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Quand la question migratoire s’invite à Saint-Baldoph et dans les communes de Savoie

Par Jérôme Bois • Publié le 17/11/21

La question des migrants incendie l’opinion, fait s’affronter les politiques, parvient à disloquer les relations internationales et tout indique qu’elle sera au cœur de l’élection présidentielle. La voici qui s’invite désormais jusque dans nos communes, à Saint-Baldoph, d’abord, lorsque l’adhésion à la charte Anvita a fait grincer quelques dents çà et là. Cette même charte ratifiée depuis par Chambéry, Barberaz et quelques autres. Que dit-elle ? Pourquoi ces polémiques à Saint-Baldoph ? Analyse.

Tout est parti de la réaction assez épidémique d’un élu de Saint-Baldoph, le 18 octobre dernier, en pleine séance du conseil municipal alors que devait être approuvée l’adhésion de la commune à la charte Anvita (association nationale des villes et territoires accueillants) qui souhaite faire des territoires des refuges pour toute personne en danger, exige le respect des droits aux mineurs non accompagnés et aux jeunes majeurs et réclame à l’Etat des moyens pour créer des solutions d’accueil, d’hébergement et d’accompagnement. « Une charte qui porte des valeurs humanistes », résume Fabienne Paccoud, adjointe au maire en charge des affaires sociales, des solidarités et de la santé.

Du bruit au conseil de Saint-Baldoph

Une adhésion qui a fait bondir Rémi Garnier, conseiller municipal aujourd’hui membre du Rassemblement national. « L’adhésion à cette association visant à accueillir de façon inconditionnelle des migrants dans nos communes m’a interpellé, j’ai donc souhaité m’y opposer car la ville fait déjà des choses pour les demandeurs d’asile. Et cette décision a été prise sans que le conseil en ait été préalablement informé. Ça me gêne. C’est une question sensible qui réclame de la transparence ». L’élu a « bondi » sur le fait que « nous puissions accueillir tout le monde, demandeur d’asile ou non ». Il vise Fabienne Paccoud, « élue très impliquée dans la venue de migrants, elle en a fait son combat ». Le 18 octobre dernier, le débat avait « été volontairement limité par le maire », assure-t-il, pour en faciliter l’adhésion et annihiler les protestations. « Il aurait été plus judicieux d’aborder ce point en commission et pourquoi pas par un référendum ». Est-ce le signal d’une « opération portes ouvertes » pour les migrants ? Rémi Garnier en est persuadé et n’a pas manqué de le faire savoir aux habitants, via un tract distribué dans 1 200 boîtes aux lettres. « Voici la conception que le maire a de la France et de notre commune » , écrivait-il, « à savoir » nous sommes tous des migrants, et pour être français, il suffit de passer sur notre sol «. Cette idée de la France n’est pas la mienne ». Au conseil, les débats n’en avaient pas été moins âpres, puisque seuls 11 élus ont voté pour, 5 contre (dont deux de la majorité) pour 8 abstentions. « Certains ont pensé que cette charte était trop marquée politiquement, c’est pourquoi tout le monde au conseil n’a pas approuvé ce point » , souligne Fabienne Paccoud. Rémi Garnier avait été élu sur la liste d’Odile Grumel avant de s’en éloigner sitôt son adhésion au RN actée, au printemps dernier. « Je l’ai fait afin que la liste ne soit pas orientée. Je n’ai jamais été un militant politique, j’avais participé à quelques actions au sein du RN mais n’avais jamais été impliqué ». Jusqu’aux Départementales lorsque, candidat, il fit face à Fabienne Paccoud, alors suppléante d’Arthur Boix-Neveu et Aurélie Fournier. Et comme un symbole, il apparaît que le maire de Barberaz a validé l’adhésion de sa commune à cette même charte, le 10 novembre. Et que Chambéry en a fait de même – à l’unanimité – le 8. De quoi alimenter la circonspection de Rémi Garnier, ces communes (Cognin s’apprêtant à signer également) étant orientées (très) à gauche.

"Ensemble, nous pouvons peser"

Pour Arthur Boix-Neveu, il s’agit avant tout d’une question de bon sens, d’humanisme, et dénonce à travers l’opposition de Garnier « un acte dogmatique digne du RN ». « Cette charte ne consiste pas en l’accueil de tout le monde mais de recevoir ceux qui sont déjà là, le plus dignement possible. Il faut se rendre compte que les gens veulent simplement vivre décemment. En adhérant, nous montrons qu’il existe une autre voix que la reconduction automatique aux frontières ou dans leur pays ».

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Un jugement qui concorde avec la maxime de l’association « quand on accueille bien, ça se passe bien ». « Ce n’est pas l’apanage des villes PS, EELV ou PC » , pointe Arthur Boix-Neveu, ce qu’un coup d’œil rapide aux signataires ne confirme pas tout à fait puisque seules Saint-Etienne (LR) et Metz figurent parmi les grandes villes signataires, en compagnie de Lyon (EELV), Strasbourg (EELV), Nantes (PS), Paris (PS), Bordeaux (EELV), Bagnolet (PS), Grenoble (EELV), Granville (liste de fusion gauche – centre droit), Montpellier (PS)… En Savoie, Fourneaux, aux portes de l’Italie, Saint-Pierre d’Entremont, Barberaz, Chambéry, Saint-Baldoph, le CCAS de Saint-Pierre d’Albigny et prochainement Cognin se sont ajoutées à cette liste. « Nous disons » ensemble, nous pouvons peser « et face au changement climatique qui impacte fortement ces migrations, il faut réagir ! » conclut Arthur Boix-Neveu.Thierry Repentin, en marge du lancement de « Migrant Scène », écrivait alors, « La Savoie est une terre hospitalière, c’est inscrit dans son hymne, et Chambéry ne fait pas exception (…)
Cette année thématique a pour objectif de montrer, au-delà du cercle des convaincus, que les différences nous enrichissent. Migration, multiculturalisme, asile… Ces mots aujourd’hui effraient tant ils sont malmenés dans le débat public par ceux qui préfèrent agiter les peurs que travailler à résoudre les problèmes. A Chambéry, ceux-là nous trouverons sur leur chemin. Je crois dans ces moments d’émotion collective autour du sport ou de la culture, des fêtes de quartier et des repas partagés, qui rassemblent dans la convivialité au-delà des classes sociales et des origines« . Des mots qui résonnent, pour Marc Pascal, l’un des référents d’Anvita en Savoie. » Il est temps d’assumer le dernier des trois mots qui figurent sur le fronton des mairies et des écoles, « Fraternité ». Il n’est plus concevable qu’on laisse les gens sans réagir«.

Le rendez-vous du 18 décembre

Sur la charte, si tous ne semblent pas d’accord avec une formulation, « accueil inconditionnel » « ça ne signifie pas qu’on doive ouvrir les portes à tous » , soutient Marc Pascal. « Il faut en parler, pour ne plus créer de phobies. Tant qu’on ne se connaît pas, il peut y avoir de l’agressivité ». « Permettre à des demandeurs d’asile d’accéder aux bibliothèques, des choses de la vie quotidienne, c’est l’esprit de cette charte » , abonde Fabienne Paccoud, « nous officialisons ce que nous faisons déjà dans les communes. En 2018, nous avions ouvert les portes du presbytère parce que des mineurs dormaient dehors, tous ont été depuis pris en charge par le conseil départemental. Ce que nous voulons mettre en avant, ce sont les valeurs humaines, la question d’aider son prochain ». « Nous faisons voix » , reprend Marc Pascal, « nous souhaitons porter le débat au plus haut, les élus doivent avoir une parole forte ». Il assure toutefois qu’en aucun cas cette charte doit « être un marqueur ». C’est pourquoi des villes comme Aix-les-Bains, La Ravoire, Ugine et le Bourget-du-Lac « font beaucoup sans chercher à adhérer ». Le 18 décembre prochain, le député européen, Damien Carême, maire de Grande-Synthe, à l’origine de la création d’Anvita en septembre 2018 (qu’il préside en compagnie de Jeanne Barseghian, maire de Strasbourg), se rendra en Savoie à l’occasion d’une signature commune de la charte, avec toutes les villes adhérentes. Un moment fort, que d’aucuns désirent éloigné de toute polémique : « Nous avons reçu beaucoup de témoignages de soutien, suite à la distribution du tract de M. Garnier, on n’entrera pas dans ce jeu. Nous sommes une équipe plurielle, nous ne sommes pas du même bord mais nous pouvons porter des valeurs humaines communes » , confie Fabienne Paccoud. Pour Rémi Garnier, l’adoption de cette délibération serait toutefois la preuve que « derrière les beaux discours de droite, se cache en réalité toujours la même soumission à la gauche et à l’extrême-gauche. En politique, il y a les paroles et les faits. Dans les faits, la mairie de Saint-Baldoph est aux mains des idées de l’extrême-gauche ».

L'Etat français pointé du doigt

Le petit monde politique est en ébullition sur la question migratoire : le 14 novembre, elle figurait parmi les deux dossiers majeurs débattus par les cinq candidats Républicains. La commission d’enquête de l’Assemblée sur les migrations, rapporte le site Médiapart le 16 novembre, a même dénoncé « la politique menée par le gouvernement et les défaillances de l’État et de l’Europe quant aux conditions d’accueil et aux difficultés d’accès aux droits pour les migrants ». La promesse de la République serait « insuffisamment tenue » , selon plusieurs membres LREM, dont la députée Sonia Krimi. Les parlementaires de la commission aurait également pointé du doigt « des défaillances en matière d’accès à l’hébergement, pointant un » sous-dimensionnement des solutions d’hébergement particulièrement criant «. Et souligne le rôle crucial joué par les associations, comme le Refuge solidaire de Briançon, qui, depuis le 24 octobre dernier, a dû fermer temporairement ses portes faute de places nécessaires, avec l’idée d’interpeller les autorités sur la nécessité de proposer des solutions d’hébergement aux exilés ». Une charge contre le gouvernement dans laquelle Marc Pascal se reconnaît : « L’Etat pourchasse les migrants, ils sont pourtant victimes plus que délinquants. Cette politique migratoire date de quelques années mais clairement, Emmanuel Macron a mis le turbo ». Nul doute que cette question va encore alimenter les débats d’ici à avril 2022. Qu’elle arrive aujourd’hui sur le devant de la scène au niveau communal montre bien que la campagne se joue sur tous les terrains.Pour prendre connaissance de la charte Anvita, cliquez ici.

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