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Philippe Gamen :  » Faire de la politique, ce n’est pas dans mon ADN »

Par Jérôme Bois • Publié le 25/10/21

Le 9 juillet 2020, il succédait à Xavier Dullin, poids lourd de la politique locale, à la tête de l’agglomération chambérienne. Lui, le maire du Noyer, petite commune de 219 âmes, conduisant la destinée de 135 000 habitants désormais, a dû passer par un rude apprentissage avant de pouvoir, enfin, prendre ses aises. Le jeu politique, les inimitiés, les pressions, mais aussi la satisfaction de parvenir à des consensus autour de grands projets structurants avec son exécutif, il aura tout connu. Il raconte.

Philippe Gamen, 16 mois plus tard, comment vous sentez-vous dans vos habits de président de Grand Chambéry ?« Mieux ! Plus à l’aise. Je suis avant tout un homme de dossiers, pas un professionnel de la politique. J’aime connaître les dossiers, la grande majorité, je l’ai apprivoisée. Oui, je suis plus à l’aise pour arbitrer. C’est mon rôle d’arbitrer au quotidien, entre l’exécutif, le bureau et le conseil d’agglomération.
Ce n’est pas ce dont on a le plus parlé, durant cette première année et demi d’exercice…A l’intérieur, il y a une intensité impressionnante, tous les jours on se questionne, c’est mon travail au quotidien. Les remontée des services me parviennent, puis on oriente. Ça ne nécessite pas toujours des délibérations. Et cela, on ne le voit pas forcément, de l’extérieur.
Etiez-vous prévenu de cette intensité ?Oui, et je dois dire que ça me plait.

« Je me voyais comme l’homme de la situation »

Le 9 juillet 2020, on peut dire que le choix entre vous et Aurélie Le Meur a été serré… et je suis content d’y être ! Ça n’allait pas être simple, il allait falloir travailler sur des majorités de projets et poser des sujets sur la table. Il n’y a plus de majorité politique comme ça pouvait l’être avant, ce n’est plus pareil, mais je me suis dit « je sais faire ». En tant que président du parc des Bauges, où il y a aussi plusieurs sensibilités politiques, je connais cette situation. Bon, oui, l’aspect politique y est moins prégnant et je savais qu’il allait falloir composer. Ma première décision avait, du reste, été d’ouvrir l’exécutif à mes opposants, une décision forte car les places y sont limitées.
Ce jour-là, vous parliez de votre élection comme d’un symbole fort…C’est atypique d’être président d’agglo lorsque vous êtes maire d’une petite commune, j’y suis allé car le contexte était particulier, je me voyais un peu comme l’homme de la situation, capable de faire le lien entre le monde rural – les Bauges – et l’agglomération chambérienne. Lors de la fusion avec Chambéry Métropole, j’étais vice-président à la communauté de communes de Cœur des Bauges. Nous étions encadrés par quatre agglomérations, il nous fallait choisir, savoir quels liens nous unissaient avec ces différents territoires. Cette fusion, au 1er janvier 2017, a été forcée mais heureusement, Xavier Dullin avait déjà bien élagué le terrain.
Pourtant, Cœur de Bauges avait dépassé la barre des 5 000 habitants, censée lui permettre de conserver sa légitimité…On pouvait avoir la dérogation et de toute façon, en interne, nous imaginions plus aller vers la communauté de communes du pays d’Alby, avec qui nous avions eu diverses réunions, nous avions les mêmes compétences. Mais il y avait une frontière départementale entre nous, ça ne passait pas, nous a-t-on dit*. Fin de non-recevoir. Le pays d’Alby a finalement fusionné avec le Grand Annecy.
Les Bauges pouvaient en outre se tourner vers Annecy, Albertville, Aix-les-Bains, Chambéry… En fait, le Noyer lorgnait vers le bassin de vie de Chambéry, Lescheraines vers Aix-les-Bains, la Compote vers la Combe de Savoie… Tout était ouvert, mais la crainte était grande de perdre notre âme. A Cœur des Bauges, nous avions des compétences que Grand Chambéry n’avait pas (la petite enfance, les Ehpad) et comme ils n’en voulaient pas, il nous a fallu nous en délester et notamment céder notre Ehpad.
Pourquoi Corinne Wolff parla-t-elle de présidence rassurante, ce jour de juillet 2020 ?Il faudrait le lui demander (rires). Pour certains élus, ma concurrente, Aurélie Le Meur, faisait peur, elle a des convictions fortes, on risquait de se jeter dans l’inconnu.
Ce poste de première vice-présidente que vous lui attribuez le jour de votre élection, était-ce à sa demande ?Ah oui ! Au vu des résultats, je pense que c’était une bonne chose, même s’il y a eu cafouillage avec l’aspect juridique qui a fait que je n’ai pu organiser l’élection de l’intégralité de l’exécutif comme il était prévu de faire. Je faisais face à de grosses pressions de la part de mes opposants. J’allais seulement lui donner une délégation, certainement pas une co-présidence, comme elle l’a laissé entendre. Elle a une délégation comme les 14 autres, rien de plus.
Achetiez-vous la paix sociale ?Ma majorité allait se gagner projet par projet, partager cette gouvernance avec des VP de façon équitable me paraissait essentiel.

« Thierry Repentin ne me reconnaît toujours pas »

Pourtant, l’argument des élus d’opposition est de dire qu’ils représentent environ les deux tiers de la population de l’agglomération.Oui, tout est rapporté au nombre d’habitants, sauf qu’en  termes de superficie, les Bauges représentent 60 ou 70% du territoire de Grand Chambéry. La superficie doit aussi être prise en compte, on voit le rôle d’un territoire rural à travers le plan d’alimentation territorial, l’activité touristique, l’offre d’activités économiques nouvelles, l’habitat autrement, etc. La population compte, la surface aussi.
Sentiez-vous, dès lors, que votre légitimité ne tenait qu’à un fil ?Il a fallu du temps pour que l’on me reconnaisse. D’ailleurs, le maire de Chambéry ne me reconnait toujours pas, alors que les autres si. Pourtant, les choses se passent très bien avec les autres élus issus de Chambéry mais un maire rural, sans expérience politique bien qu’élu local depuis 2001… (il réfléchit) Ok, j’accepte qu’on me reproche ma légitimité, à moi de faire mes preuves. Aujourd’hui, ces voix, je les entends moins. Même au début, je dois dire que ça ne m’a pas posé trop de problèmes, je connaissais mes qualités et mes limites, c’est mon métier de bureau d’études de savoir faire la synthèse rapide entre plusieurs points de vue. Ces réticences ne m’ont pas freiné.
Qu’appeliez-vous « pacte de gouvernance » ?On avance tous ensemble, pas de co -présidence, on se donne du temps… Voilà le cap fixé dès le départ, en gros.
Lorsque vous déclarez l’avoir rompu, en février 2021**, était-ce juste un effet d’annonce ?Non, il y avait un trop-plein, j’avais la pression au quotidien. Donner des places de VP à tous, ok, mais c’est dans le choix des conseillers délégués qu’il y a eu problème. Nous déléguons certaines de nos compétences à des délégués extérieurs et là, on m’a mis la pression pour qu’on y retrouve le même équilibre qu’avec les vice-présidences. Or, le choix des délégués était à la discrétion du président, c’est moi qui les nomme. Je vais les désigner selon les besoins et les manques, il en fallait une dizaine et s’il en faut davantage, je les désignerai moi. J’ai du coup subi des attaques en règle, les accords d’équilibre fixés par le pacte de gouvernance volaient en éclat. Il a été virulent en tête-à-tête, je ne pensais pas sortir la teneur de cet entretien publiquement.
Il ? Thierry Repentin ?Oui. Ça m’a libéré de le faire, j’étais très marqué ce jour-là.
A quel point est-il gênant d’avoir si peu de bonnes relations avec la ville centre ?C’est surtout gênant pour elle ! On sait à quel point Chambéry a et a eu des problèmes financiers, une grande partie de ses projets ne peuvent se réaliser sans nous. Ce que je m’efforce de faire est de ne surtout pas entrer dans cette guerre, je ne voulais pas entrer dans ces considérations.Quand il a fallu se positionner sur le stade, 4 millions d’euros manquaient, on était dans le dur, il m’a fallu convaincre mes soutiens d’y aller. Si je disais non… C’était un projet d’intérêt général mais à l’arrivée, on ajoute 500 000 euros encore, qui n’étaient pas prévus. Et quelques semaines après, Thierry Repentin me bloque le bassin de stockage des eaux usées***.
Que s’est-il passé ?Nous avions besoin, pour les travaux, d’un arrêté de voirie d’une semaine tout au plus, signé par le maire. Ce qu’il n’a pas fait sur le coup, occasionnant deux mois de retard et des pénalités. Je n’ai pas médiatisé la chose, à l’époque, car aujourd’hui, c’est passé. Je ne peux pas entrer dans ce genre de polémiques. A Grand Chambéry, je m’aperçois que l’on vote des choses de façon unanime, je mets cela sur l’effort de travailler en amont avec les 15 de l’exécutif. Ça permet de débattre, de préparer les sujets et de parvenir à obtenir des consensus. Pour les mois à venir, je compte bien travailler plus étroitement encore avec cet exécutif, c’est mon défi.

« Je ne suis pas à la recherche d’un bilan politique »

Sur quels points y a-t-il eu unanimité ?Sur la création d’un fonds de concours « communes rurales », soit un soutien financier pour la réalisation de travaux sur les équipements publics de base ou des aménagements forestiers ou agricoles****. Ce n’était pas gagné. On a aussi trouvé un accord sur le vœu portant sur la saturation de la VRU. Un vœu qui s’est enrichi par la voix de chacun. On accueille plus d’habitants et même si nous travaillons beaucoup sur les mobilités, avant qu’il y ait un véritable effet sur nos habitudes, le « tout voiture » sera la règle. C’est le fret qui nous met dedans. Le vœu, nous l’avons transmis aux services de l’État. Nous constatons, nous sommes aussi des lanceurs d’alerte. Nous n’avons pas eu de retour jusqu’ici.
C’est finalement la politique politicienne qui vous gêne le plus ?Ce sont les postures, pas les sujets. Quand chacun met de la bonne volonté, quand chacun fait preuve d’intelligence… Des personnes se sont révélées, même de l’opposition. Quand on est dedans, on sent les limites du système. J’ai l’expérience de 20 ans de mairie dans une toute petite commune, je suis donc très attentif, plus prudent sur chaque point, chaque dossier. A l’intérieur, on se rend compte qu’il faut prendre son temps quand tout semble plus compliqué.
Vous parvenez à le prendre, votre temps ?Je ne suis pas à la recherche d’un bilan politique, j’y suis allé pour le territoire. Je peux jouer un rôle dans ces équilibres parce que j’ai un peu de compétence sur le fonctionnement des choses, sans doute grâce à ma formation de géologue. Je suis un pur produit de l’Université de Savoie ! Ça me met à l’aise. Ici, j’y suis presque tous les jours, nous travaillons bien avec les différents services. On ne force pas les dossiers.
De quoi êtes-vous le plus fier, jusqu’à présent ?D’avoir fait travailler tout le monde. Nous sommes en train de revisiter le projet d’agglomération. La Fabrique du territoire avait été lancée il y a quelques années, il s’agissait d’un document exemplaire sur le plan de la concertation mais très généraliste. Nous le déclinons aujourd’hui en actions, comme une mise à jour de la Fabrique. Je suis assez fier de cela. Nous allons maintenant voir quelles vont être les actions cibles, pour les proposer au plan de programmation annuel d’investissement (PPRI) jusqu’en 2026.Il y a ça et le fait que les élus des Bauges savent ce que peuvent leur apporter les urbains et à l’inverse, les urbains comprennent la richesse de ce territoire des Bauges en dépit de cette fusion qui nous a été imposée.On a poursuivi des projets comme la rénovation de la piscine de Buisson Rond*****, l’aménagement de l’avenue des Ducs, le renouvellement urbain des Hauts de Chambéry, les accès du centre Nord, la Cassine… Des sujets lancés par l’équipe précédente. Je n’ai rien stoppé, notre action a du sens et les élections municipales n’ont rien changé. Il reste des sujets difficiles à arbitrer, sur les plans administratif, financier, politique, c’est intéressant. On a vu avec l’installation du vaccinodrome du parc des expositions, alors que nous n’avons pas la compétence santé et que ce fut demandé par les service de l’Etat ; on a pris le taureau par les cornes et pris en charge la location du site. Ça, c’est travailler dans le consensus. J’ai presque de l’empathie pour Thierry Repentin parce que gérer une ville comme Chambéry est extrêmement compliqué. C’est trop facile de se tirer dessus. J’ai toujours du respect pour les élus qui s’engagent, essayons d’être ensemble. On n’a pas les moyens de faire de la politique dans les petites communes ; à l’Agglo si mais ce n’est pas dans mon ADN. Ce n’est qu’ensemble que l’on donne du sens à l’action publique «.

* La communauté d’agglomération Vienne-Condrieu est partagée entre le l’Isère et le Rhône.
** « Ces pressions ne me mettent pas en confiance » , expliqua Philippe Gamen, le 11 février, « oui, je romps les accords. Je ne suis pas en confiance, je prends ma part de responsabilité à 50% là-dedans ». Le 22 février, dans ces colonnes, Aurélie Le Meur se défendit de toute pression. « Mon message du 11 février se voulait un message d’alerte, je suis pour des assemblées où tout se discute, pas où tout ne tient qu’à la seule volonté du président parce qu’il a du mal à animer une instance de 15 VP. Philippe Gamen considère que la gouvernance partagée existe de fait, sous prétexte que le nombre de VP est équilibré mais ce que l’on veut, c’est une gouvernance de projet. C’est très facile de dire qu’il veut rompre les accords » .
*** Il s’agit d’un bassin de 8 000m3 construit derrière le centre Leclerc de Chambéry. Il vise à limiter les versement d’eaux usées et pluviales en milieu naturel – la Leysse, en l’état – lorsque la station d’épuration est saturée. Un projet à 11 millions d’euros (plus de détails ici).
**** Ce fonds de concours permettra d’apporter une aide aux communes à hauteur de 50 % du reste à charge HT (subventions déduites) sur des dépenses d’investissement pour la réalisation des travaux dont la nature porte sur la rénovation énergétique du bâti, l’installation de systèmes de production d’énergie renouvelable, les dessertes forestières, places de dépôt, l’aménagement d’alpages, la remise en état des parcelles agricoles pour installation agricole ou diversification et tous autres travaux innovants. Il a été approuvé le 13 juillet 2021.
***** Rendez-vous le 3 janvier 2022 pour profiter de la piscine rénovée.

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2 commentaires

paul

25/10/2021 à 20:58

LE GRAND DÉBALLAGE..

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gerard Blanc

28/10/2021 à 11:15

Tant que les élu.es communautaires ne seront pas élu.es directement par les électeurs et sur un projet préalablement débattu avec les habitants pendant la campagne électorale - bref démocratiquement - on aura ces situations bancales, ces petits arrangements de couloir, ces marionnettistes dans l'ombre et un pouvoir sans légitimité dans les mains d'un seul homme. Qu'il soit honnête et de bonne volonté,.. ou pas. Et pendant cette paralysie, la crise climatique et écologique s'aggrave, la pollution de l'air tue, l'abstention grandit, les jeunesses se désespèrent,...

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