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Cyril Dion : « L’humain est aussi capable du meilleur »

Par Laura Campisano • Publié le 10/01/22

Quel est notre rapport au vivant ? C’est une question que nombre d’habitants du globe se posent, et qui est au centre du documentaire de Cyril Dion, « Animal », sorti en salles le 1er décembre dernier. Dans le sillage de Bella et Vipulan, deux jeunes gens de 16 ans, c’est un réel questionnement qui s’immisce en chaque spectateur, aux portes d’enjeux politiques comme en France, aux portes d’enjeux écologiques dans le monde. 

Réchauffement climatique, disparition de 50 % des espèces animales, catastrophes naturelles précipitées par la déforestation, incendies à répétition, on croirait un scénario catastrophe de blockbuster américain, mais il s’agit surtout d’une réalité dont ne s’emparent pas les décideurs politiques, encore moins la plupart des candidats à l’élection présidentielle française. Pourtant, des solutions, des actions existent, portées par des humains à première vue ordinaire. Sans se voiler la face, le nouveau documentaire de Cyril Dion les met en avant, quatre ans après « Demain », qui avait eu un retentissement international très important. Avant un ciné-débat le 25 janvier prochain à Malraux, entretien avec le réalisateur.

Cyril Dion  – Crédit photo Fanny Dion

 

« Animal » permet de questionner notre rapport au vivant par le prisme de Vipulan et Bella, 16 ans, chez qui on sent une forme de maturité, de gravité sur les questions environnementales que nous n’avions pas forcément à leur âge. Comment cela peut-il s’expliquer ?

 

Cyril Dion : Dans leur génération, une grande partie a conscience de ces enjeux plus tôt que nous, j’ai 25 ans de plus que lui et j’ai les mêmes préoccupations, mais à 16 ans, je n’étais pas non plus dans cette gravité face aux questions écologiques et politiques. Ils sont lucides, face au monde et au double jeu qu’il peut y avoir et conscients que tout ne peut pas changer du jour au lendemain.

 

On sent une véritable inquiétude chez l’un comme chez l’autre, pour l’avenir, bien moins d’insouciance qu’on ne peut avoir à 16 ans…

C’est le point de départ du film : toutes les marches pour le climat que j’ai pu faire, c’était en me disant qu’il n’était pas possible de les laisser dans le désespoir de l’avenir. A 16 ans on a la vie devant soi, on fait des projets, tout est possible. C’est le but de ce voyage, de leur proposer à nouveau un horizon.

 

L’horizon très proche, ici en France, ce sont les élections présidentielles. Pourtant, à l’instar des assistants parlementaires qui restent totalement hermétiques aux questions de Bella et Vipulan, on entend très peu parler des sujets écologiques dans ces débats, dans ce début de campagne…

C’est ce qui explique que de moins en moins de gens aillent voter, qu’il y ait de plus en plus d’abstention… il n’y a qu’à se pencher sur les résultats des dernières municipales, c’est très fort. Il y a une forme de désabusement, à force de voir les décideurs politiques mentir ou faire des promesses qu’ils ne tiendront pas, étant dans une forme de collusion avec l’industrie. C’est ce que j’ai dit à Emmanuel Macron, dans notre entretien sur la convention citoyenne sur le climat : si vous n’êtes pas sûr de pouvoir tenir vos engagements, il ne faut pas faire de promesses. Tout cela concourt à la défiance.

 

Comment pouvoir peser sur cette élection ? Faut-il projeter le film aux candidats à l’élection pour les sensibiliser aux enjeux dont ils semblent se détourner ?

Je ne sais pas comment peser, j’essaie aussi de convaincre les candidats à gauche de revenir à la raison, en proposant un véritable projet collectif, ce serait un sacré pavé dans la mare. Qu’ils disent que l’urgence est telle qu’il faille prendre un programme commun, voilà ce qui serait ambitieux. Mais après c’est aussi une histoire de boutiques, de scores qui permettent de rembourser des frais de campagne etc. Ce qui peut se comprendre.

 

A la vue du documentaire, on peut s’interroger : comment on en est arrivé là, dans notre rapport aux animaux, au vivant en général ? Quand cela a vrillé ?

C’est quelque chose qui s’est produit de manière progressive, avec toute la construction culturelle de notre société, d’abord avec le prologue de la genèse de la Bible, plus tard avec le siècle des Lumières et les animaux machines de Descartes, puis l’industrialisation et l’engouement pour la technologie qui pouvait nous aider à sortir définitivement de la pauvreté. C’est tellement culturel, ça existe depuis tant d’années qu’il faudra du temps pour déconstruire tout ça.

 

Pourtant, après deux mois de confinement, nombreux sont ceux qui ont cru à « un monde d’après », s’extasiant que la « nature reprenne ses droits’. Mais dès le lendemain, on a vu les ressorts économiques repartir de plus belle, tout cela n’aurait-il donc servi à rien ? 

Il faut beaucoup plus que cela pour un sujet d’une telle ampleur, c’est un sujet structurant qui nous est présenté. D’abord, à chaque grand changement, chaque grand mouvement de bascule comme la fin de la monarchie, de l’esclavage, de la ségrégation, des gens se sont soulevés, il y a eu de vrais rapports de force, très puissants, parfois violents, parfois non-violents. C’est une question de conjoncture, de gens qui imaginent le monde autrement, avec une volonté de le mettre en œuvre dans leur vie : c’est ainsi qu’à notre époque, certains se sont mis à la permaculture au lieu de l’agriculture classique, certains expérimentent le revenu universel, des gens innovent. Pourtant, le rapport de force est très faible aujourd’hui, sur ces sujets : très peu de gens boycottent des enseignes, ou décident de ne pas acheter à tel endroit. Ensuite, ce sont les circonstances historiques qui ont pu faire que quelque chose se passe, par exemple le droit de vote des femmes, ce n’est pas seulement dû au travail des suffragettes, mais aussi au contexte de la première guerre mondiale, au cours de laquelle on a vu que la femme prenait de plus en plus de place dans la société. Enfin, à chacun des mouvements évoqués, il y a eu une rébellion…

 

Trois semaines après la sortie du documentaire, « Don’t look up – déni cosmique » est sorti sur la plateforme Netflix, avec des préoccupations similaires : on y montre l’absence de prise au sérieux des scientifiques, qui alertent d’un danger imminent pour la planète sans que personne ne s’inquiète vraiment. Comment faire pour que la bascule se fasse ? 

C’est complexe, et je n’ai ni la réponse, ni les moyens de provoquer ce changement. Je pense qu’il faut surtout aider les gens à décrypter ce qui est en train de se produire dans le monde, les aider à changer de culture. Il est aussi important d’engager des rapports de force, par le biais d’actions en justice, en allant dans la rue quand il faut y aller, en mettant la pression sur les flux financiers. Par exemple, retirer son argent des banques qui soutiennent les énergies fossiles, ça, ça a un impact. C’est de la pédagogie qu’il faut faire. Après, comme dans le film d’Adam Mc Kay, on réagit quand on est au pied du mur : le plus impactant est de faire de la pédagogie au moment où les événements surviennent. C’est pourquoi « Extinction Rebellion », les mouvements de jeunes se sont autant mobilisés depuis 2018 : pour les trois clés dont je parlais tout à l’heure et parce que lorsque l’on voit les effets directs du changement climatique en Australie, en Californie, où des villes entières partent en fumée, les inondations en Allemagne et en Belgique, ça a plus d’impact. Ce ne sont pas seulement les écolos qui disent ça dans leur coin.

 

Y a-t-il des pays où l’intérêt pour l’écologie est différent du nôtre ? 

Bien sûr, les humains sont capables aussi du meilleur, c’est vraiment ce que nous avons voulu montrer dans ce film, pour retrouver un peu de jus, un peu d’espoir, en montrant des gens extraordinaires qui par leur dévouement, leur engagement, leur réel intérêt pour la question écologique apportent des solutions, c’est ça, la source d’espoir «.

« Animal », actuellement en salles au Forum et à l’Astrée Cinéma à Chambéry. Projection-débat le 25 janvier 2022 à  20h à Ciné Malraux en présence de Cyril Dion. 




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