article

A Malraux, avec Marie-Pia Bureau, « l’été n’est pas annulé »

Par Laura Campisano • Publié le 16/06/21

Qu’il est bon de pouvoir retourner au théâtre, de prendre place dans les fauteuils de la grande salle de Malraux et de déguster un spectacle ! Après des mois privés de ce plaisir – pourtant essentiel – et à l’occasion de la venue d’Edouard Baer au théâtre chambérien, nous avons renoué avec la scène après la diète forcée par la crise sanitaire. L’occasion de se réjouir avec Marie-Pia Bureau, de la programmation estivale et du fait que non, « l’été n’est pas annulé ». 

La réouverture : « un grand soulagement »

La période a été longue mais n’a pas été pour autant inactive, dans les coulisses de la Scène nationale André Malraux. Au contraire, vu le premier confinement, qui avait mis tout le pays à l’arrêt, Marie-Pia Bureau avait saisi l’importance de garder le lien, le moral et l’envie de ses équipes à flots. « J’ai compris très vite que ce confinement était vécu de manière illégale par chacun de nous, qu’il pouvait laisser des gens sur le carreau », se souvient-elle, « vis-à-vis des salariés, il fallait qu’en responsabilité je travaille pour la motivation des équipes, et le sens de ce que nous avons fait. » Sont donc ainsi lancés des projets avec les établissements scolaires, les EHPAD – quand cela était possible -, mais également des chantiers internes, avec un travail sur la démarche RSE de Malraux. « Nous nous sommes par exemple interrogés sur notre hospitalité », reprend la directrice, « sommes-nous assez hospitaliers ? Cette période a également permis d’accueillir des compagnies, surtout locales, pour des résidences et, avec l’accord du Préfet, des activités pour les scolaires, ce qui a donné lieu à de jolis moments aussi. Il y a donc toujours eu de l’activité, même s’il est vrai que la réouverture au public est un grand soulagement. » Passé le casse-tête de la déprogrammation-reprogrammation, pour caler les spectacles et les recaler ensuite, depuis le 15 décembre, la directrice et son équipe ont préféré reporter l’ensemble de la foisonnante programmation sur deux saisons, afin de laisser place à de nouveaux projets.

Un nouveau départ 

C’est donc une rentrée des classes avant l’heure, « un nouveau départ qui nous permet de nous recentrer sur nos missions », poursuit Marie-Pia Bureau, « à quoi sert un théâtre sinon à créer du lien, à créer du présent avec les gens ? Le cœur de notre métier est de créer du lien et de l’échange entre les humains, la culture, c’est ce lien, la cultiver, c’est notre pouvoir. »  Des mots forts et engageants, qui ont semble-t-il convaincu le public de revenir. Dans la grande salle, avec la jauge, chaque groupe séparé des autres par une place vide, il était au rendez-vous, ce mardi 15 juin. Présent, attentif, riant, s’émouvant et applaudissant, face à un Edouard Baer en verve, jusqu’à la standing ovation. « Nous sentons un potentiel sympathie énorme de la part du public », souligne la directrice, « il faut voir maintenant si les gens seront au rendez-vous ; on va voir, ils viennent de recevoir le programme pour l’été, nous verrons ce qu’il en sera pour la saison prochaine. Changeront-ils leurs habitudes, en programmant davantage au présent qu’au long cours, les spectacles qui leur plaisent ? » Il est sans doute trop tôt pour le dire, même si l’aperçu que nous avons eu mardi soir, nous a démontré que nous n’étions pas les seuls à avoir envie de revenir. « Ce n’est pas une fonction vitale, mais la joie vient de là ! » précise malicieusement Marie-Pia Bureau, « A quoi sert-on vraiment ? Le théâtre n’est pas qu’une boîte à spectacles, c’est un catalyseur, nous sommes là pour faire du bien aux gens. Si on le fait malgré eux, on le fait contre eux : il faut donc le faire avec eux. Tout le monde a une culture, et va se reconnaître dans une culture, toutefois il nous faut être vigilant, la société a énormément muté, c’est pourquoi il est important d’écouter les gens, cela nous fait bouger avec eux. Il y a de la place pour tous, et nous devons le mettre encore plus en avant. »

Une programmation estivale riche et variée « pour se laisser porter »

Alternant des conférences philosophiques au cours de l’Université d’été, permettant de réfléchir sur la mutation de la société, des moments de spectacles en salle moins traditionnels que d’ordinaire, des moments – nombreux- en extérieur, voyageant d’une cueillette de plantes à des résidences en extérieur, mêlant danse, cirque, clubbing… entre autres choses, cette programmation estivale promet d’apporter de l’air, de l’énergie. « Elle est solaire et incite à la liberté », résume Marie-Pia Bureau, « car il n’y a pas qu’une bonne réponse aux réflexions que pose la société, il y a néanmoins une manière de répondre. Il faudrait écouter avant de s’indigner, essayer de sortir de l’incantation, nous n’avons, à Malraux, pas envie de donner de leçons. Les artistes peuvent être porteurs d’une vision pour le public. C’est pourquoi accueillir des artistes connus, c’est bien mais ce n’est pas le seul critère, il faut aussi faire de la place aux artistes émergents, à ces gens qui viennent de partout, du local comme d’ailleurs. Mon métier, c’est d’être » rassemblière « de cette diversité. »  Convaincue, après 30 ans de métier, que les belles choses sont partout, que « plus on s’ouvre et plus on gagne » , fruit de ses réflexions autour de la différence entre le bon goût et le mauvais goût, qui lui ont permis de prendre la distance salvatrice pour « arrêter avec les hiérarchies artistiques », Marie-Pia Bureau a donc bon espoir que cette programmation estivale, éclectique, colorée et diversifiée saura non seulement ravir le public, mais aussi le pousser à réfléchir : la période que nous venons tous de vivre aura aussi permis cela…

« L’été n’est pas annulé », programmation juin-juillet 2021, Malraux scène nationale, à Chambéry

Tous les commentaires

0 commentaire

Commenter