La Savoie prise par des envies de « Reconquête », le parti d’Eric Zemmour

Il faut croire qu’en Savoie aussi, la fuite des cerveaux est active. Au national, on a vu suffisamment de cadres du Rassemblement national ces dernières semaines pour ne pas croire que cela puisse se limiter aux principales figures. De Gilbert Collard à Stéphane Blanchon, de Stéphane Ravier à Gilbert Collard mais pas seulement, « en Savoie aussi ça s’enfuit à la pelle » , commente la coordinatrice départementale de « Reconquête », Manon Decorte. Elle devait faire partie de cette jeunesse triomphante du RN : ex-maire déléguée à la Léchère, engagée dans les élections départementales sur le canton de Moûtiers, elle incarnait ce souffle nouveau qui s’emparait de la Savoie. Le RN semblait alors bien loti. Et puis, quelques mois plus tard, patatras ! Une ligne directrice qui change, l’arrivée d’un trublion médiatique sur la scène politique, une personnification du parti qui dérange, il n’en fallait pas davantage.

La « décadence du RN »

« On ne comprend plus trop sa ligne » , dit-elle de Marine Le Pen, « elle tend de plus en plus à gauche et passe son temps à nous redresser les bretelles sur tout ce que nous disons, publions… C’est le culte de la pensée unique, sa pensée. On le savait, ce n’était pas nouveau mais ça nous allait tant qu’elle nous paraissait dans le juste. Là, elle essaie de parler à tout le monde ». Quitte à se renier et à perturber ses militants. « J’étais entrée lors des élections sénatoriales et j’en suis partie juste après le congrès » , les 3 et 4 juillet 2021. « On avait voulu me parachuter dans la Loire pour les Régionales*, j’y avais même créé quelques liens, là-bas, notamment avec des proches de Marion Maréchal. Et en Savoie, on m’a mise dans le même sac qu’eux, il a été décidé que je devais quitter le parti ». Elle écrira même à Marine Le Pen pour l’informer de cette décision et tout semble indiquer qu’il ne s’agissait pas de celle de la cheffe. « C’est de toute façon la décadence au RN » , avance Manon Decorte. « Je n’y suis restée que quelques mois, je suis dégoûtée du RN. Je n’étais qu’une signature ». Pour un parrainage, qui n’est jamais arrivé. « Après mon éviction, je me suis demandé si je devais encore voter pour Marine Le Pen, mais vu comment elle dirige son parti, ce n’était plus possible. Même nos réseaux sociaux étaient vérifiés à la loupe ». Des propos sur la chasse lui vaudront par exemple l’ire de Paris. « Nous avions des problèmes avec le loup, vis-à-vis des agriculteurs mais tout ce qui importait était de ne pas se mettre les animalistes à dos ».

« Ce qui nous rassemble ? L’envie d’y croire »

Maire déléguée à Bonneval, commune de La Léchère, jusqu’en janvier dernier, elle aura in fine promis son parrainage à un nouveau venu en politique mais bien connu de la scène médiatique, un certain Eric Zemmour. Un choix qu’elle officialisera le 31 décembre dernier dans un tweet (lire ci-contre), auquel a répondu l’intéressé et aussitôt repris par Marie Dauchy, cadre du RN Savoie et conseillère régionale Aura. « Un candidat à la présidentielle vérifie ses sources avant de les publier. Manon Decorte, imposture qui voulait sans doute faire un coup de com’, n’est plus maire et ne donnera pas son parrainage à Zemmour. Un mensonge bien dit est une vérité à celui qui veut y croire ». C’était un peu plus d’un mois après le décès de Jean-François Rochaix, le maire, survenu le 11 novembre 2021, et un mois avant de nouvelles élections, le 30 janvier 2022, auxquelles Manon Decorte n’a pu se présenter, faute d’avoir pu présenter une liste**. Son parrainage avait pourtant bien été validé à temps.Le lien se crée assez vite avec Eric Zemmour, « que je lisais déjà beaucoup. Tout ce qu’il dit, c’est ce qui me touchait. En outre, c’est quelqu’un qui voit plus loin que les régions parisienne ou lyonnaise ». La centralisation du pouvoir, le dirigisme de sa présidente, elle n’en voulait plus. « Lorsque j’ai rencontré Eric Zemmour, j’ai vu une personne humble, sincère, à l’écoute ». A la différence du RN, dit-elle, elle reçoit peu de consignes du national, « nos remarques sont prises en compte et on gère notre département comme on le veut ». Manon Decorte a ainsi pu constituer son bureau en toute sérénité, une fois le parti « Reconquête » officialisé, « ça s’est fait de façon très facile, les gens viennent à nous, je sens de la ferveur et de la bonne volonté, surtout à Aix-les-Bains et Chambéry, c’est assez fou ». « Reconquête » culmine à environ 800 adhérents et 1 800 sympathisants alors que le bureau n’est constitué que depuis la toute fin d’année 2021. « Je n’arrive même pas à suivre le rythme » , sourit-elle. Alors qu’un gros événement s’annonce, mais dont elle ne nous dira rien de plus, l’essor de « Reconquête » paraît météorique.

« Il lui reste tant de choses à dire… »

Au quotidien, outre les traditionnelles séances de collage et de tractage, ce petit monde tente de se rassembler régulièrement, comme se sera le cas à Challes-les-Eaux, la semaine prochaine pour visionner le prochain meeting d’Eric Zemmour en direct. « Qu’est-ce qui nous rassemble ? Les gens y croient, ce qu’il dit est vrai, on a envie d’y croire » , confie Manon Decorte.

« Il s’intéresse à tout et ce qui nous frappe, c’est son amour de la France. Il connaît beaucoup de choses, il est instruit, il connaît notre histoire et il lui reste tant de choses à dire… Sur la santé, la médecine de proximité, des choses qui nous parlent, à nous. Lorsque j’étais maire déléguée, je ne parlais que localisme, thermalisme, agriculture, santé, industrie, avec Ferropem… » En réponse aux critiques faites autour d’un discours centré sur deux uniques thématiques, l’insécurité et l’immigration, même si ces deux faces de son discours sont prégnantes chez les militants. « Nous sommes des amoureux de la France, on ne veut pas se faire piquer la place. Je viens du Nord, j’ai connu l’immigration massive, j’en ai fait les frais. Je l’avais dit au maire de La Léchère, il y a quelques mois, ici en Savoie, on avait connu les Italiens, les Polonais et bien d’autres. Là-dessus, nous sommes d’accord. L’immigration d’aujourd’hui, par contre, c’est non. Elle existe, il faut le dire ». Un refus traduit par deux phases du programme immigration du candidat, stopper les flux et mettre fin aux « pompes aspirantes ». Mais auquel s’ajoutent un certain nombre de thématiques assez peu relevées jusqu’ici, tels la justice, les automobilistes, l’économie, la ruralité, l’agriculture, l’environnement, l’école, l’Europe…Tout laisse à penser, au vu de la mobilisation autour d’Eric Zemmour, que cette élection ne restera pas sans suite, « nous avons eu des directives pour trouver des personnes intéressées, compétentes et expérimentées » , annonce Manon Decorte. Car les législatives arrivent vite. Et parce que le clan Zemmour ne veut pas n’être qu’un feu de paille. Avec 291 parrainages recensés lors du dernier comptage, effectué le 19 février, Eric Zemmour reste malgré tout loin du premier tour. Il lui reste deux semaines pour convaincre les élus. Car il a déjà convaincu de nombreux Français.

Pour plus d’informations : www.parti-reconquete.fr/contact
* En 4e position de la section Loire de la liste conduite par Andréa Kotarac. Elle ne sera pas élue.
** Le maire de La Léchère est Dominique Colliard. Daniel Jugand est devenu maire délégué de Bonneval.