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Savoie : avec le « Meetchong », Patrick Jagou révèle comment être un professionnel heureux

Par Laura Campisano • Publié le 28/02/22

Comment être heureux au travail ? C’est une vraie question philosophique, à la lumière de la crise sanitaire qui a servi de révélateur à nombre de bullshit jobs pour bon nombre d’actifs, qu’ils soient salariés, professionnels libéraux, cadres grassement rémunérés. Tous révélaient une soudaine prise de conscience : ils étaient en quête de sens, et c’est uniquement en trouvant le sens, qu’ils pourraient être heureux. En Savoie, dans la paisible vallée du Beaufortain, Patrick Jagou a quant à lui effectué une révolution dans les années 90, et en a sorti un guide, dont la 3e édition a paru aux éditions Les Passionnés de Bouquin, en 2021 en pleine incertitude liée au regain de l’épidémie.  Bien mieux qu’expliquer son expérience, il a trouvé du sens à en partager les bienfaits à tous les « meetchongs professionnels » de France, de Navarre et d’ailleurs. 

« Le Meetchong » n’est décidément pas un livre ordinaire, à mi-chemin entre le récit de vie et le guide pour avoir une vie professionnelle épanouissante sans tomber dans les écueils classiques qui pourraient nous conditionner depuis l’enfance. Tous les thèmes y sont abordés, le sens de nos activités professionnelles, la souffrance au travail, le stress, l’argent, le poids de l’entourage et ses attentes, le regard des autres… « Quel est le sens de la vie ? Faut-il forcément un sens ? » Patrick Jagou, son auteur, ancien ingénieur cadre des Arts et Métiers est en avance sur son temps, puisque cela fait bien plus de 40 ans qu’il a décelé ce qui ne tournait pas rond dans la vie de l’entreprise et dont nos sociétés modernes prennent conscience depuis quelques années. Et comme il ne fait rien à moitié, il ne pouvait se contenter de le vivre, il fallait aussi qu’il le partage.

 

De la France à Taïwan, la découverte du « Meetchong »

 

Qu’est-ce que cette petite bête-là, qui donne son nom à un ouvrage de près de 400 pages, ayant pour objet la trajectoire, la métamorphose d’un cadre ? C’est l’équivalent français du charançon, sympathique coléoptère, que l’on n’a pas forcément envie de croiser sur son chemin. C’est le surnom que les Taïwanais ont donné à Patrick Jagou qui, ayant quitté ses fonctions professionnelles en France, a accepté de suivre son épouse sur son île, et de s’occuper de leur fille, encore en bas âge à l’époque. « Chaque matin, elle partait travailler au bureau, chaque matin, je restais claquemuré dans notre appartement. Chaque soir, elle rentrait tard du boulot, chaque soir, j’allais récupérer notre fille chez sa nourrice en vélo. Elle avait un téléphone portable, moi pas. Pour nos nouveaux amis, les choses étaient limpides : ma femme travaillait, moi pas. Le problème était là. […] Aux yeux des Taïwanais, ne travaillant pas, j’étais un vulgaire meetchong, une personne qui ne vaut pas la corde pour la pendre. » 

Patrick Jagou @Georges-Patrick Gleize

Que les traditions peuvent peser lourd, quand on décide de suivre sa propre trajectoire ! Lui qui se destinait à la philosophie mais avait d’abord vu la déception dans les yeux de sa famille, puis son père disparaître, rongé par le stress, et s’était ravisé en intégrant les Arts et Métiers, se trouvait à présent confronté à une autre forme de jugement. Parce que l’histoire de Patrick Jagou, bien qu’elle lui soit propre, a une portée universelle : qui n’a pas succombé aux ambitions de carrière que ses parents projetaient sur lui ou elle, rangeant ses propres rêves au placard pour aider sa famille, mettant ses désirs de côté pour ne pas décevoir et subissant son propre sort « J’étais le spectateur impuissant de ma vie », écrit Patrick Jagou, « je ne choisissais rien, et, devant ma passivité et mon indécision chronique, d’autres se chargeaient de décider pour moi. Depuis des années, que ce soit à l’école ou au travail, je subissais la volonté des autres. » Devant ce constat, l’ancien ingénieur devenu auteur et chroniqueur radio a pu trouver refuge dans la philosophie, sa chère amie, qui l’a aidée, au fil des lectures, des analyses, des prises de conscience, à cheminer jusqu’à ses « Sentiers d’auteurs ». Plus tard, quand le terme plutôt péjoratif de meetchong lui a été accolé, alors que « partir travailler au bureau » n’est pas forcément un gage de réussite et d’épanouissement, il a décidé de prendre le contrepied et de devenir un vrai meetchong professionnel.

 

Autodérision et sagesse : un mélange purement « jagolien »

 

« C’est le récit d’un cheminement sur le sentier de l’émancipation du travail destiné à celles et ceux qui ont décidé ou qui viennent de s’y engager. » Voilà comment l’auteur résume son ouvrage. Mine d’informations, où se croisent la sagesse bouddhique et la philosophie kantienne, dans un style qui n’appartient qu’à l’auteur, ce livre ne se lit pas comme un roman – que d’ailleurs, Patrick Jagou lui-même a totalement cessés de lire -mais plutôt comme un guide dans lequel on picore à l’envi, des réponses à nos questions, à nos tiraillements et à nos indécisions. La souffrance, il l’a connue et traversée, l’humiliation, il l’a subie, le non-sens de ses passages dans cinq entreprises auxquelles il tentait de s’adapter, mais qui n’étaient pas faites pour lui, il l’a surmonté. Et tout est dans ce livre, qui « a un vrai lectorat potentiel » comme il le souligne à juste titre. L’entrepreneuriat, le métier de l’édition, les tentatives de création pour finalement aboutir à son but, avec abnégation, Patrick Jagou ne se complaît pas, ne se fait pas de cadeaux, et ne tire aucune gloire à son parcours. Au contraire, il fait œuvre d’autodérision, et les traits d’humour qui accompagnent ce cheminement ajoutent cette patte qui lui est propre. Ce livre, c’est davantage comme un cadeau pour ses lecteurs que pour lui-même, qu’il l’a conçu. « En vérité, je conseille dans ce livre de ne pas faire ce que j’ai fait pour y arriver » sourit-il, « c’est un livre que l’on peut voir comme un fourre-tout, mais qui dans sa 3e édition, la plus aboutie (la première est sortie en 1993, NDLR) présente des annexes pratiques, pour vraiment aider les personnes qui se trouvent en post-création d’entreprise et auraient besoin de conseils. Dès sa sortie, des gens du monde de l’édition m’avaient dit avoir beaucoup aimé son foisonnement, et m’avaient justement conseillé de scinder la partie application. Ce que j’ai fait dans cette version. » 

 

« L’important, ce n’est pas le but c’est le chemin »

 

Ce chemin semé d’embûches qui n’a pas réussi à entamer la détermination de celui qui a encore du mal à dire de lui qu’il est « écrivain », Patrick Jagou ne l’aurait peut-être pas vécu de la même manière sans le soutien indéfectible de sa propre « meetchonguette professionelle », son alliée, son épouse, Fabienne. « Mon épouse est une chance », assure-t-il, « elle m’a supporté moralement et financièrement tout au long de ce périple. Quand nous nous sommes rencontrés, elle a été la première à changer de direction professionnelle en quittant ce que certains appelleraient un job de rêve pour s’adonner à sa passion pour l’Asie, alors que ses parents ne l’avaient pas vu de cet œil-là. Elle m’a demandé si j’étais d’accord pour que la famille se dispense de son salaire pour qu’elle puisse reprendre ses études à zéro, et elle est allée décrocher un doctorat, avec la mention maximale ! C’est l’archétype de la » meetchonguette professionnelle «, son travail c’est sa passion, et ça fait 21 ans qu’elle est enseignante-chercheur, qu’elle est payée pour vivre de sa passion. Elle avait promis qu’elle prendrait le relais, quand ce serait mon tour, et elle l’a fait ! Elle me dit souvent que j’ai financé 12 ans et elle 14, je lui dois encore deux ans » plaisante Patrick Jagou. Grâce à cet environnement favorable, il a pu tester, avancer sur son chemin, expérimenter l’entrepreneuriat à la tête de sa propre maison d’édition, Kahunavision, écrire ses trois premiers ouvrages. Moins de stress, même si entreprendre est loin d’être une sinécure, toutefois, il respecte sa promesse de ne pas subir le stress jusqu’à la lie, qu’il s’était faite après le décès de son père. « Je considère que le problème principal du système de santé français sont les maladies psychosomatiques, liées au stress », explique-t-il, « dans ce livre, j’apporte des solutions que j’ai expérimentées. Depuis qu’il est sorti, des personnes tout à fait différentes m’ont fait un retour similaire, ce qu’il contient est universel, et peut toucher tout le monde. C’est ce qui m’intéresse, transmettre. L’art pour l’art, je ne suis pas intéressé. Je ne veux qu’une chose, aider les autres, ceux qui sont dans la merde comme je l’ai été à mon époque. La philosophie bouddhique m’a permis d’aller jusqu’au bout, il était inconcevable que je ne puisse pas boucler le projet. Et puis ce livre, c’est aussi pour ma fille et toute sa génération, c’est un kit de survie si un jour les choses tournaient mal. » Lui, qui aura mis tant de temps à admettre ce pourquoi il était fait, aux antipodes de la culture de sa propre famille, où le seul ouvrage existant était le dictionnaire, réussit avec ce livre, le tour de force d’être reconnu comme écrivain, pour aider, témoigner et transmettre. Mais pas n’importe lequel : un meetchong-écrivain, au sens noble du terme.

 

« Le Meetchong, ou la métamorphose d’un cadre » aux éditions les Passionnés de bouquins. 19 euros.

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