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La pédagogie avant la sanction, la bonne recette des stages de citoyenneté environnementale

Par Laura Campisano • Publié le 22/04/21

Depuis deux ans, le parquet de Chambéry a mis en place des stages de citoyenneté environnementale, alternative aux poursuites pénales en cas d’infraction à la législation sur l’environnement. Grâce à la police de l’environnement et aux organismes publics tels que la communauté de communes d’Aiguebelette, Grand Chambéry, la justice entend expliquer avant de sanctionner. Et même si nul n’est censé ignorer la loi, un rappel n’est pas de trop, dans ces journées à la fois théoriques et pratiques, d’où réfractaires, les contrevenants repartent soulagés et éclairés. 
Dissuasif et pédagogue, le stage de citoyenneté environnementale est savoyard, unique en France. A l’origine de ce projet, Mélanie Callec, vice-procureure au parquet de Chambéry. Très rapidement après sa prise de fonctions sur le territoire chambérien, l’initiative s’est déployée avec l’aide des gardes de la réserve naturelle d’Aiguebelette, puis la communauté de communes, et c’est ainsi que d’ores et déjà, trois sessions ont pu avoir lieu, une seule ayant été possible en 2020. Par le biais de la Maison de justice et du droit de Chambéry (MJD) et de Pierre Raymond, son coordinateur, Grand Chambéry s’est mise dans la boucle, tandis que Grand Lac s’est également montrée intéressée. Prévention de la récidive de comportements dégradants pour l’environnement, mais aussi, c’est espéré, un objectif de transformation de ces auteurs d’infractions en acteurs de la prévention d’atteintes à la nature.

« Les trois quarts des gens n’ont pas la connaissance de l’infraction qu’ils commettent » 

Jeter ses déchets dans un espace protégé, sortir des sentiers délimités, lâcher les chiens, faire de la moto cross dans les réserves naturelles, tout cela est interdit par le code de l’environnement et le code forestier, au vu et au su de tous : de grands panneaux alertent dès l’entrée d’un domaine protégé, les promeneurs – et de facto – les contrevenants.Pourtant tous ne le savent pas, comme l’explique Martin Daviot, l’un des deux gardes-techniciens de la réserve naturelle d’Aiguebelette. « Il existe des braconniers, des bandits de grands chemins, mais les gens que nous rencontrons dans la réserve, tant ceux que nous verbalisons que ceux qui participent aux stages de citoyenneté, les 3/4 n’ont pas la connaissance de l’infraction qu’ils commettent », souligne-t-il. « Par exemple, quelqu’un qui ne tient pas son chien en laisse, ne pense pas aux espèces d’oiseaux qui nichent sur le sol, et qui apeurés par les chiens, peuvent quitter le nid et ne jamais revenir. Quand ils participent aux stages, en fin de journée, ils nous disent tous qu’ils n’avaient pas conscience de tout ce que leur comportement induisait. Et c’est tout l’enjeu, comment faire comprendre ça aux gens ? » Difficile en effet, d’expliquer les choses sur un panneau de pictogrammes à l’entrée d’une des 50 réserves naturelles de la région AURA. Difficile aussi, en étant deux gardes sur 1 000 hectares de réserves, pour répondre à toutes les questions des promeneurs. Car des questions, ils en ont. « De nombreuses associations font de l’éducation à la nature, au-delà des instituteurs, des professeurs des écoles, moi-même j’interviens à ce titre, la sensibilisation est une de nos missions principales au Conservatoire des espaces naturels de Savoie » , reprend Martin Daviot, « je mets un point d’honneur à le faire, nous avons une biodiversité importante en Savoie, avec la présence d’aigles royaux, de lynx, de bouquetins. Dernièrement nous avons fait une sortie pour voir les grenouilles, les crapauds dans les mares. Il est important de montrer que sans les milieux naturels, on ne vivrait pas longtemps » Prévention en amont donc, mais aussi explications aux contrevenants une fois l’infraction commise « parce qu’au moins, ils ne peuvent pas faire comme si cela ne les concernait pas » précise Pierre Raymond, coordinateur de la MJD de Chambéry, qui participe à la réalisation de ces stages. « En leur montrant pourquoi ce qu’ils ont fait est un comportement punissable, il est plus facile d’engager la discussion avec eux. En échange, on leur propose une action pédagogique, en leur faisant comprendre qu’ils doivent changer leurs comportements, espérant qu’ils deviennent des acteurs de la prévention. » Et cela vaut autant pour les feux sur la plage, que pour la cueillette de baies et de fleurs sauvages. « Si chacun pense que laisser sa petite poubelle sur le lac, ce n’est pas si grave puisque c’est qu’une petite poubelle », abonde Mélanie Callec, vice-procureure au Tribunal judiciaire de Chambéry, « on ne s’en sortira pas. Si on ne sévit pas, ce seront des centaines de petites poubelles qui pollueront le lac et la réserve. L’accumulation existe au quotidien. »
De son côté, sensibilisé très tôt à l’importance de l’environnement au travers de classes vertes notamment, Martin Daviot n’a pas choisi le métier de garde de réserve naturelle par hasard. C’est là aussi, la force du projet des stages de citoyenneté environnementale, celle de s’appuyer sur des gens passionnés, qui connaissent le terrain, pour « transmettre, impacter les gens ». Avec son collègue, il fait partie des 2500 agents assermentés de la police de l’environnement*. « Personne ne nous connaît », regrette-t-il, « il faut donc expliquer aussi ce que nous faisons. On explique, on essaie de faire de la pédagogie, mais on verbalise aussi, ça ne marche pas forcément » la peur du gendarme «, à part que les gens repartent énervés contre l’institution. Alors que si on s’y met à un, deux ou trois intervenants, et qu’on y croit, les gens vont faire plus attention, comme au cours de ces stages. » Il faut dire que si la première amende prise sur le site se chiffre à 68 euros, parfois les infractions relèvent du délictuel, et peuvent coûter un passage devant le tribunal correctionnel. « Le moment le plus réussi du stage selon moi, c’est quand les gens convoqués et nous-mêmes, en uniforme, nous ramassons ensemble les déchets. Ils voient que nous sommes tous humains, et ce dialogue informel, c’est ce qui marche le mieux. »  La pédagogie, le secret d’un stage de citoyenneté réussi.

Depuis 2019, un engouement qui fait entrer les agglos du territoire en piste

Mélanie Callec – Vice-Procureure TJ Chambéry
Mélanie Callec croit ardemment à l’alternative aux poursuites. Depuis fin 2019, cette mesure a donc débuté sous la forme des stages, qui mettent les contrevenants face à la réalité et à la toxicité de leurs actes, et ce en deux temps : rappel à la loi le matin, partie plus théorique et assez officielle, puisque la magistrate se tient aux côtés des gardes et de Pierre Raymond. Le deuxième temps est un passage à l’action, sur le terrain, avec collecte des déchets sur des chantiers préparés en amont, évoqués précédemment.En bientôt deux ans, une soixantaine de personnes ont déjà participé à ces stages, qui sont une exception savoyarde : créé à Chambéry par Mélanie Callec et mis en place via la rencontre avec les gardes dont Martin Daviot, la participation des élus de la communauté de communes d’Aiguebelette, de la maison de justice et du droit, il n’existe nulle part ailleurs en France une alternative aux poursuites en matière de délinquance environnementale similaire. Depuis peu, Grand Chambéry a aussi rejoint le projet, sur la création d’ateliers de ramassage de déchets, l’une des problématiques rencontrées par l’agglo. A terme, c’est Grand Lac qui pourrait prendre le train en marche, sans doute à l’horizon 2022. Particularité du stage ? Sa gratuité, au-delà du classement de la procédure sous réserve de réalisation complète et d’adhésion au stage par les contrevenants. « Je suis très sélective quant aux procédures et aux personnes que j’oriente sur ces stages, précise Mélanie Callec, il faut qu’il y ait une atteinte à l’environnement, pas ou très peu d’antécédents, et une reconnaissance du principe du stage. Il est important que les gens prennent conscience que tout comme l’atteinte aux biens est punissable, l’atteinte à la planète l’est aussi, et que c’est une chance pour eux de participer au stage. » Les stagiaires, une quinzaine par session en 2019, une douzaine en 2020, et certainement une vingtaine en 2021-2022, proviennent de tous horizons, « chasseurs, agriculteurs, jeunes qui organisent des feux de camp au lac d’Aiguebelette l’été, tous avaient quelque chose à apprendre des autres » souligne la vice-procureure. Loin d’être anodine, l’alternative aux poursuites ne signifie pas qu’une procédure n’est pas diligentée en amont. « Les agents de la police de l’environnement me transmettent la procédure, et je prends une réquisition d’orientation vers la MJD », détaille Mélanie Callec, « les contrevenants reçoivent une convocation. Chaque procédure est examinée avec les agents, gardes ou gendarmes, si cela est nécessaire, alors les personnes sont réentendues par les gendarmes, nous vérifions les antécédents judiciaires. Là seulement, je prends la décision de l’opportunité de poursuivre pénalement ou d’orienter vers un stage de citoyenneté environnementale. Ce n’est que si le stage se déroule bien, que la procédure est classée. »  Totalement en phase avec ce qu’a appelé de ses vœux le Garde des Sceaux sur la justice de proximité, ce projet avant-gardiste a permis de ne pas recroiser les premiers stagiaires. Démarrage encourageant pour une initiative qui devrait sans doute perdurer tant sur le plan local et – pourquoi pas – être dupliquée sur le plan national où elle a déjà trouvé un écho.**

Soutien des élus locaux d’Aiguebelette

Si les élus sont mobilisés, c’est sans doute compte tenu de l’affluence record que connaît le lac d’Aiguebelette, dont nous avions déjà évoqué les débordements l’été dernier. Attachés à leur territoire, Martin Daviot et son collègue s’étaient ouverts à Mélanie Callec de la difficulté à sensibiliser – et à canaliser – les promeneurs, provenant de tous les départements limitrophes, y compris l’Isère et le Rhône l’été. Rapidement au fait du projet de la vice-procureure, les élus de la communauté de communes d’Aiguebelette ont adhéré à l’initiative et ont donc apporté des moyens logistiques : les locaux, puisque le rappel à la loi des matins de stage se déroulent à la Maison du lac, dont la situation est pratique pour être proche de la réserve naturelle, les sacs poubelle et les gants pour le ramassage des déchets, entre autres. « Cela permet de se rendre compte de ce qui existe réellement très près de nous », soutient Pierre Raymond, « en 2h30 de chantier, 12 sacs-poubelle ont été nécessaires sur le dernier stage, voilà une preuve qui parle plus que n’importe quel » powerpoint «. Les stagiaires n’en revenaient pas de ce qu’on peut trouver dans une réserve protégée, des pneus, des ordures, des débris. Cet aspect concret, c’est le deuxième effet bénéfique du stage, ils se rendent compte de la réalité, c’est toujours vraiment intéressant de le constater à l’issue de la journée. »  Une façon aussi de rendre compte de l’importance du travail de terrain des agents de la police de l’environnement, dont les gardes-techniciens des réserves et parcs naturels. Si l’on se réfère aux actions pluriannuelles du Worldclean Up, menées à Aix-les-Bains et Chambéry depuis 2018, nul doute que les prises de conscience commencent à gagner du terrain, et qu’une telle action menée à plus grande échelle sur les bassins aixois et chambérien rencontreraient un grand succès. Toutefois, les stages de citoyenneté environnementale requièrent un investissement en temps et en personnes, qui font défaut tant à la justice, puisque les dossiers ne désemplissent pas le bureau de Mélanie Callec, qu’aux gardes-techniciens, qui ne peuvent y consacrer tout leur temps, les missions étant déjà nombreuses. Il y a toutefois espoir que cette initiative née en Savoie fasse un tour dans les ressorts des Tribunaux judiciaires de littoral, où faune et flore sont déjà protégées par la loi. 450 parcs et réserves naturels en France, la marge de manœuvre est plutôt large.* Les inspecteurs de l’environnement sont représentés au sein des services de l’Etat, ou établissements publics tels que l’Office national des forêts, le Parc national de la Vanoise, l’Agence française de la biodiversité, la direction départementale des territoires, la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement. Agents de l’ONF, gardiens des réserves naturelles, de l’agence régionale de santé (ARS) inspecteurs phytosanitaires et gendarmes sont les inspecteurs de l’environnement. Ils sont assermentés, soit au titre du code forestier (ONF) soit du code rural de la pêche maritime (Phytosanitaires) soit du code de l’environnement. C’est l’ordonnance n°2012-34 du 11 janvier 2012 qui a simplifié, réformé et harmonisé les dispositions de police administrative et judiciaire du code de l’environnement. 
** Le 19 avril 2021, France Inter y consacrait une mini-série de reportages dans l’émission « la tête au carré », à réécouter ici.

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