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Affaire Anna-Chloé : avant l’audience pénale, l’audience télévisuelle

Par Jérôme Bois • Publié le 04/01/22

Après le passage remarqué de la jeune collégienne chambérienne et de sa mère sur le plateau de C8, un nouveau palier dans cette affaire a été franchi, le mardi 4 janvier : les deux avocats du dossier ont accepté l’invitation de Cyril Hanouna, et ont débattu de ce dossier… toujours en cours d’enquête, et pas encore audiencé au parquet de Chambéry. Une sorte d’échauffement avant le procès pénal, en apparence.

Cette affaire aura décidément démarré à l’envers : avant la fin de l’enquête policière, rassemblements, manifestations, pétitions, cagnottes, médiatisation, explication à la télévision et même débat télévisuel entre les conseils… Alors que la seule personne autorisée par le code de procédure pénale à communiquer sur une enquête en cours est le procureur de la République. Force est de constater que les choses ne sont pas encore en voie d’apaisement.

Nouveau changement d’avocat pour Anna-Chloé ?

Maître Pierre Pérez

A seulement 11 ans, et après les blessures qu’elle a subi, la jeune fille était invitée sur le plateau de Cyril Hanouna pour témoigner, alors même qu’elle avait déjà dû se plier aux interrogatoires des services de police le 22 décembre dernier. Après avoir demandé, en direct, à changer d’établissement scolaire, celle-ci devait donc montrer son visage devant les caméras de C8, lundi 3 janvier, le jour même de la rentrée. Le lendemain, c’est un nouvel avocat qui se présentait sur le même plateau, face à Pierre Pérez, conseil de l’établissement et du proviseur, inchangé depuis le début de l’affaire. Après avoir sollicité dans un premier temps Yann Le Braz, le temps de quelques heures, puis avoir été assistée devant les enquêteurs par Maître Fabien Ngoumou, c’est Mourad Battikh, jeune avocat ayant prêté serment en 2018 et habitué des plateaux télé, étant au centre d’affaires retentissantes, qui semble avoir pris le relais, au soutien des intérêts d’Anna-Chloé.

Toujours est-il que le dossier a été largement débattu en direct, devant les téléspectateurs, alors que des auditions de témoins doivent encore avoir lieu, que les pièces sont couvertes par le secret de l’enquête, que le code prévoit que seul le procureur est autorisé à parler d’une enquête en cours, et que, nous-mêmes dans ces colonnes, nous astreignons à ne révéler que ce qu’il est possible de rendre public. Le sort de cette procédure n’ayant pas encore été scellé, deux plaintes parallèles ayant été déposées, dont l’enquête confiée au SRPJ par le parquet concernant les menaces de mort sur le proviseur (voir nos articles précédents), l’émission de ce soir ressemblait à un tribunal médiatique bis, faisant fi des dispositions de l’article 11 du code de procédure pénale, et des articles 226-13 et 226-14 du Code pénal. Alors qu’il est fait interdiction aux avocats de communiquer les pièces des dossiers en cours à leurs propres clients, ou même d’en faire des photographies, que les avocats présents en plateau eux-mêmes indiquaient n’avoir pas encore la totalité de la procédure en mains, et pour cause, l’enquête n’étant pas terminée, ce face à face, sorte de pré-procès peut donc interroger. Ces débats sont-ils possibles pénalement et déontologiquement parlant ? A en lire le code de procédure pénale, pas vraiment. Mais ça, la télévision n’en a cure, visiblement. Bref, après avoir reçu mère et fille durant une vingtaine de minutes, le 3 janvier, l’avocat de l’établissement et du chef d’établissement, Pierre Pérez, avait à son tour les « honneurs » du plateau du chevalier blanc, Cyril Hanouna, par ailleurs chaudement remercié par l’un de ses chroniqueurs en toute fin de séquence, Raymond Abou. « Cette émission fait des miracles, il a dit qu’il ferait bouger les choses et il a tenu parole ». Il était donc clair que, parce que l’animateur star l’avait naïvement et fort maladroitement tweeté, quatre jours après les faits, lui revenait à lui et lui seul la tâche de faire justice au cours d’un procès télévisé forcément vécu comme un événement, en témoignent les records d’audience tombés pour l’émission de la veille. Un procès avant l’officiel, dont on ne tirera rien de concret. « Nous allons continuer de suivre cette affaire… » a promis l’animateur. On s’en doute.

« Circulez, y’a rien à voir… »

A Pierre Pérez, donc, de commencer, dans ce qui devait être un droit de réponse, un droit littéralement balayé par la présence du conseil de la famille Mengue-Lunet. Précis et concis, Maître Pérez rappela qu’un cas de harcèlement avait déjà été réglé par la direction du collège, que les auteurs des brimades avaient été sanctionnés et qu’en cas de situation similaire, l’établissement aurait réagi tout aussi promptement. Puis il évoqua le difficile début d’année scolaire vécu par Anna-Chloé, « elle s’occupait des enfants en bas âge de sa mère » , justifiant ainsi des résultats décevants. « Sauf qu’elle n’en a pas » fit-il remarquer. Ce qui n’est pas tout à fait exact puisqu’Anna-Chloé a un jeune frère. Un seul. La jeune fille avait dès lors fait l’objet d’un « suivi spécial » de la part de l’établissement. Puis il fut question des faits à proprement parler, ce fameux 15 décembre, Maître Pérez réaffirma que personne n’avait vu qui que ce soit pousser Anna-Chloé dans le dos, occasionnant la chute contre le banc qui lui laissera une grosse cicatrice sur le nez. Aucun témoin visuel. « Elle a parfaitement été prise en charge, mais dans la foulée, c’est la mère qui a mis tout un bazar et qui a été sommée par les pompiers de quitter la salle où la fillette était soignée » , rembobina-t-il.

Maîtres Battikh et Pérez

Enfin, la question des caméras de vidéosurveillance du collège fut expédiée sans coup férir, « elles n’enregistrent plus, elles sont vieilles et le champ de ces caméras ne ciblaient pas la scène qui se trouvait dans un angle mort. Je précise enfin qu’on ne peut remettre les enregistrement qu’à la justice ». Face à lui se dressait, comme nous le précisions, un habitué des caméras, manifestement dans son environnement, Maître Mourad Battikh, qui ne cacha pas ses facilités dans le délicat exercice de la confession face caméra, « j’ai l’habitude » , dira-t-il. Quid de Fabien Ngoumou ? Nous n’en saurons rien. Le nouveau conseil commença par s’indigner de l’attitude du procureur de Chambéry, Pierre-Yves Michaud, « qui expliquait dès qu’il eut l’affaire entre les mains qu’il s’agissait d’une chute avant même qu’Anna-Chloé ait été entendue. Circulez, y’a rien à voir alors que l’enquête n’est pas aussi évidente ». L’intéressé, dont les oreilles siffleront de nouveau plus tard, appréciera.

Et la tendresse, bordel ?

Maître Battikh parlera de harcèlement systémique, d’insultes, qui ont cours depuis « trois mois ». « Lors des élections pour être délégué de classe, elle n’obtint qu’une seule voix, la sienne. A la cantine, elle se retrouva vite esseulée, elle n’ira plus. De l’exclusion physique, on est passé à l’exclusion numérique puisqu’un élève l’évinça du groupe Whatsapp de la classe ». Le 29 novembre, elle aurait été molestée puis traitée de « grosse baleine noire » , insista l’avocat. « Anna-Chloé dit la vérité » , asséna-t-il. Il sera bien moins prolixe sur les « snaps » dans lesquels la fillette menace de mort une camarade de classe, « snaps » détaillés dans notre article du 3 janvier, éléments inconnus de participants à l’émission, la veille. « C’est une réponse… dans un contexte bien particulier » , bafouilla-t-il. Mourad Battikh confirma, enfin, qu’il n’y eut jusqu’ici aucun témoignage accréditant la version d’Anna-Chloé sur les faits du 15 décembre. « J’aimerais déjà que l’officier de police judiciaire fasse son travail sérieusement » , au motif que tous les témoins n’auraient pas encore été entendus. « Le procureur s’est malgré tout enfin remis au travail sérieusement » , conclut-il, avant que Benjamin Castaldi, un chroniqueur, ne s’indigne de la posture de maître Pérez : « Vous ne faites preuve ni de compassion ni d’humanité à l’égard de cette jeune fille ». Un commentaire digne des temps qui courent où l’émotion demeure le seul et unique juge de paix quand la raison impose retenue et circonspection. Alors que n’ont été ici occultés ni les blessures ni le chahut que vit depuis le 15 décembre cette collégienne chambérienne. A quoi ce « procès télévisuel » aura-t-il pu bien servir ? En aucun cas aux intérêts d’une ou l’autre partie sinon aux audiences si précieuses d’une émission régulièrement chahutée par la concurrence et pointée du doigt pour ses excès. Le tribunal cathodique a cru bon devoir devancer les enquêteurs en tentant de prouver – sans succès – que la vérité était bel et bien ici et pas ailleurs. Parce qu’au départ, l’indignation a primé sur tout autre considération, quand doivent s’imposer raison et sérénité des débats, sans parler du secret de l’enquête, désormais loin derrière. Une victoire pour le « mediatic circus », une de plus. On en pleurerait…

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