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Grand Lac : le système de parrainage des candidats à la présidentielle ne passe plus auprès des élus de petites communes

Par Jérôme Bois • Publié le 28/01/22

C’est désormais officiel, la période de collecte des parrainages pour l’élection présidentielle est ouverte et ce jusqu’au 4 mars. Il s’agit pour un élu territorial (maire, sénateur, député, conseiller départemental, régional…) d’offrir sa signature à l’un des candidats déclarés afin de lui permettre d’officialiser sa candidature. Mis en place par un système qui existe depuis que l’instauration du suffrage universel direct, il est largement critiqué par bon nombre d’élus de petites et moyennes communes. De fait, ils seront nombreux à s’abstenir.

Déjà en vigueur durant la IIe République, de 1848 à 1852, le suffrage universel direct a dû attendre plus de cent ans pour (re)devenir la règle, lors d’une élection présidentielle. C’est en effet en 1962, le 6 novembre, que la Constitution a été révisée sur ce point. Et c’est depuis ce jour que le dispositif de parrainages existe. Son but initial visait à éviter les candidatures à la fois trop nombreuses et farfelues. Revu et corrigé à plusieurs reprises depuis, ce dispositif réclame désormais – et depuis 1976 – de disposer de 500 griffes pour prétendre à prendre place sur la ligne de départ. Ça n’a pas toujours été le cas puisque sous la Ve République, à trois reprises, en 1965, 69 et 74, seuls 100 parrainages étaient nécessaires. En 2017, 42 000 élus étaient habilités et concernés* par ce système de parrainages, seuls 34% ont répondu. Et il y a fort à craindre que ce ratio n’évolue pas à la hausse en 2022.

« Je joue le jeu mais… »

En effet, un rapide tour de table montre que ce système n’obtient guère l’assentiment de tous, à commencer par les maires de petites communes, démarchés depuis plusieurs jours par mailing, courriers, appels téléphoniques par les équipes des quelques 38 candidats encore en course, après les défections d’Arnaud Montebourg, Jacline Mouraud et Jean-Frédéric Poisson** et en attendant l’annonce du président en exercice, Emmanuel Macron. Il y a 5 ans, Nicolas Jacquier, maire de Drumettaz-Clarafond, avait accepté de parrainer Rama Yade, alors candidate du mouvement « Oser la France », elle qui venait de prendre ses distances avec Nicolas Sarkozy dont elle fut l’une des ministres entre 2007 et 2012. Elle n’obtint pas les 500 signatures nécessaires mais ce coup de pouce, le maire le ré-adressera : « Ma tendance serait de soutenir un petit candidat et comme je parraine en mon nom, il ne sera pas d’un extrême, fut-il de droite ou de gauche ». Cependant, c’est une décision qu’il ne prendra pas seul, « nous définirons notre choix avec les membres volontaires du conseil municipal car ils sont représentatifs de la population ». Un choix qu’ils feront en février. Le maire de Drumettaz ne fera donc pas appel aux concitoyens, comme cet élu de Sainte-Anastasie-sur-Issole, dans le Var, qui a opté pour une consultation citoyenne, « parce que ce serait plutôt un coup à cliver la population. C’est original mais nous n’irons pas jusque-là » , promet Nicolas Jacquier. Mais qu’on se le dise, ce parrainage n’est pas une adhésion, l’un des reproches attendus tous les cinq ans à l’occasion d’une présidentielle. Et parmi ces reproches, on peut citer, au choix, les pressions exercées sur les maires des petites et moyennes communes généralement non affiliés à des partis, les risques de marchandages du parrainage par certains élus habilités, l’incapacité à laisser suffisamment de place à des candidats hors système (ou plutôt hors appareil politique) et l’échec à empêcher la multiplication des candidatures. Alors Nicolas Jacquier joue le jeu, car « c’est une responsabilité » mais « est-ce seulement la bonne règle du jeu ? » , s’interroge-t-il. Pas sûr si l’on écoute d’autres maires.

« Je refuse d’entrer là-dedans, c’est trop dangereux. Ce système est d’un autre temps »

Ainsi, à La Biolle, Julie Novelli ne se hasardera pas à appuyer qui que ce soit de sa signature. « Déjà, je l’aurais fait avec le conseil municipal pour que ce choix soit collectif et pas uniquement de mon ressort. Mais j’aurais aimé disposer des programmes détaillés de chacun des candidats, et par ailleurs, je ne tiens pas à ce que ce soit perçu comme un soutien politique. Notre liste est apolitique, j’ai été élue comme ça, nous ne souhaitons donc pas être fléchés ».

@Renaud Vilafranca pour actu.fr

Plus loin, à Chanaz, Yves Husson, par ailleurs président des maires ruraux de Savoie, s’en tiendra à la charte des maires ruraux***, il ne parrainera personne. « Cela pourrait générer des conséquences néfastes, comme de penser que je soutiens quelqu’un. Tout positionnement serait ambigu ». A titre plus personnel, il reconnaît « avoir toujours été déçu » et que « la méthode actuelle n’est pas la bonne ». « C’est sûr » , poursuit-il, « beaucoup de parrainages manqueront lors du décompte final mais les élus ruraux ne peuvent s’engager ». 66% des élus habilités avaient en effet refusé de parrainer un candidat en 2017. Toute consultation citoyenne serait de nature « à diviser la commune » et là encore, le caractère apolitique de la liste conforte Yves Husson dans sa volonté, lui qui n’a de toutes les manières jamais parrainé. Robert Aguettaz, maire du Viviers-du-Lac, se situe dans cette mouvance, en tant que figure de proue d’une assemblée municipale sans étiquette et multicolore. Et comme Yves Husson, jamais il n’a été amené à offrir sa signature à un candidat, « c’est une question de déontologie vis-à-vis de mes conseillers. Pour une petite commune apolitique, faire un choix est difficile » , engager ses habitants sur une candidature fixe, tout autant. Indépendant « depuis toujours » , Yves Mercier, maire de Voglans, refuse « de rentrer là-dedans, parce que c’est trop dangereux. Ce système est d’un autre temps ». Il a certes 60 ans !Président de l’association des maires de France, David Lisnard avait indiqué, mercredi 26 janvier, que « la règle devait être changée ». Mais au profit de quel système ?

« Laissez-nous libres ! »

D’un dispositif moins transparent pour commencer, car la fin du parrainage anonyme pèse lourd sur la balance. « L’idée de base était d’éviter que des candidats farfelus ne puissent se présenter mais je trouve ridicule que tout le monde sache qui on a parrainé » , tranche Julie Novelli. Choisir lui aurait été compliqué à plus d’un titre, « je suis une voix divergente dans l’agglomération, j’ai toujours voté pour des programmes différents, je me présente même comme sociale de droite et pour une économie de gauche. En outre, parrainer, ce n’est pas une petite responsabilité et je préfère porter des idées plutôt qu’une personne ; par exemple, je ne comprends pas qu’il y ait un parti écologiste, qu’il y ait une candidature pour la cause animale, ce sont pourtant des fondements de base. Je crois que les plus petits candidats devraient être intégrés à de plus gros, afin que leurs idées soient tout de même portées ». Elle va plus loin : « Cela me dérange que l’on ne parle de certaines causes qu’une fois tous les six mois, dès qu’il y a une élection ; est-ce vraiment moral ? » Pour Yves Husson, l’anonymat permettrait aux gens « de ne pas tirer de conclusions hâtives, nous le réclamons, chez les maires ruraux. Laissez-nous libres ! » « Si le choix avait été anonyme, à la limite, pourquoi pas » , souffle Yves Mercier, « là, je peux facilement me faire tacler ». L’élu voglanais suggérerait plutôt de mettre fin à cette « élection à 4 tours » , incluant les législatives de juin prochain. « On aurait tout intérêt à ne voter que pour ces dernières et que l’assemblée élue désigne un président à ce moment, comme cela se faisait sous la IVe République ». Mais qu’est-ce que la fin de l’anonymat a changé, finalement ? « Quand un maire veut, par exemple, refaire un rond-point sur sa commune, il est aidé par une intercommunalité, un département ou une région qui n’est pas forcément de la même couleur politique. Or, afficher publiquement son parrainage pourrait lui faire perdre des financements essentiels » , expliquaient nos confrères d’Europe 1. Les crispations se créent ainsi autour des candidatures extrêmes, comme Marine Le Pen, Eric Zemmour ou Jean-Luc Mélenchon. « Moi, je n’ai pas ressenti cette pression vis-à-vis d’un appareil » , nuance Robert Aguettaz. Les positions de Julie Novelli ne l’ont non plus pas empêchée de bénéficier d’une vice-présidence à Grand Lac. Un ancien élu avait cependant déclaré un jour que « si tu n’es nulle part en politique, ça te posera toujours problème ». Personne ne s’avancera davantage sur cet épineux sujet, au sein d’une agglomération plutôt à droite, dans un département de droite, niché au cœur d’une région à droite. Robert Ménard, maire de Béziers, n’avait-il pas déclaré récemment, lors d’une conférence de presse qu’ « aujourd’hui, le chantage aux subventions de la part des départements et des régions est d’une efficacité redoutable » … ?

Des propositions de réformes sans lendemain

Et si pouvoir parrainer plusieurs candidats était une solution ? Ou ne réserver ces signatures qu’à de petits candidats afin de porter leurs idées – confidentielles hors campagne – pendant quelques semaines jusqu’au premier tour ? Des suggestions évoquées çà et là. Des réformes avaient bien été tentées, rapporte le site vie-publique.fr, parmi lesquelles le parrainage citoyen, obligeant les candidats à bénéficier des 150 000 parrains citoyens pour concourir, le relèvement du seuil à 1 000 parrainages, le remplacement du système actuel par un collège de 100 000 élus en charge de désigner à bulletin secret le candidat qu’ils souhaitent voir participer… Des propositions restées sans lendemain. Finalement, parmi les maires interrogés, seul un s’est dégagé de tout questionnement, il habite Tresserve : « Je suis militant politique et j’ai pour habitude de donner mon parrainage au parti auquel j’appartiens. Cette règle n’est pas si mal, ce dispositif est mieux que rien ». Jean-Claude Loiseau fut longtemps le seul maire de Savoie estampillé RPR. Cette fois, à n’en pas douter, c’est en bon Républicain (LR) qu’il parrainera.Si ce système est imparfait et bride de nombreux élus, il semble, selon ces maires, le seul viable à l’heure actuelle. Moyennant quelques modifications, néanmoins.
* Sont concernés les députés et sénateurs, les représentants français au parlement européen, les maires, les présidents des communautés d’agglomération, de communes, les maires d’arrondissement, les conseillers de Paris et de la métropole de Lyon, les conseillers départementaux et régionaux, les conseillers à l’assemblée des Français de l’étranger et les présidents des conseils consulaires.
** Ils sont à cette heure encore 38 en lice : Valérie Pécresse (LR), Marine Le Pen (RN), Anne Hidalgo (PS), Yannick Jadot (EELV), Jean-Luc Mélenchon (LFI), Nathalie Arthaud (Lutte ouvrière), Philippe Poutou (NPA), Fabien Roussel (PC), Eric Zemmour, Christiane Taubira, Florian Philippot (Patriotes), Nicolas Dupont-Aignan (DLF), Jean Lassalle (Résistons), Antoine Waechter (écologiste dont c’est la 2e participation après 1988), Gaspard Koenig, Fabrice Grimal, Clara Egger et Eric Drouet (tous trois gilets jaunes), François Asselineau (UPR), Nagib Azergui (démocrates musulmans de France), Stéphane Tauthui, Benjamin Victor Boucher (Union essentielle), Hélène Thouy (parti animaliste), Philippe Furlan, Luc Laforest (une perspective, la VIe République), Georges Kuzmanovic (République souveraine), Gildas Vieira (la France Autrement), Martin Rocca (étudiant), Clément Wittmann (décroissant), Anasse Kazib (militant syndicaliste), Marie Cau (1re maire transgenre), Gérard Pignol, Antoine Martinez, Gilles Lazzarini, Stéphane Rivoal et Fadi Kassem.
*** Le deuxième des dix principes de l’association des maires ruraux de France indique vouloir « porter les positions des élus ruraux dans les instances locales et nationales en conservant [notre] indépendance vis-à-vis des pouvoirs et partis politiques » .

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