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Grand Chambéry : ces communes qui font le choix de la « sobriété lumineuse »
Par Laura Campisano • Publié le 25/11/21
Chaque être vivant, on le sait, est conçu sur un système jour /nuit, qu’il s’agisse des plantes, des animaux et bien entendu, des humains. Pourtant, depuis 1879, l’invention de Thomas Edison est devenue la règle : éclairage public constant, vitrines de commerces… la lumière est partout, tout le temps. En conséquence, le « vivant » en souffre : animaux désorientés, sommeil des humains perturbé, arbres en décroissance, il était temps d’agir. Depuis quelques années des communes ont donc décidé de se faire accompagner pour passer à l’éclairage raisonné, autrement appelé la « sobriété lumineuse ». Sans négliger la sécurité de tous, l’idée est de faire des économies d’énergie, des économies tout court, et de permettre une régulation des cycles à peu près normale. Sur le territoire de Grand Chambéry, certaines communes donnent déjà l’exemple.
Arrêter l’éclairage public dans les communes la nuit ? Impensable il y a encore cinq ans, inacceptable en tout cas : et la sécurité ? Telle était la première des objections. Depuis, nombre de communes du territoire de Grand Chambéry ont démarré leur conversion à l’éclairage raisonné, réalisant un diagnostic sur l’état de leurs installations et l’utilité de certains points lumineux. Si à Saint-Jeoire-Prieuré et Aillons-le-jeune, les diagnostics sont faits, à Saint-Cassin depuis 2019, tout le parc lumineux a été revu, et l’éclairage éteint entre 23 heures et 5 heures du matin. Un modèle en matière d’éclairage raisonné.
A Saint-Cassin, le nouvel éclairage public a ravi les habitants
C’est une petite commune rurale de 860 habitants, répartie en plusieurs hameaux et un chef-lieu, qui fait figure d’exemple sur le territoire de Grand Chambéry. L’habitat y est diffus, le centre d’activité majeur est l’école, et le territoire est assez étendu. Pourtant, cela fait plusieurs années que Saint-Cassin se préoccupe de l’environnement et c’est notable : chaudière bois depuis la rénovation de l’école, relevés de compteurs mensuels pour l’électricité et le chauffage, et depuis peu, c’est tout le parc d’armoires électriques et l’éclairage public qui a été revu. « Le budget de fonctionnement de la commune est approximativement celui du club de voile d’Aix-les-Bains, soit environ 500 000 euros », précise Vincent Laguillaumie, adjoint de la commune, « quant à notre budget d’investissement, il se situe entre 370 000 et 400 000 euros. Avant les travaux nous avions 9 armoires d’éclairage public très vétustes, 52 sources lumineuses et 41 points d’éclairage. Aujourd’hui, nous sommes passés à 7 armoires d’éclairage, 26 sources lumineuses, nous avons mis en sécurité et en conformité notre éclairage et nous éteignons chaque soir, sauf le samedi si les habitants louent la salle polyvalente, de 23h à 5h. C’était important pour nous de faire les choses bien, c’était un engagement de notre part. Nous avons à présent un réseau modernisé et plus efficace. » détaille-t-il. Et plus économe également, puisque depuis 2010, la consommation d’énergie mensuelle de la commune a été réduite de 88% sur le chef-lieu, et sur la route de Lyon, qui est l’axe principale pour y accéder, la réduction est de 96%. Des chiffres éloquents, quand ont sait que l’électricité est la source d’énergie la plus chère de nos jours. « Pour le moment, mes collègues du conseil municipal me charrient un peu parce que ça ne se voit pas sur la facture », sourit Vincent Laguillaumie, « mais ça s’explique parce que le prix du kilowatt/h augmente et que l’abonnement lui, ne bouge pas. » Quant au délai, entre le diagnostic initial et la fin des travaux, il aura fallu deux années à la commune pour réaliser l’ensemble de cet investissement. « Il ne faut pas hésiter à réaliser ces travaux en tranches, armoire après armoire » précise la SDES (syndicat départemental d’énergie de la Savoie), ce qui apparaît sans doute moins long aux habitants. A Saint-Cassin, même si la municipalité a décidé de « tout faire d’un coup », personne ne s’est plaint de ces modifications et suppressions de points lumineux, au contraire, ceux qui l’ont remarqué s’en sont montrés ravis. A Aillons-le-Jeune, c’est plus compliqué, « le diagnostic a été fait, mais l’électricité au sein du village est déplorable », regrette Marc Fleury, deuxième adjoint de la commune, « il va donc falloir s’en charger avant de démarrer les travaux. S’il n’y avait pas ces problèmes internes, ce serait déjà fait ». A Saint-Jeoire-Prieuré, le diagnostic est fait également, même si les questions des habitants, bien que les travaux n’aient pas démarré, tournent autour de la sécurité dans les zones non éclairées. S’il est communément rappelé par les gendarmes que là où il n’y a pas de lumière, il est plus facile de repérer un voleur – qui lui va s’éclairer et de facto, sera visible – Vincent Laguillaumie a fait valoir que le plus gros problème d’incivilité de Saint-Cassin s’est déroulé il y a quelques années précisément sous un point lumineux. « D’autant que les flashs provoqués par les points lumineux de l’ancien éclairage route de Lyon », poursuit l’adjoint, « étaient plus dangereux sur le plan de la sécurité routière. C’est un pendant de la sécurité, la gêne visuelle, d’autant que l’éclairage public a aussi un effet sur la faune. »
Un investissement qui a du sens et qui peut être accompagné
Parmi les investissements déjà évoqués, figure aussi l’outil ultime : l’horloge astronomique, un calendrier crépusculaire qui parvient à calculer, par les trajectoires mathématiques des astres, l’heure exacte de lever et du coucher du soleil. Équipé d’une antenne radio qui permet de synchroniser l’heure interne de l’horloge, cet outil permet une économie d’énergie de 10% en une nuit. Avec un coût de 300 euros par poste, auquel le SDES participe à hauteur de 50%, cet équipement semble être une plus-value indéniable des aménagements. « La plupart des communes n’ont pas connaissance de l’impact de l’éclairage public », expose Jérôme Fournier, représentant du SDES, « et la vétusté des installations est très importante. Il faut savoir qu’avant l’arrêté du 27 décembre 2018, les communes n’avaient pas l’obligation d’éclairer, leur seule obligation était de maintenir l’éclairage public. » Désormais, cela est acté par un nouvel arrêté du 1er janvier 2020, qui fixe des règles strictes. D’autre part, les supermarchés ont l’obligation d’éteindre l’éclairage de leurs parkings une heure après leur fermeture jusqu’à 7 heures le lendemain matin, tandis qu’on le rappelle… les magasins en ville ont la même obligation pour l’éclairage de leurs vitrines depuis une loi de 2013. Et nul n’est censé ignorer la loi. Au total, à Saint-Cassin, les aménagements et travaux auront coûté 1 351 euros pour diagnostic – que le SDES prend en charge à hauteur de 40% – , 40 000 euros de travaux, et 1890 euros pour l’assistance dont Saint-Cassin s’est prévalue pour faire les bons choix notamment en matière d’impact environnemental, « parce qu’il y a l’éclairage, mais il y a aussi l’optique, et ce n’est pas notre métier à nous », soulignait l’adjoint. Sur l’ensemble de ces dépenses, le syndicat départemental d’énergie de la Savoie a versé une subvention de 8 790 euros à laquelle s’ajoutait 9 000 euros de subvention de la Chartreuse. Pour obtenir l’aide du SDES, une convention doit être signée avec la commune qui doit ensuite prendre une délibération en séance du Conseil municipal.En effet, les communes ne sont pas livrées à elles-mêmes, pour opérer ces changements, se rapprocher de leurs habitants auprès desquels la pédagogie est de mise. C’est le sens de l’accompagnement des Parcs naturels régionaux de Chartreuse et des Bauges qui travaillent sur le sujet depuis déjà deux ans, avec le projet « parcs étoilés », mais également de France Nature Environnement, qui outre l’aspect financier, auquel le SDES participe également, comme nous l’indiquions précédemment, ont mis en place différents supports pour favoriser cette conversion à un éclairage raisonné : un guide pour le Parc naturel régional, une exposition pour la FNE Savoie ainsi qu’un site internet « la nuit, je vis », et, pour ces deux entités, des visites nocturnes guidées, entre autres manifestations que chaque commune peut organiser pour ses habitants. « Globalement », reprend Jérôme Fournier, « il convient d’arriver à sentir un peu la température auprès de la population, faire de la pédagogie, appeler les gendarmes pour qu’ils viennent expliquer l’impact réel que cela a sur la sécurité, si des zones d’ombre subsistent. »
A Chambéry, de grandes avancées même s’il reste des efforts à faire
La cité des Ducs n’a pas attendu pour moderniser son éclairage public, puisque le plan de modernisation a été enclenché dès 2007, diminuant la puissance des équipements de 40 % sur l’ensemble de la ville de Chambéry, depuis cette date. Pour y parvenir, alors que la ville compte 10 000 points lumineux dont environ 800 pour la mise en valeur du patrimoine, il a été nécessaire de remplacer ces points à l’aide de nouveaux lampadaires, d’une puissance par unité de 99 watts, contre 125 au niveau national. Ainsi, chaque année, 500 lampadaires sont remplacés, soit la totalité du patrimoine lumineux chambérien en 20 ans. « Depuis 2007, 7 000 points ont déjà été remplacées par des technologies divisant la consommation par trois », expose Jimmy Bâabâa, adjoint en charge de la transition écologique de Chambéry, « un tiers du patrimoine répond à présent pleinement aux enjeux énergétiques, avec des lampadaires modernes, ayant une puissance unitaire inférieure à 50 watts. » De plus, 1 000 lampadaires ont été retirés ou non remplacés depuis 2007, et l’éclairage a été optimisé, notamment en supprimant les déperditions d’éclairage vers les zones inutiles, comme l’a fait Saint-Cassin, en réduisant la durée d’allumage au moyen d’horloges astronomiques, comme indiqué précédemment, et en diminuant la puissance des lampadaires de 30% entre 22 heures et 5 heures du matin.
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