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Chambéry : Raymond Gonnet et ces « Visages d’Algérie » qui lui sourient
Par Jérôme Bois • Publié le 24/05/21
Depuis le 19 mai, la Base accueille l’exposition photo « Visages d’Algérie » , consacrée à Raymond Gonnet, prêtre, installé outre Méditerranée depuis 1969. A travers l’œil de Raphaël, son neveu, les clichés évoquent un bienfaiteur, son action en faveur de l’éducation, de l’enseignement, de l’épanouissement des gens de Mascara où il vit depuis 1991. Pour l’auteur, ce voyage de 2019 fut initiatique et aura marqué sa vie à jamais. Découverte.
Il est de ceux qui transcendent les gens, les rendent meilleurs : il fait les hommes, avec un grand H. Raymond Gonnet a 80 ans, sa vie pouvait bien s’écrire ; Raphaël, son neveu, a choisi de la montrer, à travers une série de trente photos, non pas de lui seulement, mais de son œuvre en faveur des habitants de Mascara, en Algérie, en faveur des pauvres, des mal instruits, des personnes isolées. En février 2019, Raphaël était parti sans autre ambition que de connaître mieux l’environnement de Raymond, il en est revenu comme on rentre d’un voyage initiatique, l’existence bouleversée, la pellicule pleine de surcroît. Raymond Gonnet, 80 ans, c’est toute une histoire, à qui les mots n’auraient sans doute pas assez rendu hommage. « Il avait été ordonné prêtre à Voglans » , se souvient Raphaël, « et lorsqu’il eut à choisir une mission, il s’est tout de suite tourné vers l’Algérie ». Nous étions en 1969, les cendres de la guerre étaient encore chaudes, Raymond ne pensait alors sans doute pas que 52 ans plus tard, il serait devenu l’un des leurs. « C’est quelqu’un qui a le don de soi » , évoque Raphaël, il a œuvré dans le handicap, le milieu de l’enfance à Oran, Sidi bel Abbès avant d’hériter, en 1991, d’une église à Mascara, à 100 km d’Oran, en s’enfonçant dans les terres. C’est là qu’il peindra son chef-d’œuvre. En dépit d’une guerre civile meurtrière (entre 60 et 150 000 morts) et sans fin (elle s’achèvera en 2002). « Il s’y est installé à ses risques et périls alors que tous les expatriés étaient invités à partir ». Seul parmi les chrétiens à demeurer sur place, il transformera, en 1996, son église en une sorte de centre d’accueil, à la fois dispensaire, bibliothèque et lieu d’enseignement, baptisé « El Amel », qui signifie « espoir » en arabe. « Au départ, les premières personnes à venir étaient des femmes, du fait de la guerre ». En peu de temps, Raymond développe sa petite communauté, cumule les ouvrages au point de faire de sa bibliothèque « la plus belle de Mascara » , fort de ses 25 000 livres. Hommes, femmes, étudiants, enfants se pressent dans ce sanctuaire où la solidarité autant que la foi prédominent.
« Il continuera jusqu’au bout… »
C’est ainsi qu’en février 2019, après « avoir repoussé, repoussé » son voyage, Raphaël s’envole vers Mascara appareil photo en bandoulière, « sans objectif précis. C’est arrivé sur le tard à un tournant de ma vie ». Il y restera 8 jours, le temps de prendre l’ampleur du phénomène. « Je voulais faire une exposition sur l’Algérie » , rembobine Raphaël, « mais sur quoi exactement, je ne savais pas. C’est une fois là-bas que j’ai compris que je rendrais hommage à Raymond » , sa vie, son œuvre. Si Raymond Gonnet en est le fil conducteur, l’exposition est surtout le résultat de son engagement, à travers les visages exposés. « Il fait partie du décor, il parle arabe, enseigne, à 80 ans il reste superactif et je m’en suis rendu compte sur place ». Parfois, Raymond revient en France, en Savoie, « en mode retraité » , presque incognito, on n’imagine alors mal l’impact de cet homme de foi sur la vie de milliers de gens, à près de 2 000 km de Chambéry, « ce n’est qu’à son contact sur place que j’ai pu m’en apercevoir et jusqu’au bout il continuera, tant qu’il a la santé et l’énergie pour le faire » , avoue Raphaël, conquis par l’excellence habillée de simplicité. Là-bas, Raymond est considéré comme un fils du pays.
Revenu d’Algérie, Raphaël se met à l’ouvrage, travaille sur le choix des photos, les retouches à faire. C’est une véritable entreprise familiale puisqu’un cousin en a écrit les légendes et une nièce s’est emparée du site internet. Et c’est ainsi qu’en octobre 2019 soit six mois plus tard, il expose ses clichés, à la Dynamo, à Chambéry. « Je me fais l’écho de son action, chose que je n’aurais pu faire sans son accord. Bien qu’il soit quelqu’un de très humble, il a été touché tout de même » , sourit-il. Il s’est fortement interrogé, pourtant, du fait de la discrétion de son oncle. Et puis se sentait-il légitime pour le faire ? Pas vraiment, reconnaît-il. C’est pourquoi c’est avec une pudeur infinie qu’il s’est mis à l’ouvrage. Et comme de bien entendu, « le puzzle s’est assemblé » , un puzzle où « chaque photo a une histoire », où chaque visage est témoin du passage de Raymond.
« Ça a changé ma vie »
Le 26 mai, l’absence de Raymond sera remarquée ; par humilité et discrétion, il avait choisi de n’apparaître que sur peu de photos, et pourtant, il sera de tous ces « visages ». A la Base, dès 18h, Raphaël Gonnet se fera le seul guide de ce chemin vertueux à travers les décennies au cours d’un vernissage dont il ne sera pas l’unique maître de cérémonie ; Skal, pianiste et artiste pluriel chambérien, sera son invité, accompagné du slam d’Ak1, originaire des Hauts de Chambéry. En musique, il racontera certains de ces 30 clichés, lors d’un moment de convivialité, d’intimité même, à l’origine prévue pour janvier dernier. Puis, ce sera à Grenoble, en septembre, à la Maison de l’internationale, Lyon, Turin, Paris… « Je suis content que ça puisse sortir de Chambéry et de la France » , se réjouit Raphaël, dont il s’agit de la toute première exposition, du premier travail présenté au public. « C’est un exercice nouveau, longtemps, j’ai cherché une thématique pour commencer, je ne trouvais pas, elle est venue à moi et ça a changé ma vie ». A l’heure de voir les gens venir à son expo par attaches avec l’Algérie, parce qu’elle constitue une partie de leur histoire, il se dit « transporté » , ému, d’autant que ce pays dont on parle beaucoup mais que l’on connaît peu est « pareil à un voilier qui vogue au gré du vent » , selon l’homme de lettres Mokhtar Reguieg, navigant de soubresauts en soubresauts. Ce n’était pas ce qu’il était venu y chercher de toute façon car « l’Algérie n’est pas un pays, c’est un beau sentiment » , a écrit un jour Mohammed Chérif Naceur et c’est aussi ce que vous viendrez trouver dans cette exposition de l’intime et de l’amour. Un beau sentiment.
A la Base, 67 place François-Mitterrand, depuis le 19 mai. Vernissage mercredi 26 mai à 18h. Exposition jusqu’au 26 juin. Avec Skal et AK 1. Plus d’infos sur www.visagesdalgerie.comLe 16 juin, le documentaire « 143 rue du désert » (voir bande-annonce ci-dessous) sera projeté à 20h30, juste après une présentation de l’expo par Raphaël Gonnet (à 20h).
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