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Chambéry : à la découverte des noms des rues de la cité ducale, jusqu’au 6 mars 2022

Par Laura Campisano • Publié le 02/02/22

De quand datent le nom des rues du centre ancien de Chambéry ? Que signifient certains noms et ont-ils toujours été tels que nous les connaissons ? Le service ville d’art et d’histoire de la ville vous invitent à plonger dans l’histoire de la Cité des ducs, dans le cadre d’une exposition dénommée « Odonymie (s), les noms de rues disent la ville », actuellement visible au centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine (CIAP) depuis le 19 mai 2021 et prolongée jusqu’au 6 mars 2022, et à vivre lors de deux prochaines visites guidées dans la ville, les 6 février et 6 mars prochains. 

Parfois, en tirant un fil, on déroule une bobine de petites et de grandes découvertes, qui finissent par aboutir à une exposition en 3D, donnant l’occasion au visiteur de se mettre en quête de l’histoire de la ville qu’il visite ou habite. C’est ainsi qu’au décours de visites guidées à Chambéry, Charlotte Lejeune, responsable du service de ville d’art et d’histoire à Chambéry tout comme ses collègues, était régulièrement interrogée sur l’origine et la signification des noms de rues, du centre ancien aux « nouvelles rues » du centre ville. Et voilà l’étincelle qui les a menés, son équipe et elle-même, à s’intéresser de très près à ce sujet, et à en créer une exposition riche en découvertes et enseignements.

A l’origine, des noms de voies donnés par les habitants, pratiques, logiques et naturels

Bien que l’on sache à présent que Chambéry avait une histoire gallo-romaine, les premières informations que les historiens du service ville d’art et d’histoire ont pu recouper, datent du Moyen-âge. L’odonymie, étude linguistique des voies de communication, c’est-à-dire les rues, les boulevards ou encore les avenues, a plongé nos chercheurs chambériens dans une ouverture de champ plus vaste, au niveau national et européen. C’est de cette manière qu’ils ont découvert que l’on ne nommait pas les rues de la même manière au Moyen-âge, à la Révolution française, ni même aujourd’hui. « On constate dans les quelques documents d’archives datant du Moyen-âge dont nous disposons que l’idée d’attribuer des noms aux rues n’a pas été immédiat », expose Charlotte Lejeune, « les habitants utilisaient davantage un système de repérage à partir de points saillants, un clocher, une porte, une paroisse etc… il s’agissait des points de rendez-vous leur permettant de se repérer dans l’espace urbain. Puis quand le tissu urbain s’est étendu, se repérer est devenu plus compliqué, des axes sont apparus. Il faut avoir à l’idée qu’à l’époque, les rues n’étaient pas dessinées et pensées en amont d’un projet de quartier, comme le font les urbanistes aujourd’hui. Il s’agissait de vides entre des espaces bâtis : tout ce qui n’était pas un espace bâti n’était pas nommé. » 

Première partie de l’exposition « Odonymie »Crédit Photo Didier Gourbin

Ainsi les premiers noms de rue sont apparus, d’abord à l’oral, à compter de l’extension et donc de la complication des espaces urbains. C’est en parcourant le fond très riche des plans des canaux de Chambéry, datant des XVIIe et XVIIIe siècles, que l’on découvre au cours de l’exposition, que l’on voit émerger les premiers noms de rue écrits, non sur des plaques de rue, mais sur les plans : « pour se repérer, on utilise ce qui se dit à l’oral, c’est un système logique de description de la rue, des périphrases descriptives, » décrit Charlotte Lejeune, « c’est une forme pré-odonymique, avec un caractère référenciel : par exemple » rue basse «, » rue tournante «, ou la » rue Juiverie « en raison du regroupement des gens de confession juive dès le XVe siècle à cet endroit, on encore, la rue Grenette, en raison de la halle aux grains qui y était implantée. Ces noms témoignent de choses que l’on ne voit plus. » C’est donc la façon dont les habitants perçoivent l’espace qui permet de les dénommer, de manière naturelle, à l’usage, dévoilant beaucoup de choses sur le processus de l’attribution des noms de rue.

La Révolution et ses enseignements

Avant 1790, Chambéry est dans une enceinte fortifiée, à laquelle on accédait par quatre portes, derrière lesquels se trouvaient des faubourgs, espaces à la fois reliés à la ville et extérieurs. S’y trouvaient, dans des faubourgs bien spécifiques, des auberges pour accueillir les voyageurs, des commerçants, des congrégations religieuses et des populations marginales, entre autres. Ces faubourgs, tous les Chambériens les connaissent car leurs noms ont perduré après la chute de l’enceinte à la Révolution : il s’agit du faubourg Montmélian, qui mène à l’Italie, le faubourg Reclus, où vivaient ceux qui souhaitaient vivre en reclus (moines, religieux) au Moyen âge, le faubourg Mâché, entouré d’eau où travaillaient les maraîchers, et le faubourg Nezin, qui doit son nom à une personnalité y ayant vécu. Quand l’enceinte de la ville tombe, les faubourgs sont absorbés, mais les traces des noms de rues ont perduré. L’arrivée des révolutionnaires à Chambéry est le début de l’odonymie de décision. « Ils font une épuration odonomyique », explique Charlotte Lejeune,

Les visiteurs sont invités à consulter les plans des canaux calqués avec les plans actuels pour retrouver les noms de rue – Crédit photo VAH

« c’est-à-dire qu’ils renomment les noms de toutes les rues avec des références à la Révolution. Ces noms n’ont aucun lien avec la fonction de la rue, on trouve des » rues de la liberté «, » rue de la fraternité «, » rue Voltaire «, » rue Rousseau «, qui n’arriveront pas jusqu’à nous, puisque dès leur départ, les habitants se sont empressés de reprendre contact avec les anciens noms. Mais cette période a laissé des enseignements : on peut décider du nom d’une rue, on peut lui donner un nom qui ne soit pas en rapport avec ce qui s’y passe et les noms de rue peuvent être un outil, au service du pouvoir pour véhiculer une idéologie. Toujours est-il que cette façon de procéder était si radicale, si déconnectée des habitants, qu’elle n’a plus été utilisée que dans des cas précis, au lendemain de la proclamation de la IIIe République ou à la Libération, par exemple. » C’est ainsi qu’une délibération du conseil municipal du 6 septembre 1870 a rebaptisé la rue Prince-Impérial en rue Favre, et la rue Impériale en rue de la République, puis en août 1944, l’avenue du Maréchal-Pétain en avenue du Docteur-Desfrançois. Instruments de pouvoir et porteurs de symboles forts, les noms de rue ont donc dès la IIIe République et jusqu’à notre période contemporaine été un enjeu d’incarner la culture républicaine, rendant hommage aux héros de la République faisant consensus (d’Emile Zola au général de Gaulle, selon une liste bien précise, que Chambéry a respecté à la lettre, NDLR) les dates, événements, en mémoire de la guerre, des combattants avant la Seconde Guerre Mondiale aux noms des martyrs, victimes et résistants à partir de 1944 « Les commémorations, hommages à des personnes sur des noms de rue, cela n’existait pas du tout dans les siècles précédents. D’autre part, rendre hommage aux résistants permettait aux commune de célébrer la mémoire des enfants du pays », reprend Charlotte Lejeune, « à partir de la IIIe République, il a fallu trouver un équilibre entre ce qui faisait le récit de la France et également l’histoire locale, les notables. A Chambéry, il y avait beaucoup de médecins et de magistrats, en raison de la présence des hôpitaux et du Sénat de Savoie, de nombreux bienfaiteurs ayant œuvré à la prospérité de la ville, ce qui explique la rue de Boigne, par exemple. » Toujours est-il que la règle, depuis le XIXe siècle, est de toujours respecter les usages, comme points de repères pour les habitants (rue de la trésorerie, rue Croix d’or…) et de réserver la création de noms de rue, aux nouvelles rues.

Période contemporaine, nouveaux enjeux

Crédit photo Didier Gourbin

Loin de la ferveur idéologique et politique de la IIIe République, la seconde moitié du XXe siècle a adopté une tonalité résolument différente autour de la notion de consensus, encore lui. On garde bien entendu les figures locales incontournables, comme à Chambéry, la rue Pierre-Dumas, mais moins politiques, les nouveaux noms de rue vont vers des figures emblématiques, comme Nelson Mandela, ou dans la construction des grands ensembles immobiliers, on s’oriente vers la nature : noms d’oiseaux, de fleurs, d’arbres, ou de massifs plus ou moins proches de nous. « Dans les années 70, 80 et 90, le végétal était très utilisé car très consensuel », sourit Charlotte Lejeune, « même si on garde trace des odonymies anciennes et de certains référenciels, par exemple la rue des Ronces, faubourg Mâché et la rue des Lauriers, faubourg Montmélian font partie de l’odonymie ancienne, puisqu’il s’agissait des emblèmes des Faubourgs, contrairement à la rue des Cyclamens à Chantemerle, qui n’est pas en lien avec une référence de ce type. » De nos jours, et depuis 2010, le monde institutionnel a prêté attention aux revendications de certains milieux militants, mettant en avant les disparités odonymiques, comme l’absence de femmes jusqu’à très récemment sur les plaques de rue, de personnalités d’Outre-mer ou encore issues de l’immigration, « qui pourtant sont une partie de la population », souligne Charlotte Lejeune, « tout le monde s’accorde sur cette disparité mais tout le monde n’est pas d’accord pour y remédier. Cela devient un sujet d’actualité, parce que changer un nom de rue pose un tas de problèmes, administratif, pour les habitants : les gens sont attachés aux noms des rues, et on voit l’écart entre la projection idéologique des élus à toutes les époques, et la réalité des habitants. C’est bien plus complexe qu’on ne le pense. On voit alors que c’est un sujet contemporain, permettant d’avoir une vue d’ensemble, avec du recul, sur les témoignages du passé, montrant que les noms de rue font vraiment partie du quotidien des gens, qu’on ne peut pas faire table rase, comme durant la Révolution. » Un sujet qui a demandé de la recherche, très pointue, pour arriver à un résultat aussi bluffant, mettant « en forme les intuitions que les gens ont déjà, tout leur est familier, cela donne de belles interactions » et leur permettant de se mettre à table pour remonter le temps, consulter les archives, remonter les plans des canaux et chercher les noms des rues. Un bon moyen de ne pas oublier d’où l’on vient pour savoir où l’on va…
« Odonymie – les noms de rue disent la ville », hôtel de Cordon, au centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine, 71 rue Saint-Real. Entrée libre. Visites guidées et commentées les 6 février et 6 mars 2022. Inscriptions sur le site de la ville. Exposition prolongée jusqu’au 6 mars 2022.

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