistrés sur l’appli, une quarantaine de cuistots dont une vingtaine sont aux fourneaux chaque semaine et de 10 à 20 livreurs par semaine. » Ils choisissent combien ils donnent, règlent leur aide à leur situation. C’est ce que j’ai apprécié dans ce mouvement, je n’ai pas à m’impliquer sur toutes les distributions, il n’y a aucune cotisation, je donne de mon temps. Ça met du baume au cœur «, expliquent Ludivine et Grégory, » apporter de la chaleur humaine à ceux qui sont en difficulté, leur permettre de retrouver une place dans le tissu social Chambérien, c’est important. Chacun apporte son aide, La solidarité à Chambéry est assez bien vue. «
« La solidarité est juste là, il suffit d’un mot »
La solidarité est en effet bien présente dans la capitale de la Savoie, nous vous avions en effet présenté la Team, mais il existe aussi les paniers suspendus, avec la confédération syndicale des familles, où chacun peut mettre ce dont il n’a pas besoin ou juste prendre ce qui lui manque par exemple, ou encore l’Insolente, bar associatif auto-géré qui propose des repas partagés et des collectes de matériel et de vêtements chauds, entre autres initiatives locales. #PourEux s’inscrit donc dans le sillon d’actions citoyennes variées. Simplement, cuisiner pour les autres, préparer des repas et savoir où va l’action menée est un grand plus pour les participants. « Nous sommes axés sur les repas chauds, et avons bien sûr des liens avec les associations, pour lesquelles nous venons en » bonus «, par rapport aux actions qu’ils mènent déjà », reprend Grégory, « il n’y a aucun aspect glorieux dans ce que nous faisons, ni esprit de compétition, chaque aide est la bienvenue et cela fait boule de neige. Et puis, se sentir utile, apporter de la chaleur humaine, créer un lien social, ça apporte beaucoup aussi à ceux qui donnent. » D’autant que les personnes que les livreurs rencontrent au gré de leur tournée quotidienne ne sont pas uniquement des personnes sans abri, mais aussi des travailleurs pauvres, vivant dans des endroits non chauffés, des camions ou même des squats, voire des jeunes en foyer. « On nous a souvent répété de ne pas » assister « les gens, mais nous ne sommes pas là pour juger les personnes », souligne Ludivine, « c’est plutôt » j’ai des plats, est-ce que ça t’intéresse ? « Quand on croise quelqu’un, ce ne sont pas les gens qui nous demandent de l’aide, c’est nous qui la leur apportons, et ils sont très contents ! Ils le disent, la solidarité est plus importante pour eux, ça nous remet à notre place, nous oblige à plus d’humilité », explique la jeune femme. Né pendant le confinement, le mouvement perdure, grâce au bouche-à-oreille, et ce malgré le couvre-feu et la situation qui ne s’améliore pas. « C’est compliqué d’organiser parfois mais on arrive toujours à fonctionner », sourit Ludivine, « et puis, depuis le début du mouvement, je n’ai pas l’impression du couvre-feu sur mon vélo pour les livraisons. » Un argument supplémentaire pour les rejoindre, que ce sentiment de faire du bien tout en se sentant libre de ses mouvements ? En tous les cas, les choses semblent se faire naturellement, de manière fluide. Ce que Ludivine a constaté dès les premières distributions. « Un jour, nous manquions de repas et j’ai demandé à une boulangerie s’ils avaient des invendus. La vendeuse ne s’est pas posé de questions, elle m’a donné ce qu’elle avait. La solidarité est juste là, il suffit d’un mot. » Gage d’espoir dans une période qui semble appeler davantage le repli que le don de soi, #PourEux a tout d’un mouvement vertueux, fait pour durer au-delà de la crise.
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