article

Barby : écrire à deux, la « folie magnifique » de Marianne et d’Arnaud Buffin

Par Jérôme Bois • Publié le 29/06/21

A quatre mains, c’est tellement moins simple… Pour sortir « la Femme du Kilimandjaro », Marianne et Arnaud Buffin auront eu besoin de six ans, six années jalonnées d’hésitations, de discorde et d’harmonie. Ce qu’ils n’avaient pas prévu, pas plus qu’ils n’avaient envisagé le succès de leur premier ouvrage, qui appelle une suite, d’ores et déjà dans les cartons. A quoi ça tient, le succès… A une balade en montagne, dans le cas présent, et à une longue et très lente gestation.

« La Femme du Kilimandjaro » est sorti le 2 décembre 2020, en parler ici ne résulte pas d’une actualité véritable sinon d’une envie de raconter comment deux personnes aux caractères diamétralement opposés sont parvenues à s’accorder pour parvenir à réaliser ce projet commun.Tout est parti de Chapieux, près de Bourg-Saint-Maurice. « On descendait de la vallée des Glaciers » , se souvient Marianne, « pour passer la nuit, on se retrouve là et… et on s’est demandé ce que nous pourrions faire comme projet commun. On n’habitait pas ensemble à l’époque, on voulait autre chose qu’un simple voyage ». « Surtout, on ne voulait pas travailler ensemble » , poursuit Arnaud, échaudé par une expérience malheureuse lorsqu’ils avaient, ensemble, créé Acta 73 (association de concertation sur les troubles de l’apprentissage). Une expérience marquante, à tel point qu’elle était parvenue à les éloigner. Trop différents dans leur fonctionnement au quotidien, trop opposés en termes de caractère, il allait leur falloir se creuser la tête.

Barjavel, ce héros

@Stéphanie Nelson

Marianne pense alors à un livre, elle qui avait été co-autrice d’un ouvrage avec le CNRS. « C’est parti sur un coup de tête » , rembobine Arnaud, « j’adore foncer » , l’idéal pour tirer un trait sur les moments difficiles. Plus réfléchie que son fonceur de compagnon, elle finit par accepter, sans imaginer qu’un sacré chemin de croix venait de s’ouvrir devant eux. « On a minimisé les difficultés d’écrire à deux » , confirme-t-elle. Heureusement, elle, manager de projets au CHMS, « est quelqu’un de calme, de posé » , aux antipodes d’Arnaud, pédiatre, « plus impulsif » , aux « émotions à vif, terriblement passionné ». « Je ne suis pas très rigoureux ni très organisé » , sourit Arnaud, elle sera donc la force tranquille du duo. Le portrait laisse peu de place à la nuance, ce binôme dysfonctionnel sur le papier allait devoir composer de concert. Au terme de ce périple, ils réussiront leur pari et se (re)découvriront.Première étape de cet imposant chantier, bâtir le squelette du roman à venir, un moment « intéressant ». Les choses avancent, « on s’apportait mutuellement ». Ils partent sur une quête scientifique, avec si possible une « intrigue vendeuse » , « deux héros sexy » , quelque chose de différent, en somme. « Oui » , s’amuse Arnaud, « le commissaire, ça a déjà été fait, le médecin ou l’avocat aussi ». Germe alors une histoire d’amour, indispensable, même si « nous ne savions pas où nous allions ». Ils pensent gémellité, recherche scientifique, environnement, un mot qui tient particulièrement à cœur à Marianne. Lui sera urgentiste, elle, glaciologue. « J’ai travaillé en laboratoire d’études de transfert en hydrologie et environnement » , reprend Marianne, « avec des glaciologues, notamment, je n’avais alors que 18 ans ». Fascinée par ce métier méconnu autant qu’Arnaud l’est par le froid et le grand Nord, tous deux optent pour une aventure scientifique dont le point de départ sera la découverte d’un échantillon de glace qui révèlera, en fondant – foutu réchauffement climatique ! – un secret « parmi les mieux conservés ». Toute ressemblance avec le best seller de René Barjavel, « la Nuit des temps », n’est pas pure coïncidence puisque notre couple – marié depuis 2018 – s’en inspirera volontiers. Pensez donc, une expédition au pôle Sud qui découvre une cité prisonnière des glaces vieille de 900 000 ans et qui réveille deux corps en état de biostase… L’héroïne du livre, Eléa, a même à ce point marqué Arnaud qu’il en a fait sa « plus belle de tous les temps ».

Deux esprits, deux styles, un récit

Les bases sont là, la charpente est solide, il reste à lui donner corps. « Chaque mot devient alors un compromis, il nous fallait se mettre d’accord sur tout, forcément, ça nous a pris beaucoup de temps » , relate Marianne. « Nous étions prévenus, l’écriture à deux ne se fait pas sans un leader » , renchérit Arnaud. Problème, aucun d’eux ne veut tirer la couverture à lui. Lève-tôt, Arnaud s’active le matin, après être allé cavaler au grand air, « il écrit à la main, dans l’instant, ce qu’il pense ». Marianne, plus méthodique, peut passer la journée sans lever la tête de ses notes, « ça a été une guerre en permanence » , en plus d’une redoutable contre-pub à la pratique de cet exercice si particulier. « Je voulais juste mener ce projet à son terme » , rappelle Marianne, quand Arnaud, lui, se prenait à rêver de succès, de substantiels revenus, « une idée qui s’est assez rapidement évaporée » , se souvient-il. « C’était impressionnant de la voir tout changer lorsqu’elle repassait derrière moi tellement je peux vite être confus. Elle fait le tri, elle élague, elle coupe » , avec méthode et minutie, il avouera tout de même que ça a pu être difficile à vivre, parfois. Dans cette organisation somme toute assez précaire, ils parviennent toutefois à s’approprier chacun un personnage – Anna pour elle, Simon pour lui, et peu à peu, leurs styles respectifs se lissent pour ne faire qu’un. On ne s’étonnera pas que Simon soit aussi le prénom de l’un des héros du livre de Barjavel… Au gré de ce curieux modus operandi, les Buffin parviennent à proposer un premier jet à un éditeur. « Pas accepté » , en rigole encore Arnaud, « on a donc tout repris ». Derrière, ils « arrosent » , expédient leur ouvrage à un maximum d’éditeurs, pour une dizaine de réponses seulement, argumentées, néanmoins. Pour la plupart, l’intrigue, trop complexe et étayée, effraie. « On nous a même dit qu’elle était élitiste, que ce roman s’adressait à un public trop averti, il a fallu simplifier, réorganiser la structure du livre. Au départ, nous voulions faire quelque chose qui se lise facilement, de populaire ». Raté. « On a failli tout arrêter » , souffle Marianne. Ils avaient pourtant poussé le bouchon très loin, allant jusqu’à faire valider par des professionnels tout postulat scientifique, « dans ce livre tout est plausible » , se réjouit Arnaud. Marianne, elle, tenait fort à la véracité du récit, « je suis allée vérifier s’il était possible de voir un gypaète au Kilimandjaro il y a 11 000 ans ! » Jusqu’au séquençage génétique expliqué dans le roman, « la Femme du Kilimandjaro » est un canevas, précieusement brodé. Le risque ? Rebuter les maisons d’édition et le lecteur lambda.

« 1 000 projets à faire, ensemble »

Seulement, la rencontre avec Catherine Destivelle, aujourd’hui éditrice et célèbre alpiniste, les maintient en vie. « Nous avions finalement eu deux retours, le sien et un autre, » la Fontaine de Siloë« . Les éditions du Mont-Blanc leur proposent un écrin » plus beau, plus intéressant, on a signé« . S’ensuivent plusieurs mois de corrections avec une professionnelle » pour muscler le récit « et pour faire le tampon entre les deux. Ensemble, ils essuieront quelques larmes lorsqu’ils parviendront à leurs fins. » C’était éprouvant pour notre couple« , ils auront tous deux traversé plusieurs phases émotionnelles, entre jubilation et abattement. Marianne : » J’étais contente d’être allée au bout de ce projet existentiel, je n’attendais rien de l’après. Aujourd’hui, je ne souhaite pas repartir sur un projet à deux « et malgré une ébauche de suite imaginée avant même d’être édités, » on veut vivre autre chose« . Parce que rien n’a été simple, parce que » nous n’étions que lecteurs, pas écrivains, au départ« . Marianne, sans doute intoxiquée, ne pourra même plus lire de livre pendant un temps,  » je voyais des structures de textes plus que les histoires, c’était très frustrant« . Près de huit mois après la sortie de » la Femme du Kilimandjaro », le livre connaît un regain de vie, « il a été réimprimé et il s’écoule, doucement« . Au point d’atteindre les 3 500 ventes. » En mai, 500 sont partis, environ, il continue de bien vivre« . Quant à eux, ils réfléchissent, » nous avons mille projets à faire ensemble« . Lui se penchera sur son ouvrage perso, elle rêve de vacances » sans manuscrit dans les valises« . La porte d’un nouveau récit commun n’est cependant pas fermée, » on tâchera d’y passer moins de temps« , sourient-ils. Entre le besoin de vibrer d’Arnaud, la nécessité de ne pas s’ennuyer pour Marianne, ils trouveront probablement de quoi agrémenter leur quotidien déjà faste, » c’est le challenge«. Parce qu’ils aiment ça, le challenge…
« La Femme du Kilimandjaro », éditions du Mont-Blanc. 17,50 euros. Disponible en librairie et sur le site www.leseditionsdumontblanc.com

Tous les commentaires

0 commentaire

Commenter