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Régionales : Francis Ampe, le retour inattendu

Par Jérôme Bois • Publié le 15/06/21

L’ancien maire de Chambéry, entre 1977 et 1983, est sorti de sa retraite marseillaise pour revenir sur ses terres, dans l’avant-pays savoyard, à Dullin, plus précisément. Un retour rendu nécessaire par la volonté de donner un coup de main à la campagne de Najat Vallaud-Belkacem, en lice pour prendre la présidence de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Un soutien symbolique – il n’est pas en position éligible – mais pas du tout anodin.
« Pourquoi un ancien maire de Chambéry qui a disparu de la circulation revient-il à l’occasion de cette campagne ? » Francis Ampe, dont le soutien à la liste d’union d’Aurélie Le Meur et de Thierry Repentin l’année dernière n’était pas passé inaperçu (lire notre article du 25 juin 2020), aime entretenir un semblant de suspens, en faisant les questions et les réponses. Une aubaine, pour nous autres plumitifs. Parce que oui, il nous démange de comprendre pourquoi, à 77 ans, le maire de Chambéry entre 77 et 83 et conseiller régional durant cette même période, revient aux affaires, sortant ainsi d’une douce et placide retraite dans le sud de la France. 

« On n’est jamais élu sur un bilan… »

Le rendez-vous est pris à la Maison du lac, à Aiguebelette, bâtiment qui porte son sceau, lorsqu’il était vice-président à la communauté de communes du lac d’Aiguebelette entre 2008 et 2014. « J’ai accepté de revenir et de m’engager aux côtés de Najat Vallaud-Belkacem pour plusieurs raisons » , confie-t-il. Mais avant d’en dresser la liste, suspens oblige, il s’attarde un moment sur sa vie, autant professionnelle qu’élective, dense et riche de mille voyages. C’est à travers ce retour vers le passé que nous dénouerons le fil à l’origine de ce come-back. « La municipalité que j’ai dirigée a été un moment important de la vie chambérienne, en rupture avec une tendance lourde ». Avec lui, les questions d’environnement sont entrées dans la vie publique et à en juger par son action, on ne peut lui donner tort. Cette année-là, il venait de s’imposer dans une ville connue pour son conservatisme mais lassée de 18 années de gestion Dumas. Son action allait trancher net avec le passé, parce que l’homme est ainsi fait, tout est perspective, tout est vision à moyen et long terme. « J’ai été à l’origine de la première piste cyclable à Chambéry, des premiers collecteurs de verre » tout comme la gestion des déchets verts est apparue à cet instant. « Il n’y avait pas non plus de régie de transports de bus, nous l’avons créée » , poursuit Francis Ampe, et même le premier bulletin municipal verra le jour sous sa mandature. Autant d’éléments de la vie courante, qui peuvent nous sembler anodins aujourd’hui mais novateurs pour l’époque.Seulement, 1983 a été une année plus capricieuse, et Pierre Dumas, qui avait dû lui abandonner son bien 6 années plus tôt, le reprit « et moi, j’ai repris ma vie professionnelle ». En 83, les déçus du socialisme battaient la campagne, la vague l’aura emporté. « Autant j’avais été élu de justesse, autant j’ai également perdu de justesse* », se souvient-il, alors que la France vivait une grande période de gueule de bois. « On n’est jamais élu sur un bilan » , tranche l’ancien élu, « mais sur une dynamique locale et nationale ».

Un CV bien garni

Le retour à la vie professionnelle lui offre une somme de perspectives captivantes, « j’ai énormément voyagé, ce qui m’a donné une vision plus internationale des choses ». C’est pourquoi il revient aujourd’hui avec une acuité plus fine, « un regard du point de vue du monde, un regard forgé par les expériences ». Lille, Paris, Marseille, Montpellier, l’Algérie, Cameroun, des voyages au Maroc, à Madagascar (3 ans), au Sénégal (18 mois), une mission en Haïti… 

Les 13 Savoyards de Najat Vallaud-Belkacem
« A Lille, avec Pierre Mauroy (il était directeur général de l’agence de développement et d’urbanisme de Lille Métropole entre 1990 et 1999, NDLR), j’ai travaillé à une échelle territoriale à long terme, chaque matin, je me projetais à dans 20 ans » , ce qui l’amena à bosser sur le tunnel sous la Manche, sur le traité de Maastricht, sur la candidature lilloise pour devenir capitale européenne de la culture et même sur les Jeux Olympiques de 2004 puisqu’il fut également co-fondateur du comité Grand-Lille, délégué général de la candidature lilloise aux J.O. « Cela a permis à la ville de sortir de son image industrielle » , ajoute Francis Ampe. Les quatre années passées à la Datar (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale) entre 98 et 2002, « en charge du développement urbain durable appliqué à une vision d’avenir » ont encore affirmé davantage ce goût et ce sens de la prospective, né, « peut-être de ma formation d’ingénieur » . « La Datar est un organisme de compréhension du monde » , souligne-t-il, « j’ai ainsi beaucoup travaillé sur le développement des agglomérations ». Lorsqu’il fut président de la mission de développement et prospective de Savoie, sa « petite équipe de matière grise » , il eut la possibilité « d’imaginer tous les scenarii possibles » en matière de développement, notamment celui du sillon alpin Genève – Annecy – Chambéry – Grenoble – Valence, aujourd’hui abandonné. « On avait même anticipé le manque de neige à venir » sans pour autant crouler sous un tombereau d’insultes venant des professionnels de la montagne. Visionnaire.

Le Lyon-Turin, son étoile du Berger

Et puis est venu dans la discussion le sujet majeur, son étoile du Berger, ce pourquoi il a (re)fait le chemin jusqu’à Dullin, le Lyon-Turin, « pour apporter cette vision à l’équipe de Najat Vallaud-Belkacem dans une campagne atone » et dans laquelle la ligne ferroviaire en cours de construction n’occupe guère d’espace. « Aujourd’hui la région Rhône-Alpes s’est élargie à l’Auvergne. Entre la Lombardie et la Catalogne, elle doit affirmer son identité à l’échelle européenne, tout en valorisant sa position charnière entre l’Île de France et la Provence, frontière de la Méditerranée. Je dois reconnaître que cet enjeu me fait saliver et me mobilise. Le Conseil régional a, parmi d’autres compétences, la responsabilité des lycées et de la formation professionnelle mais sa compétence en matière d’économie et d’aménagement du territoire rejoint tout particulièrement mes compétences et mes préoccupations », écrivait-il à ses « camarades chambériens et savoyards ».Oui il est 13e de liste en Savoie, donc non éligible, « ce n’est pas ordinaire » , avoue-t-il cependant. « J’ai été élu au conseil municipal de Dullin (de 2008 à 2014), délégué à la communauté de communes, j’ai réalisé un gros travail de l’ombre en tant que vice-président (la Maison du lac est ainsi son œuvre) jusqu’à devenir VP au syndicat mixte de l’avant-pays savoyard en charge du Scot (Schéma de cohérence territorial). Je connais le terrain, on a travaillé sur des documents qui prévoyaient des aménagements du territoire à long terme ». S’il se définit comme un « homme heureux » , il revient pour défendre l’avenir et l’avenir, c’est le Lyon-Turin. « Mon retour n’a qu’une portée symbolique » , nuance-t-il, « mais je trouve que l’enjeu du long terme n’est pas assez porté durant cette campagne ». 

En soutien du duo Le Meur – Repentin
S’il évoque le projet franco-européen, cher à Louis Besson, c’est parce qu’il s’y consacre depuis 1981 « alors qu’il était dans les limbes ». 40 ans plus tard, le tunnel de base prend forme, ne reste qu’à en définir les accès** aux conséquences majuscules pour l’avant-pays savoyard : « Elles seraient énormes pour ce secteur. La Région devrait être, aujourd’hui, leader de cette négociation sur le choix des accès. Car si pour la Savoie, les enjeux sont considérables, ils le sont tout autant pour Annecy ou Grenoble qui disposeront d’alternatives à l’avion et à la voiture ». Enfin, le projet consacrerait Chambéry comme « capitale ferroviaire régionale » , la ville abritant déjà le siège de la direction régionale de la SNCF. Le défi est de taille. Au passage, il s’épargnera la peine d’égratigner le président Laurent Wauquiez, « qui ne peut pas être critiqué car il n’a jamais minimisé l’importance d’un tel projet ». Toutefois, il en appelle à une « personnalité d’importance régionale » dans ce dossier, un spécialiste au fait des enjeux locaux, « je peux le faire si Najat Vallaud-Belkacem devenait présidente. C’est un projet européen nous permettant d’aller du Portugal à Bucarest, qui fera circuler les marchandises, avec des conséquences directes sur le marché de consommation. Il faut donc siffler la fin de la récréation et avancer une bonne fois ». Voilà quelle serait sa mission si toutefois Najat Vallaud-Belkacem venait à l’accepter. « Je veux apporter mon expérience dans les débats de demain ». Pourquoi s’être lancé avec la tête de liste socialiste ? « Sa personnalité me plaît assez, et la région est le bon ordre de grandeur pour agir. L’emploi de demain dépend des décisions d’aujourd’hui ». La perspective d’une liste d’union au second tour, évoquée le 7 juin dans ces colonnes, il connaît, « je sais ce qu’est une dynamique d’union, condition indispensable pour battre la droite et mettre en œuvre notre programme de progrès pour notre région » , conclut-il. Il était maire sous une bannière de luxe PS unifié, écologiste et PCF alors forcément, l’expérience parle…

* Battu au premier tour par Pierre Dumas, en 1977, Francis Ampe l’emportera par 185 voix d’avance grâce à son alliance avec la liste écologiste de Jean Baud. En 1983, avec 10 791 voix (45,77%) contre 12 782 (54,23%) à Pierre Dumas, le maire PS, PCF, PSU, devra abandonner son fauteuil.
** Pour en savoir plus, lire notre entretien avec Josiane Beaud, cheffe de la délégation française à la commission intergouvernementale du Lyon – Turin.

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