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Blackstage de retour avec « Carrousel », un cru maturé et bonifié

Par Jérôme Bois • Publié le 11/05/21

Qui n’a pas compris que ce monde si tourmenté ne pouvait renaître que par la créativité et l’innovation ne vivra pas l’après comme un réenchantement mais comme un avant sans saveur. Le milieu de la culture a souffert mille morts mais le recours au génie créatif sera sa résurrection. Le groupe Blackstage aurait pu mêler ses textes engagés à des rifs martiaux et sinistres pour mieux incarner cette douleur née d’une crise sans fin, il aura préféré nous prendre à revers. Son EP « Carrousel » est un contre-pied à ce à quoi il nous avait habitués. Mature, sincère, déconcertant, « Carrousel » est un palier.
La réjouissance des fans sera, on l’espère, sans doute proportionnelle à la noirceur du propos. Noirceur parce que l’époque oblige, parce qu’au fond, depuis un an, tout est pourri, parce que le monde d’après est un mirage, parce que celui d’après n’était peut-être pas si mal, le spleen qui s’est emparé des acteurs de la culture ne pouvait qu’accoucher d’objets exceptionnels, dans leur forme, dans leur propos ou dans leur originalité. Blackstage s’était créé un monde, agressif, musclé, énergique ; en lui tournant le dos du fait de cette impasse sanitaire, il a fait bien mieux que s’en détourner, il l’a réinventé. 

Un grand cru

D’abord, musicalement, « Carrousel » ne ressemble pas à du Blackstage. Et puis il y a ces textes volontiers militants quand le groupe évoque le délitement d’une société qui déboulonne son histoire et ses repères, lorsqu’il dénonce le lancinant train-train de ces petites gens sans perspectives, quand il regrette l’absence de révolte face à l’adversité ou l’injustice. Blackstage sort de sa zone de confort. Plus politique, plus incisif forcément. Le titre éponyme, « Carrousel », cite l’aliénation, le manège de la vie, fait de répétitions, sur fond d’ambiance de fête foraine… Les mots pèsent plus mais l’atmosphère, elle, diffère, allez savoir. Comme si le groupe avait voulu en alléger la noirceur en polissant sa musique, rugueuse jadis, bigarrée ici. Le temps de six compos, le métal cède au profit de mélodies parfois plus sucrées, d’arrangements inédits. « Carrousel » est mature, vieilli comme un bon cru, torturé et actuel. Le rock demeure, il est embelli. Après un an de doutes, il fallait chasser la dépression et dégager l’horizon. « On voulait se remettre à la compo » , reconnaît Stéphane Col, encore l’inspiration devait-elle souffler en leur faveur. Si Baudelaire devait nous avoir appris une chose, c’est que le spleen est le germe d’une créativité sans bornes ; rapidement, six chansons naissent. « Et là, on s’est interrogé ; devait-on en faire plus et envisager tout un album ou au contraire s’en tenir à ces six, consacrés à la période que nous vivons ? » Marqués au fer rouge par l’inédit Covid, les membres de Blackstage entérinèrent l’évidence : à événement exceptionnel, écrin exceptionnel. Dans un style lui aussi inédit puisque la langue de Molière s’est imposée à eux. « C’était une demande des gens, ça nous allait bien ». Seulement, l’exercice est plus difficile qu’il n’y paraît, bien des groupes préférant noyer leur propos dans un anglais consensuel. « Nous avons exploré d’autres horizons » , abonde Stéphane, « tout a été construit différemment ». D’un choix en découlant un autre, la musique devra rendre justice à des textes engagés et militants. Plus question, donc, de les écraser sous un métal abondant. « Damnée à perpétuité », titre-phare, étire ainsi le long mal-être d’une femme tourmentée depuis l’enfance, revivant ses tourments en boucle. La voix de Stéphane se fait plus douce qu’à l’accoutumée, caressée par les notes d’un piano. Le riff se fait attendre, il arrivera en fin d’exercice comme la délivrance qui suit l’engeôlement. Sur cet EP suivent dans l’ordre « le monde que j’ai connu n’existe plus », « Carrousel », « le calvaire des hommes ordinaires », « Alysson », et une sucrerie pour finir, un clin d’œil à la pop culture qu’il serait criminel de dévoiler ici. « Cet EP est un pari, un virage parce que nous ne voulons pas nous fixer de limites » , quitte à désarçonner son monde. 

Un septième clip

Témoin de ce virage, le septième clip du groupe, révélé mercredi 12 mai, à 20h. « Damnée à perpétuité » s’est en effet enrichi d’un clip réalisé par Yocot, tourné entre Chambéry et Cruet.  Il met en scène une femme, déboussolée, et une fillette, son alter ego enfant. D’allers en retours, la vidéo met en scène avec brio l’apathie et la sidération, « elle est même bourrée de petites choses que l’on ne voit pas au premier visionnage ». Après d’âpres « négociations », c’est la fille de Stéphane qui a accepté moyennant une honorable compensation – la refonte de sa chambre – d’interpréter l’enfant, et dont la ressemblance avec l’adulte jouée par une amie du groupe relevait de l’évidence. Le château de la Rive leur avait ouvert ses portes mais le making of contenu dans le dvd accompagnant l’EP vous en révélera davantage encore avec au menu, anecdotes de tournage, envers du décor, petits tracas du quotidien. Le live acoustique et une galerie photos compléteront ce coffret. La « méthode » Blackstage n’aura plus de secret. « Ça nous semblait intéressant de montrer aux gens comment nous nous autoproduisons, comment se réalise un clip » , rembobine Stéphane, défini dans la vidéo comme « la star du groupe » , celui qui tient les projecteurs quand le personnel vient à manquer. « Nous voulions marquer le coup ». A plus d’un titre, le visuel de « Carrousel » avait déjà surpris, ses couleurs chaudes dénotaient avec la tonalité en nuances de gris dans l’univers du groupe. Disponible courant juin, directement auprès du groupe, sans passer par la case commerces, ce coffret est un cadeau autant que l’annonce d’un tournant, comme si après cette crise, plus rien ne serait pareil, ce qui témoigne d’une audace méritoire qu’il nous faudra accompagner. « Si vous voulez nous soutenir, faites-le en achetant notre musique. Nous ne voulions pas passer par des cagnottes en ligne. On espère seulement que les fans seront au rendez-vous ». Alors que l’on semble enfin percevoir le bout du tunnel, Blackstage se met à entrevoir la lumière ; le 7 juillet, il se produira aux Estivales du château, à Chambéry, aux côtés de Fills Monkey. « On devait y fêter nos 10 ans de carrière, en 2020, tant pis, c’est déjà extra de pouvoir enfin envisager de nous produire devant du public ». Va pour les 11 ans alors. Après les montagnes russes émotionnelles que l’on vient de vivre, l’anniversaire n’en sera que plus beau.
Carrousel, EP de 6 titres, disponible courant juin. Accompagné d’un DVD (15 euros). Existera en édition collector (20 euros).Le clip « Damnée à perpétuité » sera diffusé le 12 mai à 20h sur la page du groupe.

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