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Fossoyeurs

Par Jérôme Bois • Publié le 08/11/21

Désormais, jeter une opinion un tant soit peu tranchée sur la voie publique peut vous coûter plus que la vie, la déchéance de dignité ordonnée par le grand tribunal populaire, aussi, vu le nombre de polémiques qui ont émaillé la vie publique de ces derniers mois, il valait mieux, même si l’envie nous a longtemps démangé, nous faire discrets. Pensez-donc, le voile, les migrants, Zemmour, l’hystérisation du débat, les violences commises par la police, les agressions subies par la police… Les réseaux n’avaient sans doute pas besoin de notre avis, ils en regorgent, et de bien plus acides que les nôtres. Nous ne sommes jamais que 67 millions de polémistes et fort heureusement, il n’y en aurait qu’un seul pour briguer le trône de fer même si le bonhomme tend à faire durer le plaisir. Non, ce qui m’emmène par un beau lundi de novembre à noircir la présente de mon aigreur matinale, c’est plutôt une habitude que j’aimerais dénoncer une bonne fois, en espérant que ce coup-ci, ce cri de gueule du cœur fasse office de prise de conscience définitive. Alors ok, disons-le franchement, la presse nationale et locale n’a pas brillé ces derniers temps. L’hystérisation du débat public, c’est nous, en partie. La zemmourisation de la vie publique, c’est nous et entièrement nous. Le traitement des manifestations, souvent biaisé, les campagnes pro-untel, anti-machin, c’est encore nous. Nous jeter les chiffres de la Covid à la figure au réveil, faire le comptage des décès (très) éventuellement liés à la vaccination, ce genre de choses, étaient stupides mais la course au clic le réclamait, on dira ça comme ça. Mais la presse n’est pas que la somme de ses erreurs, c’est un autre sujet. Ce qui m’emmène à vociférer, une bonne fois, c’est cette regrettable habitude qui consiste à balancer aux yeux de tous le contenu intégral d’un article, fut-il insignifiant, sur les réseaux. Encore ce matin, tandis que je scrollais paresseusement, je vis défiler nombre d’articles en pdf ; annonce d’un événement, bilan d’une AG quelconque, autopromotion… En faisant cela, vous n’informez pas, vous brillez pour votre seul compte.  Pour chaque article, une personne a travaillé, recueilli des propos, des informations, les a synthétisés, pour en recracher la moelle. A quelques exceptions près bien sûr, j’ai connu suffisamment d’opportunistes qui se faisaient livrer à domicile, qui se contentaient ensuite de passer le tout au micro-ondes avant de le resservir chaud, moyennant rémunération comme récompense du travail (mal) fait. Une habitude détestable, certes. J’en ai même vu travailler pour trois titres en même temps, se contentant de copier-coller leur prose. Mais pour ces quelques cuistres, combien de valeureux soldats du journalisme, combien de correspondants locaux, assez bien intentionnés pour continuer de « faire le trottoir » selon la formule de l’un d’eux ?  Oui, un grand concert pour une noble cause, oui, une thématique actuelle, oui, une belle réunion, oui, une association qui a pignon sur rue, ça mérite bien un papier, mais en le diffusant in extenso sur les réseaux plutôt que d’inciter les gens à acheter la feuille de chou concernée, c’est simplement creuser un peu plus la tombe des médias locaux. Comme le feraient de vulgaires fossoyeurs.  On me rétorquera – à raison – que nous ne sommes pas concernés puisque le Petit Reporter est et restera gratuit. Et en ligne ! Et de quoi tu te mêles, Jéjé ? Sauf que pour un seul média comme le nôtre, combien de journaux papier sur le marché ? Ici, nous pensons complémentarité, solidarité parce que la presse est bien assez mal barrée comme ça. Tant pis s’il en est qui ne voient leurs confrères que comme de simples concurrents à abattre. Je souhaiterais, d’ailleurs, que chacun prenne sa part et que chacun s’élève avec plus de conviction, parce que si la moindre association ou le premier politique a besoin des médias pour se montrer, c’est oublier que nous avons besoin d’eux nous aussi. Comme une heureuse interdépendance. On vous met en valeur, faites-en autant.  Merci pour nous.

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