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Les opinions du Petit Reporter : Pauvres linguistes !

Par Laura Campisano • Publié le 25/01/22

Le métier de journaliste est bien sûr d’informer, de recouper, de rechercher, de s’interroger, mais il est aussi d’écrire, de manier les mots, la langue, de savoir rebondir, d’avoir un peu de vocabulaire. Et si ces quelques mots vous semblent courroucés, c’est en partie en raison de ces modes journalistiques, qui utilisent des mots pour d’autres, principalement en matière de droit et de faits divers. C’est peut-être un détail et sans doute, comme on me l’a suggéré sur Twitter, ne dois-je pas jouer les « vierges effarouchées » au moindre néologisme. Ainsi, « solutionner » ou « complexifier » sont sans doute acceptables alors que des mots pour dire la même chose existent déjà, pourquoi pas, mais ça me titille. Par exemple, pour parler d’une personne soupçonnée d’avoir commis certains faits, en écrivant qu’elle est « accusée » de tels faits, on n’est pas juste juridiquement, ce n’est pas le bon mot, c’est une erreur. Accuser c’est quand une information judiciaire s’achève et que le juge d’instruction demande « notre mise en accusation » devant une cour d’Assises. Au stade de l’affirmation dans un média, voire avant tout dépôt de plainte, c’est peut-être aller un peu vite en besogne.  Mais en réalité c’est un problème de tournure de phrase, d’imagination, de savoir-faire linguistique. Sinon on pourrait imaginer « on reproche au maire…. » « Il lui est notamment reproché, » il est pointé du doigt certains manquements «, » le parquet soupçonne « sans immédiatement imaginer le plus grave… Un peu comme » sous le coup « d’un mandat d’arrêt, c’est peut-être inutile puisque » il fait l’objet d’un mandat d’arrêt « suffit, ou pire » il a écopé d’une peine « alors qu’il a pu » être condamné à une peine « ce qui est déjà fort efficace. On fait des économies en réalité, par paresse et/ou pour rentabiliser, on écrit comme tout le monde et on perd les réflexes de respect des procédures, ou mieux encore, on cherche le buzz avec des tournures choc sans se soucier du sens, du poids, des mots.  Pourtant notre métier c’est dire les choses, avec exactitude, trouver le mot juste et le bon ton, mettre la bonne intention, sans distorsion. Peut-être faudrait-il revoir le lexique judiciaire, ou le voir tout court. Savoir faire la différence entre la mise en examen et la plainte donnant lieu à l’ouverture d’une enquête préliminaire, arrêter de raconter ce qu’il se passe en garde à vue, parce que souvent on finit par le dire n’importe comment… dans l’empressement, dans la course au buzz, dans l’excitation du scoop, sous la pression bien souvent. C’est là qu’un mis en cause devient un accusé, ou qu’un suspect devient un auteur (sans présomption) , et comme les mots ont un sens, là ils en sont vidés.  On ne dirait pas comme ça, mais écrire des articles sur la justice n’est pas une tâche facile, le droit a son jargon et s’atteler à le raconter est un exercice périlleux, absolument pas réservé aux petits nouveaux qui écrivent machinalement, et automatiquement comme leurs aînés. C’est presque un art, lire les chroniques judiciaires de Pascale Robert-Diard, ou de Stéphane Durand-Souffland entre autres, montre à quel point manier le verbe comme un fleuret réclame dextérité et finesse. Tout au moins, dans les faits divers d’un quotidien ou d’un hebdo régional, doit-on être capable de différencier un prévenu d’un accusé, et donc, d’utiliser les termes exacts, puisqu’ils existent et sont à la portée de tous. La lecture, l’intérêt porté à ce que l’on fait, la curiosité peut-être, ça fait partie du métier. En cuisine, en danse, en sport, en mécanique, en cinéma, en musique, il existe des champs lexicaux et des vocabulaires spécifiques, rien d’étonnant alors qu’on essaie d’utiliser les mots justes pour se faire comprendre et relater la vérité, tant qu’à faire, pour éviter les faux-pas, voire engager nos responsabilités. Et puis, remarquons-le, on fait rarement sauter des crêpes dans une casserole sans passer pour un hurluberlu. L.C

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