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Présidentielle 2022 : et si la France n’était pas encore prête à avoir une présidente de la République ?

Par Jérôme Bois • Publié le 16/02/22

La campagne présidentielle a connu un tournant, dimanche 13 février, avec la prestation plus que mitigée et surtout très critiquée de Valérie Pécresse lors de son premier – et dernier – grand meeting, face à 7 000 militants, au Zénith de Paris. Ce devait être son grand moment comme l’avait été le discours du Bourget pour François Hollande, celui du congrès de l’UMP pour Nicolas Sarkozy. Une pluie de flèches s’est abattue sur elle, sur la forme plus que le fond, après qu’Anne Hidalgo, Christiane Taubira ou encore Marine Le Pen aient fait l’objet de remarques déjà plus ou moins discutables. Ce qui nous amène à nous poser la question : le pays est-il prêt à avoir une présidente ? Rien n’est moins sûr.

Il a fallu que Marlène Schiappa vienne à son secours. Mardi 15 février, sur RMC, la ministre en charge de la citoyenneté a pris la défense de Valérie Pécresse, pourtant adversaire politique du futur candidat Emmanuel Macron, tout en égratignant un milieu ouvertement machiste. « Les commentaires très durs qu’elle a reçu démontrent que l’on en attend toujours plus des femmes. J’ai même entendu des critiques sexistes à son égard ». Elle va plus loin en évoquant une forme de « présomption d’incompétence pour les femmes » quand un homme, vêtu de son costume cravate coutumier sera d’emblée suspecté d’être « un expert en quelque-chose ». Le 13 février, il est vrai que le ton de la candidate des Républicains sonnait faux, son discours paraissant comme désincarné.

Valérie Pécresse dans l’œil du cyclone

Dans les colonnes de Marianne, Hervé Pata, expert en techniques vocales et maître de conférences à Sciences Po Paris, a livré un commentaire sans détour, qualifiant le discours du Zénith comme « l’un des plus mauvais de la Ve République ». Il s’explique : « Elle a voulu le faire seule comme une grande mais ça n’a pas marché. Sa voix n’est pas mauvaise intrinsèquement mais elle parle faux, tout son discours est artificiel. Sur le plan psycho-vocal, Valérie Pécresse a un complexe d’infériorité très important, elle essaie d’être dans un rapport de virilité masculine ». Le rapport aux hommes, toujours. L’intéressée s’est bien défendue, arguant qu’à défaut d’être une oratrice née, seule lui importait l’action. « Je suis une faiseuse » , une formule moquée par le Canard Enchaîné*, du reste. Michel Barnier sera le premier à venir à son chevet mais ses arguments ne feront qu’alimenter un fait, les femmes n’ont pas droit aux mêmes égards. « Un homme, c’est assez différent d’une femme. Et on ne peut pas demander à une femme le même ton qu’un homme ». La chose serait donc admise. Seulement, dès le 15 février, sans trop savoir – mais on peut l’imaginer – s’il y a eu un rapport de cause à effet, nous apprenions qu’il n’y aurait plus de grands meetings pour la candidate, sinon de plus petits, axés sur des échanges avec le public. Décision prise le 14, au lendemain du « naufrage » du Zénith, comme l’ont qualifié de nombreux observateurs. Il ne fait pas bon être une femme, durant cette campagne. Anne Hidalgo en a déjà fait les frais au point  d’être devenue à son corps défendant une sorte de mascotte pour des internautes prompts à réagir à la moindre de ses sorties, tout en insistant sur des sondages toujours peu flatteurs. « Hidalgo à 2% dans les sondages, elle se fait même dépasser par l’inflation » , osait l’essayiste Olivier Babeau, tandis que le mensuel Causeur la surnomme « Madame 3% ». Christiane Taubira a essuyé quelques plâtres, en particulier depuis le vrai-faux plébiscite de la primaire populaire suivi de ses hésitations coupables lors du débat sur le logement, devant la fondation Abbé Pierre le 3 février. Son – peu flatteur – score de 2002 lui revient également aux oreilles. Quant à Marine Le Pen, son inconsistance lors du fameux débat de mai 2017 face à Emmanuel Macron, est encore dans les esprits, 5 ans après, et lui pèse toujours autant sur les épaules.Plus loin encore, en avril 2007, on se souvient du « Calmez-vous, madame Royal, vous qui êtes si calme d’ordinaire, vous perdez vos nerfs » lancé par Nicolas Sarkozy à sa rivale Ségolène Royal. « Non, je ne me calmerai pas, il y a des colères saines » , lui répondit cette dernière. Elle venait de tomber à pieds joints dans le piège d’un problème face auquel les femmes sont systématiquement renvoyées, le délit d’hystérie.

Le délit d’hystérie

L’hystérie, parlons-en. La médecine antique la décrivait comme une pathologie chronique « liée à des troubles sexuels dont l’origine était supposée découler d’une mobilité de l’utérus (hysteros en grec) » , rapporte le Figaro Santé. Une maladie, donc, qu’on l’on accole volontiers à toute femme coupable de léger emportement. Comme lorsque le député Eric Diard trouvait Marlène Schiappa « un peu à la limite de l’hystérie » , le 8 décembre 2020 sur Cnews, avant d’être repris de volée par une Laurence Ferrari agacée**. La secrétaire d’Etat Brune Poirson décrivit bien, en 2018 dans le Midilibre, à quel point le délit d’hystérie était passé au stade de réflexe au sein de la classe politique : « Un ministre homme qui élèvera la voix lors d’une réunion pour faire comprendre à son administration que le travail qu’on lui présente ne correspond pas à ce qu’il avait demandé passera pour un homme qui se fait respecter. Faites la même chose en étant une femme et on vous qualifiera facilement d’hystérique ».Nous sommes en 2022 et le sexisme ordinaire à la vie dure, alors même que le féminisme – parfois extrême – émerge. « c’est même un retour en arrière auquel on assiste » , souffle Christelle Favetta-Sieyès, adjointe à Chambéry mais aussi présidente de l’association des conseillères municipales et élues de Savoie (ACMS) depuis fin 2021***, « on a régressé depuis les années 80 alors qu’on se dit une société progressiste ».

Valérie Pécresse lors de son meeting au Zenith. @Alain Jocard pour L’Express

Les exemples ne manquent pas, comme on l’a vu : « On attaque les candidates femmes sur la forme, comme Ségolène Royal avait été attaquée sur sa voix ou ses expressions, comme la bravitude » néologisme jugé à l’époque « pédant » et « un peu pompeux » par certains quand d’autres trouvaient la formule originale. Parfois, on s’en prend à leur légitimité : « Anne Hidalgo, on lui rappelle sans cesse le sacerdoce de sa campagne, on lui demande si elle est encore candidate malgré ses sondages très bas, ce qu’on ne demande ni à Philippe Poutou ni à Olivier Besancenot avant lui » , ajoute l’élue chambérienne. Quand ces piques ne visent pas tout simplement la couleur de la veste de Valérie Pécresse ou son origine sociale. « On la dit bourgeoise, alors qu’elle est de la même origine sociale qu’Emmanuel Macron. Ça m’a toujours interrogée parce qu’on ne parlait pas de celle de Nicolas Sarkozy, par exemple » , résume Emilie Bonnivard, oratrice régionale pour la candidate LR.Nous traversons pourtant une période éminemment féministe à en juger par les lois sur la parité au sein des instances locales ou la défense de l’égalité homme-femme. L’époque nourrissait de gros espoirs sauf que les attitudes n’ont pas véritablement évolué. « Il ne faut pas que les femmes aient peur de s’engager mais face à ce genre de propos, on s’expose », estime Marina Ferrari, élue Modem à Aix-les-Bains. Être à portée de baffes est le propre de l’élu, sans doute plus encore lorsqu’on est une femme. « La loi sur la parité a fait du bien mais on entend dire que nous ne sommes présentes que grâce à elle. On m’a déjà dit sur Aix » je ne voterai jamais pour une femme «. C’est dommage. Je pense qu’une femme peut perturber parce qu’elle sera toujours à la recherche du consensus ». Alors on surjoue, quitte à draper sa féminité sous un voile. « Il faut savoir rester soi-même » , assène-t-elle, certes, or, Valérie Pécresse a semblé jouer un rôle qui n’était pas le sien, dimanche 13 février, à en juger par les critiques. « Je pense que les femmes ont moins confiance en elles, on se pose beaucoup de questions, jusqu’à, peut-être, manquer de naturel. Nous sommes sans cesse à la recherche du bon ton, de la bonne position. La veste rouge ou bleue, on en parle encore, c’est absolument dingue ! Ça n’a pas changé depuis 50 ans, en fait ». Pour Emilie Bonnivard, une femme va se montrer « plus impitoyable » à force d’être traitée de la sorte, d’être « choséifiée ».

« Il y a un patriarcat inouï en politique »

Les réseaux sociaux ont été d’une redoutable agressivité à son égard lorsque la candidate LR a affiché le soutien – timide – de Nicolas Sarkozy et d’Edouard Balladur tandis que sa garde rapprochée se compose exclusivement d’hommes souvent rompus à l’exercice politique. Comme si rien ne pouvait se décider sans les caciques mâles du parti. « La droite a toujours eu besoin d’un chef, elle a la culture du chef » , justifie Marina Ferrari. « On fait de la politique à papa, le système s’apparente à un petit comité d’élite et c’est à se demander si l’on n’installe pas une femme uniquement parce qu’elle a des ovaires. J’ai l’impression que ce sont les autres qui décident pour elle » , s’interroge Sabrina Haerinck, conseillère municipale à Chambéry. « Pour moi, qu’elle gagne ou perde, elle n’est qu’un tremplin pour Laurent Wauquiez » , que beaucoup voyaient s’engager dans cette campagne. « Les attaques viennent quand même pour beaucoup de son propre camp » , remarque Christelle Favetta-Sieyès, « je ne les crois pas prêts à une présidente femme. Le système n’est pas prêt, il y a un patriarcat inouï, en politique ». « Ce n’est pourtant pas quelqu’un qui a besoin d’être adoubé » , conteste Emilie Bonnivard, « les compétences, elle les a, sa garde rapprochée, ce sont surtout les candidats de la primaire. Elle a l’envergure, elle a fait ses preuves ».

Un supporter d’Eric Zemmour…

La France serait prête mais pas le système ? « Les Français ont une forme de clairvoyance, une sagesse et ne tombent pas dans les pièges. Je les crois tout à fait disposés à être présidés par une femme, ils ont quand même mis Ségolène Royal et Marine Le Pen au second tour de deux des trois dernières présidentielles » , juge Marina Ferrari. Les femmes sont même bien représentées aux plus hauts échelons de l’Etat, en témoignent les présidences de région détenues par Carole Delga (Occitanie), Christelle Morançais (Pays de la Loire) et bien sûr Valérie Pécresse (Île de France), ou les grandes mairies arrachées à des hommes (Anne Hidalgo à Paris, Johanna Rolland à Nantes, Jeanne Barseghian à Strasbourg). Grosse personnalité, Christiane Taubira a été une ministre respectée, « une sacrée oratrice même, il n’y a qu’à se souvenir de la façon dont elle a défendu le mariage pour tous, un homme n’aurait peut-être pas fait aussi bien » , se souvient la conseillère aixoise. Il reste toutefois ce plafond de verre « comme on parle de plafond de verre en entreprise, c’est ça la présomption d’incompétence » , insiste Christelle Favetta-Sieyès : la présidence de la République. Un os sur lequel elles risquent de longtemps se casser les dents, encore. Dans des tweets ou sur les réseaux, « les attaques sont souvent très basses » , reconnaît la députée dont la favorite a dénoncé, le 14 février, « un phénomène machiste » pour expliquer le tombereau de critiques après le meeting. Florilège : « Elles sont vite fragiles, les mignonnes » , à propos de ce prétendu machisme systémique en politique, « utiliser l’argument machiste pour camoufler son incompétence politique et oratoire, c’est déjà toucher le fond » (Julien), « Insupportable cette façon de se justifier, elle est nulle et pas naturelle » (Rose), ou encore « elle est victime d’elle-même sur ce coup-là » (Edgar). Inimaginable, ce genre de propos, sur la prestation d’un homme. « Il faut faire attention aux critiques que l’on fait aux femmes mais que l’on n’adresserait pas à un homme » , rappelait Marlène Schiappa.Difficile d’affirmer que les Français ne seraient pas prêts à avoir une présidente, ce sont bien les appareils (et aussi les médias, reconnaissons-le) qui alimentent et rabaissent la femme à ce qu’elle a toujours été. Et les proportions prises par l’affaire Pécresse le démontrent. Il y a quelques années, François Fillon, alors premier ministre, aurait dit à Nathalie Kosciusko-Morizet « toi tu ne seras pas ministre car tu es enceinte ». Des paroles qu’il aurait regretté par ailleurs. Mais le mal était fait.Bref, c’est pas gagné.

* Le Canard du 16 février relevait de façon assez ironique la définition du Larousse du terme « faiseur » ou « faiseuse » : « Personne qui cherche à se faire valoir par des moyens peu scrupuleux ; prétentieux, hâbleur » .
** La journaliste lui avait alors répondu en ces termes : « Non, non, écoutez, arrêtez ! Alors, ça, c’est un argument trop facile à opposer à une femme. Je refuse le terme » .
*** Association constituée de 250 adhérentes, créée il y a 50 ans en Savoie. Son objectif est de fédérer les femmes élues de Savoie, de leur offrir un lieu de partage et d’écoute. L’ACMS est le pendant féminin de l’association des maires de France (AMF).

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1 commentaire

gerard Blanc

17/02/2022 à 06:46

Et si le problème c'était pas plutôt notre système anachronique et malfaisant de la 5eme république, faite par et pour les "hommes" providentiels ou "jupitérien"(sic!)? Pourquoi dans les régimes vraiment parlementaires, démocratiques et décentralisés (pays nordiques, allemagne,...) des femmes gouvernent ... en toute évidence, avec leurs styles et sans singer les mâles dominants ?

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