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Départementales en Savoie : une implacable majorité, une écrasante abstention, un bilan en clair-obscur
Par Jérôme Bois • Publié le 28/06/21
Fugace impression d’un coup d’épée dans l’eau. Là où tendances et sondages laissaient présager du mouvement au sein du conseil départemental, le second tour se sera au contraire ri de nous. Ce 27 juin n’a rien dit de tout cela, la majorité reste majoritaire, Savoie ensemble, si bien calé à l’issue du 1er tour, a calé tout court, le Rassemblement national a disparu, l’abstention a régné. Alors, à quoi tout cela a-t-il bien pu servir ? A conforter ce qui pouvait l’être, bien sûr… l’image d’une démocratie chancelante dissimulée derrière les sourires des vainqueurs et la détresse des vaincus.
Ainsi, la Savoie nous unit en sortit grandie, telle sera la conclusion à donner de ce grand bain électoral de 2021. Le second tour des élections départementales ne fut qu’un ersatz de la révolution envisagée il y a peu encore, incarnée par les alliances de gauche, les candidats sortis du chapeau, les outsiders…
Le premier tour avait défini de nouveaux horizons pour ce conseil départemental si imprégné par une droite omniprésente, la nouvelle donne allait-elle se confirmer ? Quelle tête d’affiche allait passer à la trappe ? Combien de cantons cette majorité allait-elle récupérer ? Est-ce que de nouvelles forces allaient se créer parmi les 38 nouveaux élus ? Nous guettions une lame de fond. Ce fut une vaguelette, à peine du clapot. Ni séisme ni même frémissement, pas plus qu’une chiquenaude, un dimanche comme un autre, entre prime aux sortants, adoubement d’une éclatante majorité, annihilation ferme des quelques binômes de cette gauche multiple et si bien représentée à l’issue du 1er tour. La photo de classe de la promo 2021-2028 aura comme un goût de la précédente, solide, imperturbable.La Savoie nous unit, grande victorieuse de ce 27 juin, jouira de 14 cantons là où elle en possédait 15 jusqu’ici. Elle n’a souffert que d’une pichenette, à peine. 28 conseillers départementaux sur 38, c’est confort, le contrat est rempli La gauche glanera six élus, la majorité chambérienne, incarnée par Gaëtan Pauchet et Claudine Bonilla, deux, Christelle Favetta-Sieyès (UDI) conservant son bien, partagé avec Franck Morat, maire de Cognin, en lieu et place de Lionel Mithieux.
Des candidats élus en moyenne par un électeur sur cinq
Ce qui aura marqué les esprits, dans ces deux tours de piste, fut nécessairement l’abstention, encore indécente, dimanche soir, à près de 67% en Savoie. Il n’y eut pas davantage de mobilisation après la purge du 20 juin qu’hier, alors que les tendances de midi et 17h laissaient déjà présager une débâcle sans précédent. C’est donc d’un échec total dont nous parlons aujourd’hui, un échec tant pour les électeurs, démissionnaires, que pour élus et candidats, incapables de rassembler sous leurs bannières respectives.Et quitte à pousser le bouchon un plus loin, les scores réalisés par chacun sont trompeurs, il suffit de se pencher sur les résultats rapportés au nombre d’électeurs inscrits pour s’en convaincre. Ce n’était pas un jour à se gargariser de scores ronflants, de 72%, de 56%, de 63%, le pourcentage rapporté au nombre d’inscrits donnait une image bien plus écornée mais réaliste du spectacle. De 16 à 24% des électeurs représentés, soit des vainqueurs adoubés en moyenne par un électeur sur cinq. Il faut encore vous faire un dessin ? C’est bien pourquoi dimanche soir, nombreux ont été celles et ceux qui badigeonnèrent leurs discours de victoire d’humilité. Parce que tous ne représentent désormais plus grand monde. En cela, l’échec est total. « On n’a pas su trouver le canal pour créer de l’agora » , concédait Driss Bourida, défait sur le canton de Chambéry 1, « les gens ne sont pas là, il n’est pas anodin que le plus gros impact de la crise sur ces deux dernières années ait été démocratique plus qu’économique ».
Pour sa binôme, Caroline Sartori, le véritable travail va devoir commencer : « Il nous faudra faire une vraie évaluation en vue de comprendre ce que nous n’avons pas réussi et de reconstruire ». Le début d’une indispensable remise en question. Le premier reconnaîtra ne pas avoir été satisfait de cette campagne, il n’était pas le seul. En effet, beaucoup avaient de la bile à déverser après cet historique dimanche de juin, certains dénonçaient des « campagnes sales, calomnieuses, qui finissent toujours pas laisser des traces » dans l’esprit des électeurs. Ceux-là mêmes pourtant prompts à pester contre les querelles de boutiques. Arthur Boix-Neveu et Aurélie Fournier, en tête au 1er tour, ont finalement cédé face à Alexandre Gennaro et Josette Rémy et peinaient à reprendre leur souffle. « Ils ont fait sale et de nombreux électeurs sont tombés dans le panneau » , persiflaient-ils. Au Rassemblement national, les mines étaient déconfites. Premiers sur les lieux, à appréhender le résultat final de leur poulain aux régionales, Andréa Kotarac, ils savaient déjà que Marie Dauchy, dernière engagée dans les départementales, ne pourrait s’en sortir autrement que par une défaite. Le front républicain montre les muscles lorsqu’il vise à faire barrage à untel mais il se déballonne bien vite lorsqu’il doit défendre une certaine idée de la démocratie. On n’attire pas les électeurs avec des cibles à abattre mais avec des convictions à préserver, ce sera une leçon de plus à méditer.
Joie et modestie
Ils n’avaient pourtant pas tous de l’amertume à revendre. Ainsi Gaëtan Pauchet se réjouissait-il du « gros boulot réalisé sur le terrain » pour aboutir à son maintien sur Chambéry 1. Christelle Favetta-Sieyès se disait, quant à elle, partagée entre deux sentiments, la satisfaction d’avoir « conservé son canton » en dépit des vents contraires et « la modestie » nécessaire dont il faut s’enduire compte tenu de la participation somme toute mineure. Alexandre Gennaro, « honoré » du cadeau fait par ses électeurs, manifestait, dimanche soir et lui aussi, une joie mesurée. Ce n’était pas un dimanche à jouer au fier à bras. « Nous sommes satisfaits et humbles » , renchérissaient Aloïs Chassot et Brigitte Bochaton, seul binôme de la majorité départementale à s’imposer sur un canton chambérien. « Habituellement » , faisait remarquer l’élu de Chambéry, « sur le marché, vous avez ceux qui vous encensent et ceux qui vous insultent. Là, on ne s’est jamais fait engueuler », c’est dire… Si même le râleur ne râle plus, c’est la France qui en perd son AOC. Pour lui comme pour la maire de Jacob-Bellecombette, la victoire s’est bâtie sur une campagne de pédagogie « afin de leur montrer que le département, c’est avant tout une action du quotidien ». « Nous allons rester humbles, nous sommes passés, à nous de remotiver tout le monde ». La conséquence de cette abstention, de la non-distribution des tracts, du débat sur le maintien ou non de ce double scrutin en juin et de tout ce qui a pu de près ou de loin parasiter le bonne conduite de cette double échéance ont abouti, selon Christine Rajat et Philippe Cordier, vaincus sur Saint-Alban-Leysse, à « une sclérose de la représentation politique qui entraîne la démocratie représentative dans une spirale mortifère. A l’échelon national, aucune des 13 régions n’a changé de majorité. Plus l’offre politique déçoit les électeurs, plus ceux-ci s’abstiennent. Plus ils s’abstiennent, moins l’offre politique se renouvelle. Moins elle se renouvelle, plus elle déçoit les électeurs etc. »
A Chambéry, la droite fragilisée, le conseil municipal aussi
Hervé Gaymard arriva tardivement dans les salons de la Préfecture où l’effervescence ne dut qu’à l’empressement des médias à se jeter sur les personnalités, sa venue fut néanmoins l’ultime sceau d’une victoire que beaucoup avait annoncée, que quelques-uns voulaient contrariée ; le patron venait de réussir son pari et sa réélection à la tête du conseil ne sera qu’une formalité. Dans le même temps, l’autre chef de majorité, chambérienne celle-ci, Thierry Repentin, se para d’un sourire bien coutumier chez lui, discret et pincé, il venait saluer la bonne performance des siens et la mauvaise passe de cette droite en si fâcheuse posture dans les bureaux de vote chambériens. « La minorité reste minoritaire à Chambéry » , suggérait le maire, « Aloïs Chassot et Brigitte Bochaton ne doivent leur élection qu’aux électeurs de Jacob-Bellecombette et même Laurent Wauquiez n’obtient que 40% à Chambéry, je suis donc satisfait des résultats dans le contexte, moins satisfait par le contexte lui-même, exécrable ». Il ne dira mot sur la position d’Aurélie Le Meur, qui avait appelé à deux reprises à voter contre les conseillers municipaux de la majorité (Christelle Favetta-Sieyès, Jean-Benoît Cerino et Raphaëlle Mouric) engagés dans cette courses aux voix, et en faveur des membres de Savoie ensemble qui leur faisaient face. « C’est notre façon de fonctionner, ce qui importe, c’est que notre majorité sorte renforcée » , trancha-t-il. On devine toutefois des lendemains qui déchantent, au conseil de Chambéry. A propos de la ville centre, nous noterons, pacifiquement, que sur ses trois cantons, les vainqueurs n’ont pas dépassé les 2 300 voix. Il n’y avait donc pas que la majorité locale qui se trouvait renforcée dans la cité ducale, l’abstention avait également pris ses aises aux pieds des éléphants. La reconquête sera longue et fastidieuse.
Le conseil départemental 2021 – 2028 (le conseil a été automatiquement nommé pour 7 ans, car le prochain scrutin ne pourra se tenir en 2027, année de présidentielle et de législative) : Hervé Gaymard et Martine Berthet (Albertville 1), André Vairetto et Dominique Ruaz (Albertville 2), Franck Lombard et Annick Cressens (Ugine), Auguste Picollet et Cécile Utille-Grand (Bourg-Saint-Maurice), Vincent Rolland et Fabienne Blanc-Tailleur (Moûtiers), Christiane Brunet et Olivier Thevenet (Saint-Pierre d’Albigny), Patrick Provost et Sophie Verney (Saint-Jean-de-Maurienne), Nathalie Furbeyre et Christian Grange (Modane), Jean-François Duc et Béatrice Santais (Montmélian), Gilbert Guigue et Corinne Wolff (Le-Pont-de-Beauvoisin), Marie-Claire Barbier et François Moiroud (le Bugey savoyard), Florian Maitre et Nathalie Schmitt (Aix-les-Bains 1), Renaud Beretti et Karine Dubouchet-Revol (Aix-les-Bains 2), Gaëtan Pauchet et Claudine Bonilla (Chambéry 1), Brigitte Bochaton et Aloïs Chassot (Chambéry 2), Christelle Favetta-Sieyès et Franck Morat (Chambéry 3), Catherine Chappuis et Albert Darvey (Saint-Alban-Leysse), Luc Berthoud et Nathalie Fontaine (La Motte-Servolex), Alexandre Gennaro et Josette Rémy (La Ravoire).
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