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Présidentielles 2022 : peut-on encore y croire, à gauche ?

Par Laura Campisano • Publié le 18/02/22

A 51 jours du premier tour des élections présidentielles, et alors qu’ils sont encore sept candidats à gauche, sous réserve d’obtenir les parrainages requis, une question revient en boucle : pourquoi ? Pourquoi s’accrocher autant, chacun à sa candidature, pourquoi ne pas avoir accepté un projet commun, au risque de ne pas apparaître au second tour, de lasser l’électorat de gauche et donc de creuser l’abstention, sans parler des législatives ?

Est-ce uniquement une affaire d’ego que cet agglomérat de candidatures à gauche ou bien cela signifie-t-il que la Ve République a fait son temps, l’incarnation du pouvoir entre les mains d’un seul « chef suprême » étant aujourd’hui parvenue à ses limites ? Car si l’on se réfère aux programmes de ces candidats, nombreux sont les points d’accord, accord qu’ils n’ont pas réussi à trouver en dépit des mains tendues. Au niveau local, entre dépit et réflexions, ce n’est plus l’engouement des grandes élections où la gauche avait pignon sur rue, depuis un certain « big bang » politique intervenu en 2017 qui laisse encore des traces, mais la recherche de solutions, pour éviter que cela ne s’empire.

Conciliation nationale impossible, malgré les tentatives

Six mois avant la présidentielle, l’institut IPSOS avait interrogé les électeurs proches de la gauche, qui étaient 66 % à souhaiter une candidature rassemblant les différents courants, 62% chez les sympathisants LFI, 69% chez les électeurs EELV et 72 % chez les sympathisants PS. Pourtant, 64% de ces mêmes personnes sondées se montraient très pessimistes quant à la réalisation in concreto d’une telle candidature commune, et l’histoire leur donne aujourd’hui raison : 7 candidats encore en lice à 52 jours du premier tour, Anne Hidalgo (PS), Fabien Roussel (PC) et Nathalie Arthaud (LO) étant les seules à l’heure où paraît cet article à avoir réuni les 500 parrainages requis. Yannick Jadot (EELV) sera probablement le suivant, traînant dans son sillage Jean-Luc Mélenchon (LFI), Philippe Poutou (NPA) et enfin Christiane Taubira (Primaire Populaire) qui ne totalise pour l’heure que 73 parrainages. Malgré les tentatives infructueuses de rassemblement, émanant de Yannick Jadot le 21 novembre 2021, d’Anne Hidalgo le 10 janvier 2022 et de Christiane Taubira le 18 janvier 2022, la conciliation des candidats de gauche semble impossible. « A Génération.s, on est très porté sur l’union de la gauche », souligne Arthur Boix-Neveu, militant Generation.s en Savoie, « Benoît Hamon a bataillé pour cela, mais les dissensions persistent. Pourtant quand on regarde les programmes, ils varient de 10%, même sur nos désaccords, comme la sortie du nucléaire par exemple, c’est sur le délai que cela porte, parce que tout le monde est d’accord sur le fait qu’il faille en sortir. C’est très compliqué, cette campagne, pour les militants de base, il y a un vrai dégoût de voir que les candidats sont incapables de s’associer nous faisant courir à la catastrophe. » « Le calendrier n’était pas le bon », précise de son côté Damien Ancrenaz, premier secrétaire fédéral du Parti socialiste de Savoie, « la primaire populaire partait de zéro, et quand cette proposition de primaire a pu avoir un seuil assez élevé, il y a ce regret de n’avoir pas pu convaincre les autres partis. » Pour lui, l’avenir de la gauche française passera par le fait d’accepter d’accéder à des responsabilités en rassemblant. « Cette fois, les conditions n’étaient pas réunies entre les candidats » regrette-t-il. « Aurait-on pu espérer rassembler davantage avec un projet commun ? Oui, probablement » concède également Marc Pascal, porte-parole d’EELV en Savoie « je suis très partisan des rassemblements, et quand cela est possible, je pense qu’il faut le faire. » Loupé, pour cette fois…

Un système dépassé ?

L’ensemble des candidats de gauche toujours dans la course Crédit photo LeSoir.be

 

 

Car à Chambéry, comme ailleurs, l’union des gauches, qu’elle soit innée ou issue d’une primaire était pourtant perçue comme une nécessité, quand on voit la multiplication des candidatures de droite et d’extrême-droite, la puissance du président-sortant-pas-encore-candidat qui dispose déjà du double des parrainages nécessaires, sans s’être une seule fois exprimé dans le cadre de la campagne. Des raisons à cela, au-delà de la question de l’ego. « Aujourd’hui, aucun parti de gauche n’a suffisamment d’assise politique pour faire émerger un candidat ou une candidate rassemblant l’ensemble des gauches », estime Damien Ancrenaz, « chaque personnalité tient à son camp. Mais il faut aussi concevoir que le régime actuel (la Ve République) fait du scrutin présidentiel le seul scrutin qui compte. Toutes les autres grandes démocraties tiennent davantage au scrutin législatif, qui est plus nuancé, et permet de créer un gouvernement au sein de ces instances vraiment représentatives. En France, on fonctionne à l’envers. Toutefois, je pense que la culture politique à gauche n’est pas celle de l’homme providentiel, mais plutôt celle du débat d’idées. » « La Ve République, avec cette personnification du pouvoir, est un système qui pervertit tout », le rejoint Florian Penaroyas, porte-parole de la Fédération PCF à Chambéry, « le jeu de ce système, c’est le rapport de force. au premier tour on choisit, au second on élimine, ça a fonctionné comme ça depuis le début. Mais le problème ce n’est pas seulement le système, c’est aussi ceux qui l’utilisent et qui votent tout ce que propose le gouvernement sans que n’existe réellement de débat. Aux présidentielles, on vote pour un projet pas pour la personne qui le porte, le président de la République ce n’est pas Dieu non plus. » A les entendre, se dessine donc l’idée portée notamment par Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel, celle de passer à une VIe République, qui pourrait mettre fin à cette concentration du pouvoir que rejette également Philippe Poutou, l’estimant anti-démocratique, puisque c’est selon lui « au peuple de s’occuper de ses affaires » (voir notre article du 15 février ) « Mélenchon a énormément de monde autour de lui », reprend Arthur Boix-Neveu, « il a un programme très construit, mais c’est le personnage qui ne séduit pas. » Même avis – fataliste – du côté du PCF, « si on devait voter pour lui au second tour, on n’irait pas avec une pince à linge sur le nez », concède Florian Penaroyas, « le PCF n’ira pas mégoter si telle est la configuration. » « Si on se souvient bien, en 2017, Yannick Jadot s’était retiré au profit de Benoît Hamon », abonde Marc Pascal, « la preuve que les écologistes savent se regrouper et se rallier. » En effet, mais ça ne semble pas avoir fonctionné cette fois, « Jadot est déjà issu d’un regroupement de partis », poursuit-il, « on aurait pu regrouper encore plus, mais encore faut-il que les autres veuillent de nous, c’est une sacrée bagarre tout le temps. » Alors que faire ? Un choix par défaut ? On est loin de l’union populaire qu’espère le candidat LFI, quand bien même il puisse compter sur des ténors de son ancien parti, comme la candidate à l’élection de 2007, Ségolène Royal, laquelle suggère même à Anne Hidalgo de se retirer à son profit. « il a le meilleur programme » déclarait-elle le 16 février, « le vote utile, c’est Mélenchon. » Pourtant, la candidate PS, bien que donnée assez loin dans les sondages, peut toutefois se targuer d’avoir rassemblé plus de 1 000 parrainages et pour Damien Ancrenaz, cela est loin d’être anodin : « Les élus locaux représentent l’échelon le plus légitime et ces gens, fraîchement élus, ont accordé dans une très grande majorité leur parrainage à Anne Hidalgo. » Alors même si « la politique ce ne sont pas des mathématiques » comme l’explique Florian Penaroyas, cette situation n’est tout de même pas le meilleur des présages pour l’élection suivante…

Négociations communes en vue des législatives ?

Car juste après la présidentielle vient la deuxième échéance de 2022 : les législatives. Et là, c’est un deuxième match qu’il va falloir jouer, et pas seulement à gauche, pour espérer obtenir un groupe à l’Assemblée nationale. Mais comment convaincre les électeurs, partisans et sympathisants de gauche de se rendre, là aussi, aux urnes vu ce qui précède ? « Les gens sont complètement désabusés », regrette Arthur Boix-Neveu, « cette campagne est très compliquée, comment voulez-vous que les gens fassent confiance à la gauche pour les législatives dans ce contexte ? » On se le demande aussi. D’autant que la gauche pourrait bien profiter des pots cassés semés par le premier mandat du président sortant (dans l’hypothèse assez probable où il serait candidat à sa succession) En effet, « comme le disait Alain Minc, soutien d’Emmanuel Macron, il aura les plus grandes difficultés à obtenir une majorité à l’Assemblée nationale », souligne Damien Ancrenaz, « ce qu’il a réussi une fois, il n’est pas certain de pouvoir le renouveler. » « Les électeurs ont peut-être aussi une vision différente, envie d’une offre de gauche réelle et sincère », renchérit Marc Pascal, « il est difficile de le savoir aujourd’hui. »Dans cette perspective, sans doute, certaines forces de gauche du bassin chambérien ont été invitées par le comité local de la Primaire Populaire, à se rencontrer pour discuter. « L’objectif est de rassembler en vue des législatives, explique Sabrina Haerinck, membre du comité local, à l’initiative de la réunion des partis et mouvements de gauche pour envisager cette élection,  » la Primaire Populaire a voulu faire un rassemblement pour les présidentielles, mais les législatives sont tout aussi importantes. Et c’est pourquoi il est important de retravailler au niveau local, parce que l’intérêt primordial est celui des habitants, et devrait primer sur les intérêts stratégiques des partis. « Trois réunions ont déjà eu lieu depuis janvier, auxquelles ont participé EELV, Ensemble 73, le Mouvement citoyen, 2022 Vraiment en Commun, Géneration.s, le PCF, la Primaire Populaire et LFI. Viennent d’être invités le PS et Cap à gauche, le NPA, ayant décliné les invitations. Pourtant, cela ressemble à un point de départ, encourageant.  » Un travail est mené, parce que localement on peut émettre le souhait de reproduire ce qui a été fait aux départementales «, rassure Damien Ancrenaz, » nous serons tenus par les résultats, mais on se parle, on a davantage envie de travailler ensemble, et rien que cette volonté, c’est positif. Disons que le fait de ne pas s’associer n’est pas vraiment une attitude de « gauche » qui traditionnellement est plus dans une recherche de consensus. Même si de la part de certains partis, il n’y a pas de volonté de rassemblement. «  Jeudi 17 février, se tenait la troisième, pour réfléchir à une ligne commune.  » Il y en aura d’autres «, précise Marc Pascal, » le souhait est bien de proposer des candidatures communes, regroupées, mais pour le moment nous n’en connaissons pas le périmètre. En tout cas, il y aura des regroupements. « a-t-il assuré. Petite éclaircie dans un ciel assez sombre, pour l’heure : au niveau local, on a retenu la leçon, même s’il ne semble pas que la France Insoumise ait pris part à ce travail commun*. Quant à la présidentielle, on peut sûrement se réjouir de ce que  » les électeurs ont la chance d’avoir une offre très variée «, comme le souligne Damien Ancrenaz, » même si cet éparpillement n’amène pas une offre qui permette d’avoir de manière certaine un accès au 2e tour voire d’accéder à la victoire. Toutefois, entre un centre Bayrou élargi, un Jean-Luc Mélenchon très à gauche et une droite assez présente, il y a un espace politique vaste entre la gauche radicale et le centre, pour la social-écologie. « Autre raison d’être optimiste, désormais  » tous les candidats parlent d’écologie, c’est bien la preuve que nous n’avons pas travaillé pour rien, ces 20 dernières années «, estime Marc Pascal, » c’est une vraie évolution même si, ce qui est mis en avant est ce qu’il y a de plus consensuel. De plus, on a vu que sur les derniers scrutins, le vote écolo avait largement dépassé les prévisions des sondages, on a toujours été jugés comme des idéalistes, mais si on regarde, rien qu’en AURA, l’écologie est sur une nette poussée. « Après tout, plus que des sondages d’intention de vote,  » ce sont les électeurs, qui tranchent. « * En dépit de notre sollicitation, les représentants LFI locaux n’ont pas donné suite à notre demande d’interview pour cet article. 

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