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Régionales 2021 : Cécile Cukierman, celle qui voulait rapprocher élus et citoyens

Par Jérôme Bois • Publié le 10/06/21

Déjà candidate en 2015, la tête de la liste d’alliance entre Parti communiste – la France insoumise, Génération climat et Ensemble !, Cécile Cukierman, remet le couvert pour incarner les valeurs d’une gauche « sincère » et exposer un travail au quotidien entrepris dans ce conseil régional depuis 2004. En 2015, la sénatrice de la Loire était parvenue à culminer à 5,39% ; saura-t-elle faire mieux ? Face à un Laurent Wauquiez archi favori, la tâche sera ardu mais le message sera tout aussi important qu’une victoire.
Avec Cécile Cukierman, le rendez-vous est matinal. Dès 8h30, la candidate est sur le pont, engagée dans une harassante campagne qui la voit arpenter les routes de cette grande région. A chaque jour son étape, un road trip digne d’un critérium cycliste. Malgré cet emploi du temps ministériel, l’entretien s’étire sur près de deux heures, le temps de parler terrain, de parler valeurs, de parler d’engagement. A 45 ans, Cécile Cukierman présente un CV étourdissant ; élue au conseil régional en 2004 à seulement 28 ans, elle parvient à devenir sénatrice de la Loire en 2011, à 36 ans, faisant d’elle la benjamine du Sénat. Réélue en 2017, en 2015 au conseil régional, conseillère municipale durant trois ans à Unieux, entre 2008 et 2011, elle est aujourd’hui une figure régionale, un pilier du PCF (elle en était la porte-parole jusqu’en 2018 et la nomination de Ian Brossat). Un tel curriculum vitae ne peut que légitimer sa présence dans cette course à neuf pour conquérir le fauteuil de président de région, une course qu’elle estime cependant « pas simple », compte tenu de la concurrence et de la force de frappe du président sortant, à la fois cible et punching-ball. Les griefs à l’encontre de Laurent Wauquiez volent tant il incarne, à ses yeux, la Région de façon « individuelle, comme le faisait (Jean-Jack) Queyranne » , son prédécesseur. « C’est une bête politique » , un animal à sang-froid qui semble éloigner le politique à « l’exigence démocratique » qu’elle souhaite exacerber.

« Les élections sont l’occasion de se confronter à la population »

Deuxième région de France, forte de ses 12 départements et 230 candidats en tout, Auvergne-Rhône-Alpes est une forteresse, en conséquence de quoi il est tentant de faire  un peu plus de ce scrutin régional que ce qu’il n’est réellement ; s’il n’est pas national « il possède néanmoins une dimension politique forte » , estime-t-elle, « car on touche très vite à de gros enjeux ». Une mini présidentielle en puissance ? « Je ne le souhaite pas, bien que certains candidats aient une dimension nationale et que de nombreux thèmes abordés dépassent les frontières d’Auvergne-Rhône-Alpes ». Ce qui transparaît dans son discours, une forte humilité – « Laurent Wauquiez est presque certain d’y rester » – et surtout une détermination à vouloir « incarner les valeurs d’une gauche sincère. J’y vais car j’ai envie de conduire une liste, de porter nos combats. Ce sont des moments particuliers, les élections sont l’occasion de se confronter à la population ». De se confronter à sa versatilité, surtout ; à ce propos, elle relève une contradiction – malheureusement trop répandue – dans ces échanges électoraux, « trois ans avant, elles n’intéressent personne et trois mois avant, on nous reproche de ne nous montrer que pour cette élection » , regrette-elle. Le plaisir des rencontres n’en demeure pas moins total, « sans entrer en détail dans le programme, je suis attachée à ces temps d’échange ». Parce que Cécile Cukierman souhaite donner du sens à la parole politique pendant que d’autres candidats « paradent ». « Je sais bien que les gens se disent » tiens, ils s’intéressent de nouveau à nous «, la parole politique ne fait plus rêver personne, ou alors on ne l’utilise que pour régler ses comptes ». Et une abstention galopante en découle : « C’est un problème, la part résiduelle est forte, très importante, elle s’aggrave. La parole, jadis sacralisée, a perdu de son sens, si nos concitoyens ne croient pas en notre capacité à changer la vie, c’est un drame ». 

Wauquiez dans le viseur

Réenchanter la politique, l’expression est revenue en force ces dernières semaines, l’affaire s’annonce plus complexe qu’il n’y paraît car régionales et départementales ne sont pas les scrutins les plus prisés. « Il n’y a pas vraiment de solution, nous sommes face à de grandes régions, j’y étais opposée, elles existent. Aujourd’hui, les décisions se prennent depuis Lyon mais sans prendre les particularismes locaux en compte. On ne vit pourtant pas pareil à Mauriac dans le Cantal et à Buis-les-Barronies, dans la Drôme ». Si citoyens et élus sont, selon elle, « embarqués dans le même bateau » , il est malgré tout facile d’oublier « la parole citoyenne ». A titre d’exemple, lorsque Jean-Jack Queyranne, l’ancien président de région, mit en place les comités de ligne en octobre 2004, « pour permettre de construire l’offre de service ferroviaire » , le retour de la base était indispensable pour « à la fois s’adresser aux usagers mais aussi à ceux qui n’utilisent pas le train » ; elle accuse aujourd’hui Laurent Wauquiez d’avoir « démonté le caractère participatif de ces comités ». Un exemple frappant de cet éloignement, auquel la candidate ajoute l’aide publique aux entreprises, dont l’évaluation effectuée avec les chefs d’entreprises, les salariés, les syndicats et représentants du personnel « a été supprimée » par l’actuel président. « On casse la démocratie locale, on crée de la défiance » , se désole Cécile Cukierman. Elle ne s’en tiendra pas à ces seuls coups de griffe à l’encontre du propriétaire des lieux, « on est passé de présidents qui ne disaient rien à Laurent Wauquiez qui montre tout ». Qui n’a pas entendu parler du « seigneur des panneaux », sobriquet attribué à cause de (ou grâce à ?) ces panneaux bleus implantés un peu partout ? « Sauf que » , nuance Cécile Cukierman, « les identités sont fortes, les gens ne se disent pas » je suis Aura « comme ils disent » je suis du sud-ouest «. Ils sont avant tout savoyards, ardéchois… Je pense qu’il en a trop fait » et ces panneaux n’ont rien fait pour leur donner le goût à la région. « En Occitanie aussi, des panneaux, il y en a partout, ce qui m’intéresse, moi, c’est de savoir à quoi sert l’argent public régional ». Cette aptitude à la surenchère, qu’elle dénonce, elle se retrouve aussi à travers le retour des maires ou des chefs d’entreprises, qui se disent aidés, certes, « or ce qu’ils demandent, c’est aussi et surtout d’être accompagnés pour construire un projet. Eux n’ont aucun problème à rendre des comptes à la fin de l’année et à dire comment la Région les aide. Mais à trop en faire, on ne valorise pas ce que chacun peut faire ».

« Je suis l’élue de tous les élus »

Pas favorable à la fusion des régions donc, Cécile Cukierman voit désormais à travers ces immenses structures « des mandats qui se font avec des réseaux d’acteurs plus qu’avec les individus ». Et surtout, la réforme territoriale de 2015 pèse dans l’éloignement avec la population : « Ce n’est pas un mandat hypermédiatisé, ni d’hyper proximité. Comme on ne le connaît pas bien, on ne se sent pas encore concerné. En outre, avec 230 conseillers, il s’agit finalement d’une institution avec peu d’élus ». Et pourtant, la crise Covid a prouvé, au même titre que les départements, « l’importance des régions ». Oui de la méconnaissance au désintérêt, il n’y a qu’un pas et la crainte est grande de voir l’abstention exploser. « On a toujours besoin de pédagogie, on a besoin que les gens se réintéressent à la chose politique ». La conseillère régionale imagine une solution, « on repense les institutions, en mettant par exemple en place la VIe République et des assemblées constituantes ». Et surtout, dans chaque collectivité, on ne se planque pas, « on se bat contre chaque difficulté. Un maire, quand il reçoit un concitoyen, il ne répond pas que ce n’est pas de sa compétence, il s’engage. Pourquoi un élu régional se permet de le dire, alors ? » 

Au Sénat, lors d’une réunion préparatoire à l’examen du projet de loi 4D (déconcentration, décentralisation, différenciation, décomplexification)
La liste Ensemble pour notre région portée par la candidate s’est nourrie de la richesse que possède la région, « des réseaux politiques aux personnalités connues, en passant par des personnes engagées dans la vie civile, on a aussi fait le choix d’aller vers ceux qui incarnent les mobilisations sociales » , un savant mélange d’élus et de techniciens, « des gens qui ont une exigence permanente. C’est cela, le remonté du réel ». Elle croit en la « possibilité de faire progresser les individus » , milite pour « la formation des élus » , peut parler des heures du code électoral « sans être pour autant passée par Sciences po’ ». Personnalité forte de l’Hémicycle, elle souhaite s’engager pour tous, « car le temps de l’élection n’est pas le temps politique, une fois élus, vous êtes l’élu de tous, y compris de ceux qui n’ont pas voté pour vous. Mon ambition ne consiste donc pas à faire exister le PCF mais à en confronter les idées avec la population ». Et en tant que sénatrice de la Loire, « un département qui n’est pas de gauche, je suis l’élue de tous les élus ». Une conquête « non partisane » est en route et si Cécile Cukierman n’ignore pas que ses chances sont minces et que les électeurs se disent assez peu informés sur elle et son programme*, c’est avec un enthousiasme non feint qu’elle sillonne les routes. Inlassablement.

* Un sondage Ipsos paru le 9 juin place Laurent Wauquiez loin devant Andréa Kotarac (RN). Et montre que 85% des sondés ignorent tout ou presque de Cécile Cukierman et de la plupart des candidats.
Retrouvez nos autres entretiens et rencontres avec les têtes de liste aux Régionales sur le site du Petit Reporter.

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