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Départementales : quand de (très) jeunes candidats pointent le bout de leur nez

Par Jérôme Bois • Publié le 09/06/21

Dans une institution aux 161 printemps soigneusement préservée des ravages du temps par de glorieux gardiens du temple, quelques jeunes candidats ou suppléants débarquent sur l’échiquier électoral pour tenter de faire bouger les lignes et d’en rajeunir les cadres. Ils ont entre 18 et 25 ans, n’ont pour la plupart que très peu d’expérience en politique mais tous, sans exception, sont animés par une même envie de porter la parole des jeunes, un peu délaissée au château. Et pour beaucoup, l’idée de poursuivre leur chemin en politique émerge.
2015, alors que la parité venait de permettre à 19 femmes d’entrer sans frapper au conseil départemental (ex-général), une jeune élue s’emparait sans souffrir du titre de « plus jeune conseillère départementale de Savoie ». Christelle Favetta-Sieyès n’avait pas encore soufflé ses 36 bougies et c’était bien avant l’entrée en scène de Gaëtan Pauchet, en lieu et place de Thierry Repentin. Pour l’anecdote, lorsque Claude Giroud arriva en 76 sur les bancs du conseil général, l’élue chambérienne n’était pas encore née… « Le plus jeune lors du mandat précédent était Vincent Rolland (réélu en 2011, NDLR), il avait 41 ans, j’ai donc réussi à abaisser l’âge du plus jeune » , plaisante-t-elle encore aujourd’hui. 35 ans… 41 ans… on ne parle pas non plus de perdreaux de l’année. Ainsi va pourtant la vie au conseil départemental. Car plaisanterie mise à part, cette anecdote dit quelque chose du peu de renouvellement des élus au sein de cette institution, ce qui peut aussi en partie expliquer le désamour de la population pour un scrutin qui s’apprête à connaître l’un de ses pires taux d’abstention sinon le pire, si l’on n’y prend pas garde. 

« La jeunesse est là, elle a des choses à porter »

Inès Regragui
En 2021, les grands habitués sont pour la plupart fidèles au poste et en lice pour une reconduction de leur mandat, une poignée de jeunes débarque pourtant pour jouer des coudes et faire entendre la voix d’une jeunesse malheureusement trop éloignée de la chose publique. Samuel Masseboeuf (21 ans), engagé sur le canton Albertville 2 en compagnie de Tatiana Gravenhorst (La Savoie nous unit) explique ce désamour par la moindre « vigueur des syndicats étudiants, très forts dans les années 60, 70 et 80 ». Son engagement à lui était écrit, « c’est un milieu galvanisant et j’ai estimé qu’il était important d’être dans ce monde ». Un sentiment partagé par Jordy Munoz (25 ans), suppléant de Clément Coral Dit Granell (Chambéry 1) : « Je voulais faire de la politique, et même si on peut ne pas être pris au sérieux, la jeunesse est là, elle a une voiture, un travail, souvent, elle a des idées et des choses à porter ». « J’ai baigné dedans depuis toujours » , se souvient Inès Regragui (18 ans), suppléante de Hasna Mahiouz (Savoie à venir, Chambéry 1). « Ma mère m’emmenait avec elle à chaque fois qu’elle allait voter. Je voulais en faire, les autres y parvenaient, alors pourquoi pas moi ? » Peu lui importent l’origine, la classe sociale, les études, « ce n’est pas parce qu’on n’a pas fait Sciences po’ qu’on ne peut pas en être. Inconsciemment, nous faisons tous de la politique » , se justifie la récente lauréate des « Prodiges de la République »*. Lucile Duhamel (19 ans), en lice aux côtés de Johan Level (19 ans) sur le canton de La Motte-Servolex (RN), insiste, quant à elle sur le besoin « de faire bouger les lignes ; je me suis portée candidate pour préparer l’avenir » , souffle-t-elle timidement, un avenir que ne semble plus vraiment incarner la vieille garde, selon le Rassemblement national, nous y reviendrons. 

Vendre la force de l’engagement citoyen

Tous doivent concilier études et campagne, tous se sont lancés dans une course à laquelle ils ne sont pas forcément préparés mais tous ambitionnent d’aller à la rencontre de ces jeunes, peu enclins à s’engager politiquement ou même au service d’une cause. « Je ne cherche pas à convaincre la jeunesse de faire de la politique » , tranche Samuel Masseboeuf, « mais qu’elle s’engage dans des associations, des clubs sportifs, dans des organisations diverses, ça oui. La crise du Covid a un peu cassé les élans, il existe une envie chez eux qui souvent ne va pas jusqu’à son terme mais c’est bien l’engagement qui fait bouger les choses ». Toujours ce mantra qui transparaît, faire bouger les choses, une formule élimée qui dit pourtant bien que le ressenti est une forme d’immobilisme crispant. « Plus on mettra les jeunes en avant, plus on leur donnera de responsabilités et plus nous réussirons » , prophétise Johan Level, candidat et à la tête de « Génération nation Savoie », l’organisation des jeunes du RN. « Je ne vais pas dire qu’il en faut plus » , nuance Jordy Munoz, « je remarque malgré tout que nous ne sommes pas assez nombreux et que dans certains partis, ils sont bien pourvus ». 

Johan Level et Lucile Duhamel

Il cite le Rassemblement national, bien sûr, qui place tout de même cinq candidats de moins de 25 ans dans ces départementales mais aussi le Parti socialiste pourtant sous-représenté à ce scrutin : « Nous avons des militants » , commente Damien Ancrenaz, patron du PS savoyard, « moi-même j’avais été candidat sur Cognin à 21 ans » , se souvient-il, à une époque où le parti socialiste avait une véritable force d’attraction, « je reconnais toutefois que ce sont les partis en phase haute, le RN et En Marche, qui bénéficient du plus grand engouement, les Républicains et nous perdons du terrain alors que nous étions hauts, il y a encore 5 ans. C’est logique. Il y a une porosité aux idées du Rassemblement national chez les plus jeunes » , note Damien Ancrenaz, « ils se formalisent moins que les anciens sur le cap à franchir ». Il est vrai que le « premier parti de France chez les jeunes » , s’enthousiasme Johan Level, surfe sur une vague porteuse, qui coïncide avec cette période « où les jeunes ont perdu toute confiance en la politique du fait, précisément, de ces vieilles personnalités qui cumulent ». 

Au RN, le péril jeune !

Avec Manon Decorte (Moûtiers), Euryanthe Mercier (Montmélian) et Rémi Ruer (Chambéry 3), le parti cher à Marine place cinq candidats directs aux postes départementaux, une prise de risque mais surtout un signal fort envoyé à cette jeunesse en quête de sens. « De tous, c’est le parti dans lequel je me reconnaissais le plus. On a tout essayé sauf le RN » , avance Lucile Duhamel, « l’assimiler aux fachos, je ne l’accepte pas car Marine Le Pen n’est pas son père ». Son binôme n’avait pas, lui, tracé une trajectoire rectiligne jusqu’au RN : « Mon arrière-arrière grand oncle était le sénateur maire Maurice Mollard**, j’estimais avoir une tradition à perpétuer, j’ai attendu d’être indépendant pour m’affirmer ». C’est à 18 ans qu’il rejoindra le parti, lui, précédemment pro Bayrou, déçu de son ralliement avec Emmanuel Macron. La suite ? « Les départementales, je n’ai pas hésité, j’ai appelé Brice Bernard, le délégué départemental, pour m’inscrire sur un secteur que je connais bien ». Et voici un binôme de 18 ans de moyenne d’âge face à un poids-lourd de la droite savoyarde, Luc Berthoud, maire de La Motte-Servolex et conseiller sortant. Même pas peur ? « Il faudrait être idiot pour avoir peur face à lui » , plastronne le jeune homme. 

Tatiana Gravenhorst et Samuel Masseboeuf

Pour autant, les autres candidats ne partent pas la fleur au fusil, certains bénéficient même d’une logistique imposante derrière pour renverser la table. Samuel Masseboeuf se réjouit, lui, d’avoir été choisi par la majorité départementale, « avec Tatiana, nous avons été surpris mais au final, je ressens beaucoup de fierté. Nous avons carte blanche pour faire campagne, en sachant que nous disposons d’un appareil puissant derrière nous ». Pour le jeune homme de 21 ans, conseiller municipal à Albertville depuis 2020, ce n’est même que le début d’une carrière qu’il imagine plus grande encore, « les départementales sont importantes avant d’avoir des ambitions plus grandes, régionales ou même nationales. C’est un premier palier pour faire bouger les choses localement ». Jordy Munoz s’appuiera sur l’expertise de son candidat, présent sur la liste portée par Christian Saint-André en 2020 et associé aujourd’hui à Ornella Dulellari, « quelqu’un que j’apprécie beaucoup et en qui j’ai confiance, humainement parlant, bien que nous venions d’horizons divers ». A l’opposé, Inès Regragui se reposera sur la forte présence « sur le terrain » de Savoie à venir, collectif né à Chambéry-le-Haut qui avait fait de l’apprentissage de la citoyenneté son aiguillon divin. « Nous sommes des citoyens qui aidons d’autres citoyens » , confie la jeune étudiante, « on a poussé les gens à voter, beaucoup de jeunes, d’ailleurs, ne savent pas qu’ils le peuvent (les jeunes de 18 ans sont automatiquement inscrits sur les listes électorales, NDLR) ». «Je pense sincèrement » , conclut Damien Ancrenaz, président des jeunes socialistes de 2012 à 2014, « que les jeunes qui arrivent ont une vision à plus long terme ». Lorsque l’on regarde la photo de famille du conseil départemental, la jeunesse est absente, certes mais pas que, « et nous, au PS, sommes très engagés à mettre plus de femmes, plus de jeunes, plus de diversité » au sein d’une institution « assez conservatrice. Il était plus simple de le faire pour les Régionales ». Il espère que cette nouvelle vague saura se faire respecter dans la cour des (très) grands. Une fois qu’elle aura gagné le droit d’y être via les urnes.

* Etudiante en Staps-médecine, Inès a participé à la confection de masques sur les Hauts, lors du premier confinement. Elle a aussi organisé des collectes de dons alimentaires pour les plus démunis. Elle a ainsi été récompensée le 27 mai dernier.
** Figure de la politique savoyarde, Maurice Mollard a été sénateur de Savoie de 1920 à 1940, maire d’Aix-les-Bains de 1932 à 1937, il fut à l’origine de la création du tunnel du Chat, aujourd’hui géré par… le département. Il a été conseiller général jusqu’en 1925.

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