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Après le premier tour, une abstention toujours plus haute, toujours plus forte

Par Jérôme Bois • Publié le 22/06/21

« On a mobilisé notre électorat ». Mais les autres non ? « Les professions de foi ne sont jamais arrivées ». Et leur absence a contraint l’électeur lambda à ne pas prendre les 10 minutes nécessaires pour aller faire son devoir de citoyen ? « La crise Covid… » Faudra-t-il se servir d’elle à toutes les sauces ? Toutes les excuses ont été avancées, dimanche soir, pour expliquer  pourquoi un tel désastre démocratique a été possible dans le pays berceau des droits de l’homme. On ne peut pas parler d’incident de parcours quand le mal est si profond. Tentative d’explications avec les protagonistes de cette soirée électorale savoyarde.


« Ça fait longtemps que je n’avais pas animé de débat politique, je commence vraiment à comprendre les Français ». Un tacle assassin, les deux pieds décollés du sol, adressé par Laurent Delahousse à Olivier Faure et Marlène Schiappa, tandis que tous deux se lançaient dans ce fascinant et cacophonique exercice du « parlons tous en même temps et rendons inaudibles nos éléments de langage ».

C’était en direct sur France 2, dimanche 20 juin, à l’issue de cette monumentale gabegie électorale qu’ont été ces deux scrutins. Le patron du PS et la secrétaire d’Etat LREM rivalisaient d’invectives et renvoyaient la politique à ce qu’elle a de plus sinistre : les vaines querelles de boutiquiers. Comment ne pas les comprendre, ces Français, qui inéluctablement en arrivent à vomir la politique ou plutôt les politiques ? On se gaussera volontiers de la mauvaise foi des uns, des fausses excuses des autres, de la théorie du complot gouvernemental fourbi par Jean-Luc Mélenchon à la contrition de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, coupable d’un énième « il faut entendre les Français ». Pardonnez-leur, ce n’était pas un soir à être homme ou femme politique…

1 : le constat

67,5% des Français ne sont pas allés voter, dimanche, 66,43% des Savoyards non plus, pour les seules départementales. Quid des régionales ? 66,52%. Au moins, les électeurs ont-ils eu le mérite de la constance, même s’ils auront été très légèrement plus nombreux à accorder de l’importance aux premières (104 638 contre 104 342). Plus qu’une débâcle, c’est un échec, une « gifle à la démocratie » , selon le politologue Jérôme Jaffré.

Les vieilles méthodes ont-elles toujours la cote ?

Dimanche soir, en Préfecture de Savoie, nous avons assisté à une lente procession d’élus, de candidats, de vainqueurs, de vaincus, certains affichant de larges sourires, comme Emilie Bonnivard, députée de Savoie, ravie du score réalisé par Laurent Wauquiez, fière d’avoir su « mobiliser » ses « électeurs ». La différence avec les malheureux d’un soir ? « Nous avons toujours été clairs, les gens connaissent leurs élus ». Le terrain, le terrain, le terrain. Car « la politique, c’est aller vers les gens ». Clément Coral Dit Granell, défait sur Chambéry 1, soutient, lui comme d’autres, du reste, « l’avoir vue venir » , cette fichue abstention. « Les gens ont voulu profiter d’autre chose plutôt qu’aller voter ». Il estimait qu’il y avait mieux à faire que ces quelque 10,39%, les plaçant, lui et Ornella Dulellari, bons derniers sur Chambéry 1. Écarté d’un débat entre les candidats du canton au motif qu’il n’était pas « présent en 2015 » , le jeune candidat l’a mauvaise. Et ce n’est pas faute de l’avoir trouvée « géniale » , cette campagne. « Il y a un écœurement » , juge Yann Del Rio (Savoie ensemble), en ballottage sur Saint-Pierre d’Albigny. « Sur le terrain, on a clairement senti un désintérêt même si on ne s’est pas fait jeter. Il était difficile de prendre la température ». Driss Bourida, candidat sur Chambéry 1, présent au second tour, avait « senti » la catastrophe arriver, « ça fait un bon moment que les gens n’y sont plus, c’est maintenant qu’il faut rééduquer, l’engagement des élus doit être véridique. Aujourd’hui, les gens ont des problèmes, ils se retrouvent face à eux-mêmes ». « Un quart d’électeurs en moins par rapport à 2020, voilà qui doit nous inciter à faire preuve d’humilité » , lance Gaëtan Pauchet, en tête sur Chambéry 1, « on s’apprête à élire des gens dans un mouchoir de poche ».En conséquence de quoi « rien n’est significatif dans cette élection, un vainqueur pourra toujours être satisfait, la démocratie est clairement en jeu. Il y a un dégoût, c’est le fruit de promesses non tenues » , conclut Brice Bernard, délégué départemental du RN. « Près de 70% d’abstention, c’est inquiétant, ça fait mal et ça ne permet pas de dire que ces élections sont significatives » , rappelle Johan Level, cadre de Génération Nation. Pour mémoire, très peu ont dépassé la barre des 20% d’inscrits même si beaucoup de gargarisaient de résultats flatteurs, puisque tenant compte du nombre de votes exprimés.

2 : les causes

Où étaient les professions de foi ? Pour le porte-parole du PCF 73, Florian Penaroyas, le problème des plis électoraux a évidemment fait basculer ce double scrutin. « C’est cela », renchérit Yann del Rio, « ils ont voulu déléguer à un privé, ça a tourné au fiasco ». Le privé en question, Adrexo qui a justifié ces couacs de livraison par une cyberattaque. L’argument a été repris par tous ou presque. « Les professions ne sont pas arrivées » , s’est désolé Alexandre Gennaro et ce détail aurait fait la différence, alors que le candidat ravoirien voyait « les gens se remobiliser dans la dernière semaine ». Le gros couac de la distribution a également été mis en valeur par Yannick Boireaud, d’Ecoexistons à La Ravoire, « trop de gens ont découvert les listes et candidats en entrant dans la salle de vote. Il fallait s’y attendre ». « Il y a même eu mélange des candidats » , souffle Marie Dauchy, seule candidate RN en lice pour le second tour sur Saint-Jean-de-Maurienne, « alors qu’on avait bien fait le travail jusque-là ». Sur Viviers-du-Lac, le Bourget-du-Lac et Voglans, les professions de foi du binôme RN sur le canton de La Motte-Servolex ne sont pas arrivées, « notre campagne n’a pas été mise en avant » , peste encore Johan Level. Défaits sur Chambéry 2, Jean-Benoît Cerino et Raphaëlle Mouric produisaient, sur leur page Facebook, un message clair : « Les vents porteurs étaient ailleurs et la faiblesse sans précédent de la participation fut accentuée par l’inadmissible non-distribution des milliers de documents électoraux, privant beaucoup d’électeurs des informations nécessaires aux choix ». Vraie excuse ou fuite de responsabilités ?

 

Des élections mal identifiées « Ce qui fonctionne bien, c’est de faire campagne, de débattre et pas seulement pendant une campagne. Si le conseiller départemental est sur le terrain, il sera identifié » , nous explique Damien Ancrenaz, premier secrétaire du PS de Savoie. « Autant les électeurs ont l’impression d’avoir un impact sur les municipales, autant à l’échelon supérieur, c’est tout de suite plus compliqué » , estime-t-il. « C’est assez flou et compliqué de distinguer qui fait quoi ». Les élections régionales et départementales « sont bien moins identifiées ». La faute, dans ce cas présent, à la prépondérance des régionales, relayées avec gourmandise par les médias nationaux, qui ont renvoyé les départementales aux seuls médias locaux, de moins en moins suivis, il faut le dire. Et même si beaucoup ont joué le jeu de la pédagogie, il ne faut pas oublier, comme le souligne Yann Del Rio, « que les gens se détournent même des institutions », maintenant.

 

Tractage, boitage, réunions publiques, la fin des vieilles méthodes ? Si « ce n’est pas la fin des vieilles méthodes » , nous certifie Damien Ancrenaz, ce n’est pas faute d’en voir les limites. Pour Driss Bourida, ces méthodes les ont clairement affichées : « Les réunions publiques, ce n’est pas bon, il faut qu’on développe le fond parce qu’ils n’y ont vu aucun intérêt ». Pour qui a parcouru les réseaux sociaux, voir ces photos de meetings de campagne à 6, 10 ou 12 personnes avait quelque chose de révélateur. Engagée aux côtés de Frédéric Bret et battue sur La Ravoire, Angélique Guilland écrivait déjà, le 15 juin dernier, ceci : « Merci aux 10 personnes qui sont venues nous soutenir, un soir de grosse chaleur avec, en prime, un match de l’équipe de France. Peut-être que le temps de ce type de réunions est révolu ».

La dernière réunion publique du binôme Luc Berthoud – Nathalie Fontaine à La Motte-Servolex, le 18 juin.

Ils seront les seuls à véritablement afficher leur défiance envers ces campagnes classiques. Car par ailleurs, les candidats les revendiquaient : « Nous avons fait le maximum, notre campagne a été bien faite » , assure Johan Level, battu sur le canton de La Motte-Servolex par un implacable duo Berthoud-Fontaine. Une campagne faite de boitage, de tractage… « Jamais je n’abandonnerai cette façon de faire » , promet le jeune candidat. « Une campagne, c’est aller voir les gens, les associations, les entreprises, nous sommes allés sur le terrain ; quand on travaille et que l’on est exigeant, les électeurs le reconnaissent » , confie Emilie Bonnivard. « Le message doit être clair, sans ambiguïté » , poursuit-elle, « les visites à domicile, les meetings, les marchés, ça fonctionne ». Satisfait de sa campagne « de terrain » Alexandre Gennaro soutient que « la méthode n’est pas si mauvaise que ça ». A priori, non, nous ne verrons pas la fin de ces lancinantes campagnes même si certains, comme Driss Bourida, reconnaissaient qu’il fallait innover dans les méthodes. « Il faut une prise de conscience et passer au numérique » , tranche Florian Penaroyas. Toutefois et assez curieusement, le vote électronique n’a jamais été cité parmi les évolutions nécessaires.

 

Des élections  coincées entre crise Covid, déconfinement et événements sportifs « Il ne fallait pas les mettre à ce moment de l’année ». Alexandre Gennaro reprenait l’argument porté par Patrick Mignola voici deux mois et demi*, ces élections ne pouvaient pas se tenir à une période où traditionnellement, les Français ont la tête ailleurs. « Oui je les voyais plutôt en octobre » , ajoute le maire ravoirien. Dimanche soir, il fut le seul à le regretter. Décalées d’une semaine, elle tombent mal et ce même si la météo a été clémente, nous gratifiant d’un temps instable, moins propice aux barbecues et aux joies de la baignade. Jean-Jacques Bétemps, candidat RN sur Aix 2, nous transmettait le fruit de ses réflexions : « J’ai quelques explications et plusieurs raisons » , écrit-il. « Les élections tombent le jour de la fête des pères, nous sommes en pleine coupe d’Europe de foot et j’ajouterais le grand prix de France de Formule 1. Cela suffit à démobiliser les plus courageux. D’ailleurs, nous sommes en juin et les gens ont la tête aux vacances ». Et puis impossible de ne pas évoquer la crise Covid, « un an et demi de crise qui a abouti à des décisions autoritaires. Elles tombaient d’un coup, plein de familles en ont souffert » , reconnaît Amandine Lécole, engagée et éliminée sur Saint-Jean-de-Maurienne. Cet autoritarisme aurait donc été de nature à détourner un peu plus les électeurs des urnes. Pourtant, c’est aussi oublier que cette crise a rappelé la prépondérance des départements et des régions dans les réponses de proximité, peut-être que cet élément n’a pas été évoqué à sa juste valeur durant cette campagne. « Ce désintérêt global est dommageable et paradoxalement, la crise sanitaire a mis en avant ces collectivités territoriales, les gens l’ont perçu : la Région a équipé le territoire en masques, le département, en centres de vaccination, pour ne citer que cela » , nous rappelait Michel Bouvard, le 17 mai dernier.

3 : les solutions

Plus de démocratie participative « Nous voulons que les populations soient consultées » , résume Laetitia Mimoun, binôme de Yann Del Rio, « sur des thèmes comme le social, les transports ». « Ce que nous voulons leur dire » , renchérit son binôme, « c’est que si nous sommes élus, c’est eux qui auront du boulot, parce qu’on viendra les voir, tout le temps, pour échanger et trouver des idées ». « Il faut effectivement des consultations citoyennes sur des sujets qui intéressent les gens ; nous devons impliquer les gens dans les grandes orientations et pas seulement pendant les élections. D’ailleurs, sur les régionales, vous n’avez pas vu de grands meetings » , fait remarquer Damien Ancrenaz. Déjà expérimentées sur le terrain après les municipales, notamment à Chambéry pour Ravet et le stade ou à La Ravoire pour Valmar, ces concertations tous azimuts vont-elles conquérir le cœur des élus départementaux ?

 

Être lisible et visible « La politique, c’est comme le flirt, pour aller plus loin, faut aller plus près » , raillait le regretté Coluche. Arthur Boix-Neveu se souvient d’une Nathalie Laumonnier « assez proche » des gens, faisant montre de son travail de conseillère départementale en chaque instant. Oui, « être lisible et visible, et pas seulement sur un bulletin d’information » est un incontestable plus, pour le maire de Barberaz, en tête dimanche soir sur La Ravoire. Lui a déjà fixé sa ligne de conduite en cas de victoire, dimanche : « J’irai dans les conseils municipaux pour présenter les actions effectuées par le département ». L’idée de tenir une permanence, comme le fait un député, germait même, çà et là, « après, je ne suis pas sûr que tenir permanence à Féjaz draine beaucoup de monde » , nuance Arthur Boix-Neveu «. » Mais ce serait l’occasion de donner une impulsion« , reprend Yann Del Rio, destinée à créer l’habitude. » Les gens galèrent, ils ont besoin que l’on soit présent auprès d’eux, proches de leur quotidien. Le sort de l’hôpital de Moûtiers ne concerne peut-être pas le conseil départemental mais les conseillers sont-ils seulement touchés par sa situation ? « Un peu d’humanité, en somme, et de présence physique. » Être présent, proche, connaître son territoire, oui c’est important parce qu’on peut vite donner l’impression qu’on ne vient que tous les six ans à leur rencontre« , concède Gaëtan Pauchet. » Ensuite« , poursuit l’élu chambérien, » les permanences, c’est bien mais il faut surtout partir des conseils de quartier. Le champ municipal est visible, le conseiller départemental accompagne les projets« , comme un élu de l’ombre, » il représente tous les électeurs d’un canton. Toutes les actions doivent être concertées pour refonder un projet d’intérêt général et faire que chacun exprime son choix avec lui«. Participer aux comités de pilotage de Grand Chambéry sur le contrat de ville, participer aux conseils de quartier, développer un projet de tiers-lieu sur Sonnaz, telles sont les pistes explorées par le duo Bourida – Sartori.



Le spectre de la proportionnelle Promise par Nicolas Sarkozy un jour de février 2012, la proportionnelle est le chiffon rouge agité par tous les candidats aux récentes présidentielles mais que personne n’ose clairement mettre en place. « Si l’on avait eu de la proportionnelle intégrale avec prime depuis 1958 » , résumait Patrick Mignola dans ses vœux de janvier 2021, « on aurait dégagé des majorités, ça fonctionnerait. Le seul défaut est qu’elle ferait entrer le rassemblement national à l’Assemblée, je l’assume. Je préfère affronter le RN les yeux dans les yeux dans un hémicycle plutôt qu’à travers le front médiatique. Les extrêmes prospèrent parce qu’ils ne sont pas présents dans les hémicycles ». Le député de Savoie ne faisait que suivre la voie empruntée par François Bayrou. Et devinez qui la réclame à corps et à cris depuis dimanche ? Le RN, bien sûr. « Emmanuel Macron l’a promise, nous n’avons que 6 députés sur 577, alors à quoi bon continuer comme cela ? » , s’interroge Marie Dauchy. « Nous l’avons toujours réclamée alors je relance un appel car nous n’avons jamais été au pouvoir ». Les Gilets jaunes s’étaient mobilisés pour, « il n’est jamais trop tard » , confie-t-elle. Le JDD relatait, en février dernier que « du point de vue de l’Élysée, ce n’est pas le moment, en pleine vague épidémique, de donner l’impression de manipuler les modes de scrutin à quatorze mois de la présidentielle ». Et maintenant ?

* « Je suis pour un report à l’automne » , certifiait le député en avril dernier. Il estimait alors qu’il serait trop « difficile d’organiser un double scrutin » , arguant qu’il serait alors « nécessaire de vacciner les personnes en charge du dépouillement ainsi que les assesseurs ». Une campagne de vaccination qui pourrait engendrer « une compétition vaccinale avec d’autres publics ». Il a indiqué par ailleurs qu’il serait extrêmement compliqué d’avoir « les noms des 600 à 800 000 personnes impliquées dans ces échéances ». Reste enfin l’impossibilité pour les candidats d’aller à la rencontre des électeurs, on s’orienterait alors vers une campagne « 0 Covid qui aboutirait à des élections à 0 électeurs ». Même si des réunions ont pu avoir lieu, dans l’ensemble, Patrick Mignola avait été plutôt visionnaire.

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