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Aix-les-Bains : « Deaf Wear » ou l’expression par le vêtement

Par Jérôme Bois • Publié le 21/07/21

Initiative née du savoir-faire et de l’imagination de trois associés aixois, la marque « Deaf Wear », spécialisée dans le street wear, lancée voici deux ans, souhaite, au-delà de la promotion de ses vêtements, faire passer un message. Ou comment ces trois potes se sont servis du textile comme d’autres de la musique ou de la vidéo ; un moyen d’expression. Rencontre.


C’est une drôle d’idée, tout de même, de se servir du textile comme support d’expression avant tout autre considération commerciale. C’est pourtant ce qu’ont imaginé Mehdi, Rahim et l’homme mystère, l’artiste dont on ne saura pas le nom. Tout juste sait-on qu’il est malentendant, qu’il est un artiste et qu’il est au centre de cette entreprise. Créée par des jeunes qui se sont connus à La Ravoire et qui, aujourd’hui, ont développé leur business sur la cité thermale.

La surdité et la malentendance, le centre de l’histoire de Deaf Wear.

« Notre différence fera la différence »

« Deaf Wear » est véritablement née en 2018 mais s’est fait connaître un an plus tard, juste avant le confinement qui, bien sûr, aura tout stoppé net. « Une pause obligatoire qui nous a permis de nous restructurer » , rembobine Mehdi, directeur général de la société. Le concept renvoie aux problèmes d’audition de notre artiste mystère, d’où le nom de la société, « Deaf Wear »*, enregistrée à La Ravoire. « Il a grandi avec ce handicap mais jamais il n’en a parlé à qui que ce soit » , se souvient Mehdi. « Il s’est plongé dans le dessin, à travers quoi il a pu exprimer son handicap ». A partir de là, avec Rahim, ils se mettent à écrire son histoire faite de différence, d’incompréhension, de normes sociétales incitatives, de résilience, de renaissance, « notre différence fera la différence ». A la manière d’un livre, ils déclinent leurs collections par saison, chacune d’elle étant une partie de l’histoire. Ils commencèrent par l’omerta, la loi du silence, telle celle imposée au graphiste du groupe, à partir de quoi ils créent des modèles homme et femme. « C’est son histoire et l’omerta en a fait partie. Personne ne s’est jamais rendu compte de son handicap, lui ne l’a jamais évoqué ». Mehdi a bien eu quelques doutes au détour de quelques parties de foot, guère plus. Puis suivirent la naissance, l’écriture et ainsi de suite. Tout est chapitré et cohérent, le vêtement se pare d’un dessin, d’une phrase, souvent antinomiques d’ailleurs. « Ce que nous voulons, c’est créer une communauté autour de nos vêtements parce que c’est à travers elle que nous pourrons échanger et communiquer autour de nos histoires » , des histoires nées pour dénoncer les préjugés. « On peut être sourd tout en entendant, on n’est pas forcé de tomber dans l’enfermement ou l’isolement, ça fait partie des messages que l’on veut faire passer » , détaille Mehdi.

« On a tous des cicatrices qui nous rendent plus forts »

Les trois compères se mettent parallèlement à créer de petites vidéos, très pros, en guise de promotion. « L’omerta, par exemple, c’est un terme que s’est appropriée la mafia, alors dans la première vidéo, on voit des mafieux débarquer chez notre artiste avec tous les designs » , lui se chargera de les parfaire. « On veut montrer notre univers à travers ces vidéos », question de visibilité. Et dans la foulée, pourquoi ne pas collaborer avec d’autres communautés, associations, événements pour imaginer de nouvelles histoires ? Tout est envisageable à partir du moment où seul le message compte. « Nous sommes sur des histoires humaines » , renchérit Rahim, « notre moyen d’expression peut aider plein de gens à s’exprimer et à s’approprier notre support ». « C’est aussi une façon d’apprendre sur nous-mêmes, on développe des produits, on commet des erreurs, on apprend d’elles ».

L’un des modèles féminins, avec le rouge à lèvres barré de barbelé. Un message que chacun interprétera à sa façon.

Du coup, lorsque les messages ont été jugés trop incitatifs, ils les épurent, les limitent au seul dessin et laissent les clients se faire leur idée, comme ils le feraient devant un tableau de maître. « On pensait que les gens allaient vite comprendre, mais en fait, on mettait trop d’informations sur nos vêtements » , confie Mehdi, « c’est pourquoi on veut avoir une communauté et pas nécessairement faire de la masse, pour que chacun de ses membres se reconnaisse dans notre action ». Ces petits ajustements n’entravent en rien la détermination des trois associés, « à vrai dire » , estime Rahim, « on ne se doutait pas que ça allait nous aider à titre personnel. Je ne connaissais pas son type de handicap mais maintenant, je le comprends, on apprend à mesure que l’on avance dans notre projet ». Des messages, il en existe une infinité et il se dit même pressé « de proposer sa propre histoire » à mettre en dessins. « Ce serait France-Afrique, les deux cultures » , souffle-t-il. « Il n’y a pas que des douleurs, il y a aussi des joies ». « On a tous des vies fortes, des cicatrices qui nous rendent plus forts » , reprend Mehdi. « On veut prendre le contre pied de la codification de la société ». Cette volonté de se distinguer se manifeste par le choix du matériau. « Notre produit est de haute qualité, nous nous fournissons au Portugal, avec un fournisseur qui ne travaille qu’avec des grandes marques. Pas question de faire venir de Turquie ou de Chine des cartons entiers de vêtements à bas coût. Nous faisons du 100% coton ». La conséquence est limpide, ils margent peu, « on a tous un travail à côté, » Deaf Wear », pour nous trois, c’est plus un exutoire, mais un exutoire chronophage«. « Quand on aura notre communauté » , explique Mehdi, « on ne travaillera plus que sur des pièces en 10, 20 ou 50 exemplaires. On ne cherche surtout pas à faire du volume ». Jusqu’à, pourquoi pas, produire des pièces uniques. C’est le prix de la qualité, c’est aussi celui de l’art. L’art est rare, c’est ce qui rend son message plus universel.
Plus d’infos sur la page Facebook de « Deaf Wear »
* Deaf signifie sourd, en anglais.

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