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Challes-les-Eaux : Michel Boujenah, l’intemporel

Par Laura Campisano • Publié le 18/11/21

De passage à Challes-les-Eaux pour son dernier spectacle, l’humoriste et comédien nous a confié ses impressions et sa vision du métier, à l’heure où tout est bien différent de ses débuts. Intemporel, drôle, tendre et optimiste, sans occulter la réalité d’un monde très complexe, Michel Boujenah est authentique, et c’est sans doute ce qui explique sa longévité dans ce métier exigeant. Car « faire rire est une chose sérieuse », en fin de compte.

« Les adieux des magnifiques », ça sonne presque comme une dernière tournée. Mais qu’on ne s’y trompe pas, c’est la première partie seulement. Michel Boujenah en prépare une deuxième, une troisième, voire plus, tant que ça lui fera plaisir. « Après tout, il y a bien eu huit épisodes de la Guerre des Etoiles », souligne-t-il sans jamais se départir de sa bonne humeur communicative. « Les magnifiques » ont vingt ans, et avoir vingt ans aujourd’hui, c’est loin d’être évident… Mêlant d’anciens sketches à de nouvelles créations, ce nouveau-né dans l’œuvre de l’artiste est un instantané de l’époque, comme des diapositives alliant passé et présent.  Vous venez présenter votre dernier spectacle au public, comment le vivez-vous ? « En ce moment, c’est un peu comme si vous veniez tous voir mon dernier-né à la maternité, il est tout jeune, il vient juste d’arriver, alors on commence par de petites villes et quand il aura pris des forces, il ira dans de plus grandes salles. Tout se passe très bien, j’adore ce spectacle, je suis très heureux. Il y certaines parties écrites il y a 40 ans que j’aime garder, beaucoup de choses sont très actuelles. Un peu comme un chanteur en concert reprend d’anciennes chansons et de nouvelles que le public ne connaît pas forcément, on est content de retrouver les classiques et aussi de découvrir les nouveaux titres. A la différence que je ne chante pas, je raconte.Est-il facile d’écrire un spectacle d’humour aujourd’hui ? C’est très facile, parce qu’on rit encore mieux dans des périodes difficiles, c’est là qu’on a le plus besoin de rire, c’est ce qui nous aide à tenir : l’amour et l’humour. Dans le spectacle par exemple, je mets en scène un garçon de 20 ans qui va voir son grand-père et ses copains et qui leur demande  » comment c’était la vie pour vous à 20 ans ? Parce que nous on a le préservatif contre le sida, le masque contre le virus, il ne nous reste plus qu’un orifice «. Je tourne ça en dérision, ça fait rire le public, même si ça cache une souffrance, parce que les jeunes de 20 ans aujourd’hui, ils souffrent vraiment, je le vois avec mon fils de 20 ans, depuis deux ans c’est compliqué pour eux. Cette façon de tourner en dérision, c’est valable pour tout, sur des degrés divers, pour des choses plus ou moins profondes. Dans des temps pareils, c’est toujours indispensable de rire, c’est de l’oxygène.

« Je regrette tellement d’être tendre… »

La période est en effet complexe, mais l’ambiance est tout aussi particulière, ça devient dur de « rire de tout », non ? Non, ce n’est pas dur, c’est super facile même ! Dans ce spectacle, je parle de « Me too », de Zemmour, je parle à peine de politique, car mes spectacles sont intemporels. Je joue aussi un personnage qui a peur de sortir de chez lui, à cause des attentats, du virus, des manifs : tout ça fait rire même en plein désespoir. Toutefois, le personnage rassure son grand-père « mais ne t’inquiète pas Papi, je sors quand même faire mes courses, mais on a oublié de me prévenir qu’en dehors de l’eau, un scaphandre c’est vraiment lourd à porter ».Il y a depuis toujours chez vous, cette tendresse qui ressort de votre personnalité, de vos textes, on dirait bien que c’est inné… Je suis tendre, je regrette tellement d’être tendre alors que la tendance est à la violence… Ce n’est pas vrai que ce monde est très dur : à l’époque d’Emile Zola, quand les gosses travaillaient dans les mines de charbon, c’était bien ? C’était mieux pendant la seconde guerre mondiale ? Ça n’a jamais été rose, même si dans les années 70-80, c’était une époque incroyable, à tous niveaux. La période actuelle est plus violente, mais en même temps il y a toujours des choses belles. Je suis tout à fait conscient et lucide, c’est difficile, les jeunes prennent de sacrés coups, mais enfin, il y a tant de souffrances dans l’humanité. Des sujets sur lesquels rire est une tâche assez ardue, en somme … Il ne faut pas chercher à faire rire à tout prix, il y a en effet des sujets sur lesquels si on ne trouve pas la bonne manière de rire, il ne faut pas le faire. Après, quand j’arrive sur scène et que devant moi il n’y a que des gens masqués, je prends quelqu’un au premier rang et je lui demande de baisser son masque deux secondes pour voir son visage et je lui dis « non, remets-le, remets-le » je me permets de le faire parce que la situation fait que je suis obligé d’en jouer.Comment faites-vous, depuis toutes ces années, pour préserver cette forme de bienveillance qui est votre signature ? Je ne sais pas, je suis comme ça. Pour autant je suis parfois submergé par la violence de ce monde, quand j’écris, quand je travaille. Dans mon spectacle, je joue ce personnage de femme assez vieille, qui explique : « les hommes ne savent rien sur nous. Quand on était à la plage, et qu’on se mettait les mains sur nos joues, ils croyaient qu’on avait mal aux dents. Alors que nous on regardait tout, même Raymond, de dos dans l’eau, il avait un cul magnifique mais de face il était raté ». Quand j’écris ça, je ris.  Les hommes ne se doutaient de rien, ne voyaient pas leurs émotions car les femmes de cette génération étaient de grandes actrices, personne ne savait qu’elles jouaient. En revanche, mon personnage explique aussi qu’au bain turc, hors des regards des hommes, là, elles ne jouaient plus, elles pouvaient pleurer, s’épancher…Et ça devient bouleversant. Je ne sais pas qui sont ces femmes, celles de la génération de ma mère, qui ont vécu des choses qu’elles n’ont jamais raconté, dont elles n’ont jamais parlé à personne. Ce n’était pas encore l’époque de « Me too », pourtant cette vieille dame est d’une grande modernité, ça me vient comme ça, j’aime inventer les histoires.

« La France est un grand pays de libertés »

Vous avez un secret, pour durer tant de temps dans un milieu qui peut-être, peut aujourd’hui donner l’impression qu’il « s’uniformise » ? Je crois qu’il ne faut jamais mélanger le but et la conséquence. Le but, c’est de faire un bon film. Par exemple, en janvier je tourne l’Avare, je veux faire le mien, pas un film pour plaire. La conséquence, c’est qu’on rencontrera parfois des succès ou des échecs, les choses ne sont pas mathématiques, ce n’est pas ça qui est important. Quand on fait un beau spectacle, on est récompensé, l’échec c’est dur, mais finalement, qu’importe. Il y a des gens dont le but est de gagner de l’argent, d’être connus, alors leur conséquence c’est de fabriquer des choses pour ça. Ce ne sont pas des artistes, ils peuvent avoir beaucoup de talent mais ils ne l’utilisent que pour faire de l’argent. Et c’est triste, parce que si ce n’est que ça, ça ne vaut pas le coup de vivre. Si c’est juste pour l’argent, on fait homme d’affaire on se lance dans le bitcoin, comme tout le monde. Prenez Modigliani, il vendait ses dessins pour manger, parce qu’il était incapable de gagner de l’argent, et aujourd’hui ses tableaux se vendent des millions d’euros. D’autres s’en sont très bien sortis, comme Victor Hugo, il savait le faire, ou Spielberg, c’est un grand artiste, il gagne très bien sa vie. Aujourd’hui, la valeur est reconnue par le côté commercial de l’art, à l’époque, ce n’était pas une industrie. L’humour est devenu une industrie de nos jours, ce qu’il n’était pas quand j’ai commencé. On était 20 maximum, de ceux-là, il n’y a plus personne à présent. Alors il y a plein de jeunes, des gens très bien, prenez (Alex) Vizorek, (Nicole) Ferroni, François Morel, Alex Lutz, Valérie Lemercier, ce sont des gens formidables, très différents les uns des autres.Et quand on pense que vous aurez 70 ans l’an prochain, qui peut croire ça ? (Rires) Mon corps, mes articulations et mes couilles, chère Madame (rires). Moi non plus je n’ai pas l’impression d’avoir cet âge-là, rassurez-vous.Maintenant que, peut-être, vous n’avez plus rien à prouver, y a-t-il des sujets que vous dénoncez, plus que vous ne le faisiez auparavant ? Oui, il y a des gens que je dénonce, pour le danger qu’ils représentent. Comme Zemmour, par exemple. Ces gens-là sont dangereux. On ne vit ni en Iran ni en Corée du Nord, il y a encore chez nous un « semblant démocratique ». Bien sûr que le traitement du Covid n’est pas parfait, comme ailleurs, que le pass sanitaire ça cause des difficultés, dans mon boulot on le voit. Tout le monde souffre, en attendant on navigue à vue, et on comprend qu’il y a un malaise profond, que quelque chose ne va pas. C’est comme dans Hamlet, il y a quelque chose qui ne va pas du tout. De là à dire qu’il faut tout jeter, il y a une nuance, la France est un grand pays de libertés.L’espoir ne vous quitte donc jamais ? Heureusement, sinon autant en finir tout de suite ! C’est un moyen de tourner en dérision les peurs qu’on a, c’est un masque. Personne ne comprend que faire rire est une chose sérieuse, il faut bien le faire, car on met en jeu des choses importantes. Les gens pensent que faire rire c’est léger etc… C’est bien plus que cela. Sinon, c’est que le rire est malade, qu’il perd connaissance. Faire rire, c’est la sincérité et l’envie, c’est ça qui fait le talent. « » Les adieux des magnifiques », à l’espace Bellevarde de Challes-les-Eaux, vendredi 19 novembre à 20h30. Plus d’infos ici.

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