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Michel Bouvard : « Le renouvellement générationnel de la droite savoyarde se fait dans de bonnes proportions »

Par Jérôme Bois • Publié le 17/05/21

Conseiller départemental depuis 1988, ancien sénateur, élu municipal, riche d’une carrière politique qui l’a mené jusqu’aux plus hautes strates du pays, Michel Bouvard s’apprête à clore son exceptionnelle longévité au Département, au sein de la majorité savoyarde. Dans cette campagne, qui débute à peine, tout juste s’autorisera-t-il « à donner un coup de main ». Il évoque, dans cet entretien, le désamour des Français pour ce scrutin, le rôle du département dans leur quotidien et cette campagne qui, par endroits, a déjà attisé bien des tensions.
Si, depuis deux semaines, les candidats jouent des coudes pour obtenir leur premier rendez-vous médiatique, c’est peu dire que les préoccupations des Français sont ailleurs ; un « déconfinement » leur est promis, l’été approche, avec tous les excès que cela suppose et sans nul doute, les 20 et 27 juin prochains, les esprits seront-ils accaparés par tout ou presque, sauf par la politique. « Ça ne va pas lever les foules » , acquiesce Michel Bouvard. Le conseiller départemental de la majorité savoyarde dont le mandat s’achève accepte de se faire le porte-parole d’une droite confiante et satisfaite de son bilan.

Michel Bouvard (@SIPA pour Challenges)

Assez peu d’engouement pour ces électionsMichel Bouvard observe cette campagne de loin, avec hauteur et n’imagine aucun engouement particulier de la part des électeurs tant l’heure n’est pas à ces préoccupations : « Il n’y a, de toute façon, pas une participation extraordinaire habituellement ». Il distingue néanmoins deux types d’électeurs, ceux situés en zone urbaine, plus intéressés et plus « sensibles aux orientations politiques des candidats » , ceux en zone rurale, moins concernés. « Avec la chape de plomb Covid, avec l’interdiction – jusqu’à présent – de se réunir, je ne vois pas de mobilisation forte ». Alors comment, lorsqu’on est candidat, motiver les masses ? « Il y a bien les outils en ligne, les marchés, etc mais je crois que les gens en ont assez. Ce désintérêt global est dommageable et paradoxalement, la crise sanitaire a mis en avant ces collectivités territoriales, les gens l’ont perçu : la Région a équipé le territoire en masques, le département, en centres de vaccination, pour ne citer que cela ». Lui se dit « soulagé » de ne pas prendre part à cette campagne, « sans réunion publique – c’est inédit -, les idées ne sont pas bien comprises. En salle, vous sentez, à force de questions, ce que souhaitent les gens autour de vous. Alors bien sûr, il y a eu le développement de la visioconférence et du télétravail, pas sûr néanmoins qu’en dehors de la zone urbaine, la population se soit appropriée ces outils ». Heureusement, le ministère de l’Intérieur vient d’autoriser, à compter du 19 mai, la tenue de meetings politiques, selon un protocole progressif très strict. Demeure toutefois cette impression tenace selon laquelle le champ de compétence du CD serait assez peu clair dans la tête des citoyens, Michel Bouvard abonde mais reconnaît aussi que le brouillage venait de plus haut « Il y a eu une volonté d’attrition progressive des départements lorsqu’on n’a pas souhaité leur disparition, tout simplement.**. Or, avec la crise, on s’aperçoit de leur utilité. Après, l’idéal est d’avoir une majorité d’agglomération qui soit la même qu’au département et à la région » , se prend à rêver l’élu. 
Les finances du Département assainies« En ce qui concerne le CD, les choses sont cadrées, pas besoin de faire des discours généralistes sur la sécurité par exemple, comme le fait le Rassemblement national, ce n’est pas de sa compétence, nous n’avons pas le droit d’intervenir ». Pas plus qu’il n’est possible « de subventionner des entreprises ou de créer des parcs d’activités ». Que reste-il ? L’action sociale (ou les solidarités), les routes, les collèges, pour les compétences les mieux cernées par le grand public, le tourisme, l’agriculture, l’environnement, le développement durable (lire notre article du 14 mai)… « Le conseil départemental est réactif, on l’a désendetté*, on peut accompagner des communes sur des programmes d’investissements, participer à la diversification des équipements touristiques » sachant qu’il n’y a en outre plus de fiscalité à voter « depuis que le taux départemental sur le foncier bâti a été transféré aux communes ». Pour accompagner ces politiques, il était nécessaire d’assainir des finances plombées il y a encore une dizaine d’années. Accusé par l’opposition savoyarde d’avoir eu « une gestion de rentier » , ou de père de famille, Michel Bouvard se félicite pourtant de ce choix, « sans quoi il n’aurait pas été possible de mettre 40 millions d’euros dans le plan de relance, adopté en juin 2020, 1 million d’euros pour le Crous, 1 autre million pour le personnel de vaccination. Ça, c’est faire campagne ; sans cette gestion dite de bon père de famille, pas de politique de solidarité possible, pas d’investissements sur les équipements publics. Cette campagne doit se faire sur la réactivité du CD ainsi que sur son adaptabilité, malgré des champs de compétences réduits » , précise-t-il. Pour marquer le coup et asseoir ses intentions de transparence en matière de finances, la Savoie s’était portée volontaire pour la certification de ses comptes. « Si l’on avait été en non-maîtrise budgétaire, jamais nous ne l’aurions fait ». Une démarche effectuée dans la foulée du vote de la loi Notre, en 2017. Fin mai, le rapport sur cette expérimentation sera rendu en séance.
« La campagne, c’est d’abord un bilan »« On ne fait pas campagne que sur des projets mais d’abord sur un bilan » , introduit l’ancien sénateur. Un bilan qui porterait, en particulier pour les sortants, sur « la contractualisation avec les collectivités locales ». En l’état, il s’agit d’undispositif, prévu par la loi de programmation des finances publiques 2018-2022 qui vise à encadrer l’évolution des dépenses de fonctionnement (avec un objectif contraignant) de ces collectivités, et leur dette. Ce dispositif avait fait suite à plusieurs années de baisse des dotations de l’Etat. En 2019, la capacité de désendettement du Département était d’1,4 année, elle ne dépassait pas 2,5 années depuis 2017, symbole d’une gestion financière plus rigoureuse depuis plusieurs années. En matière de politique budgétaire, « il existe des différences d’appréciation : il faut, il me semble, continuer à investir sur le tourisme. Le tourisme hivernal n’est pas mort » , assène-t-il. Alors qu’à titre d’exemple, la création d’une retenue collinaire continue de susciter l’indignation de nombreux acteurs locaux à la Féclaz, Michel Bouvard a constaté une augmentation de la fréquentation de 70% sur le nordique, « ce qui a pu compenser les pertes sur les remontées mécaniques qui, avec le ski alpin, forment la colonne vertébrale du tourisme hivernal. Il faut diversifier, nous l’avons fait : par la création de parcours ludiques, l’aménagement de lacs, de vie ferrate, par le développement du tourisme patrimonial. Nous pouvons anticiper les attentes de la clientèle, les stimuler ». Par ailleurs, d’importantes sommes ont été investies ces dernières années dans de grosses opérations : 145 millions d’euros ont été attribués à la restructuration des collèges et de la rénovation du campus de Jacob-Bellecombette, 230 millions dans les structures routières, 100 millions en faveur de la politique environnementale, touristique et agricole. Des opérations trop peu connues du grand public.
« Nous avons des candidats de qualité »Pour la majorité départementale « la Savoie nous unit » dont fait partie Michel Bouvard, trouver des candidats à ce scrutin de juin n’a pas été compliqué, « nous disposions d’un vivier d’élus municipaux, de gens engagés dans la vie publique, le renouvellement générationnel se fait dans de bonnes proportions ». Selon lui, en aucun endroit de la Savoie ce renouvellement ne s’est trouvé contrarié, « ce qui est bon signe ». « Je note qu’en face, l’alliance des forces de gauche ne permettra pas pour autant de placer des candidats partout. Le Rassemblement national aura certes des binômes sur tous les cantons mais ce seront surtout des candidatures hors sol. Ensuite, il faut voir leur profession de foi ; moins de dépenses somptuaires, plus de sécurité… Ce que l’on peut voir apparaître à chaque élection » , une spécificité loin d’être locale. 
De cette majorité, pourtant, nombreux seront les élus à remettre leur titre en jeu : Renaud Beretti, Luc Berthoud, Franck Lombard, Annick Cressens, Nathalie Schmidt, Hervé Gaymard, Martine Berthet, Marie-Claire Barbier, Brigitte Bochaton, Christian Grange, Nathalie Fontaine, Vincent Rolland, Corinne Wolff, Frédéric Bret, Gilbert Guigue, Auguste Picollet, Cécile Utille-Grand, Christiane Brunet et Olivier Thevenet***. Tout semble donc aller de soi, sauf… sur un canton.
Le canton de La Ravoire, comme Montmélian en 2015 ?La droite savoyarde présente une particularité, celle d’avoir 20 binômes sur 19 cantons****. L’un d’entre eux fait encore parler de lui, celui de La Ravoire où deux binômes se revendiquent de « la Savoie nous unit », Alexandre Gennaro – Josette Rémy et Frédéric Bret – Angélique Guilland. « Ce n’est pas la première fois que cela arrive. Frédéric Bret, le sortant, a été battu aux municipales par Alexandre Gennaro qui veut aussi être candidat. Bret est légitime car il a un bilan et il est encore aujourd’hui membre de cette majorité » , présente Michel Bouvard. La dernière fois qu’un tel événement avait eu lieu, sur le canton de Montmélian, les candidatures conjointes de Michel Ravier – Lucienne Bulle et de Nathalie Nonfous – André Durand avaient conduit à leur élimination prématurée. Le duel RN – PS du second tour avait tourné à l’avantage de la doublette socialiste Jacqueline Tallin – Jean-François Duc. Un mauvais présage ? « La Ravoire est un peu un » swing state «, stable avec Jean Blanc puis Patrick Mignola » , soit jusqu’en 2010 et la démission de ce dernier. Puis plus mouvant avec l’arrivée de Jean-Marc Léoutre (DVD) puis de Robert Gardette (PS). « Dans cette histoire, il y a deux niveaux de lecture » , expose Michel Bouvard, « ceux qui pensent qu’il faut élargir la majorité à l’agglo afin d’y incorporer Alexandre Gennaro (qui n’en fait actuellement pas partie, NDLR) et ceux qui estiment que l’on n’a pas été capable d’arbitrer. Frédéric Bret s’est interrogé avant d’y aller, il était même prêt à se sacrifier : c’est difficile après avoir perdu une élection municipale, de prétendre qu’il n’y a aucune question à se poser. Il l’a fait et a décidé d’y retourner et je trouve cela normal. Aujourd’hui, une partie de la majorité soutient Alexandre Gennaro, une autre soutient Frédéric Bret » , avance-t-il. Le risque ? Voir le modèle Montmélian se reproduire et faire place nette à la doublette RN (Rémy Garnier – Mylène Joly) ou Savoie Ensemble (Arthur Boix-Neveu – Aurélie Fournier). « Je ne pense pas que les Savoyards soient portés par les discours extrémistes, ce sont des candidatures désincarnées, hors sol. Spontanément, l’électorat tend à voter contre ». Avec l’éparpillement des voix, Michel Bouvard envisage toutefois une telle perspective ; si le RN ne trouve pas grâce à ses yeux, il en va de même pour la doublette de Savoie Ensemble. « Même Arthur Boix-Neveu n’est pas un social démocrate, il est de l’aile très à gauche, je suis assez inquiet de cette configuration ».Afin de ne pas silencieusement quitter la scène, Michel Bouvard appuiera la candidature de celle qui est, aujourd’hui encore, son binôme au département, Brigitte Bochaton, en lice avec Aloïs Chassot sur Chambéry 2. Et suivra de près cette droite savoyarde, solidement accrochée à sa majorité challengée dans la plupart des cantons.

* Le Département a accéléré sa politique de désendettement en 2011. Entre 2018 et 2019, l’encours de la dette a été ramené de 205 millions à 168 millions d’euros. Durant ces deux années, le CD n’a plus eu recours à l’emprunt.
** « Depuis quelques années » , a écrit Nelly Ferreira, maître de conférence en droit public, « le département est au cœur des critiques faites à la décentralisation, en matière de complexité institutionnelle et d’enchevêtrement des compétences entre collectivités. Mais il est lui-même remis en cause : décrié comme peu innovant, inadapté aux nouvelles exigences de l’action publique locale, du fait d’un territoire exigu, d’un manque de dynamisme dû à des moyens financiers insuffisants et à des compétences principalement sociales, lui laissant peu de marge d’action, son avenir est questionné ». L’intégralité de son texte sur la résistance de l’institution départementale face à la promesse de son déclin est à lire ici
*** Christelle Favetta-Sieyès en faisait partie avant d’en être mise à l’écart du fait de sa candidature auprès de Thierry Repentin, lors des dernières élections municipales.
**** Depuis samedi 15 mai, sur le site « la Savoie nous unit », c’est bien le binôme Josette Rémy – Alexandre Gennaro qui apparaît sous la bannière de la majorité départementale, après s’être revendiquée, tout comme leurs opposants, comme tel. Jusqu’alors, Hervé Gaymard, président du Département, ne s’était pas positionné.

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