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Aix-les-Bains : le nouvel essor des espaces partagés
Par Laura Campisano • Publié le 15/03/22
Ils semblent être un effet de mode, une nouveauté de plus dans une société toujours en mouvement. Pourtant, des espaces partagés existent depuis plusieurs siècles déjà. En effet, outre l’église, premier « tiers lieu » à la croisée des chemins entre la maison et le travail, sous le règne de Louis XV était lancée une première ébauche de bibliothèque publique à l’initiative de l’homme de lettres et bibliothécaire du roi, Claude Sallier. Depuis cette époque, et sous l’influence anglo-saxonne, bibliothèques et autres lieux tiers ont vu le jour. C’est ainsi que depuis quelques années fleurissent des initiatives telles que les espaces de coworking, la mutualisation des savoir-faire, des matériauthèques, des jardins, voire même des menuiseries partagées avec une ambition : mettre en commun avec l’humain au centre des activités.
C’est à l’initiative de la Contrée, association Aixoise à l’origine de la première « ruelle verte » et lauréate du Budget citoyen du Département en 2021, qu’un rendez-vous inspirant sur le thème des espaces partagés s’est tenu à la bibliothèque municipale Lamartine à Aix-les-Bains, le 10 mars 2022. Installés sur du mobilier en vente, mis à disposition par les chantiers valoristes, quatre exemples d’espaces partagés ont été mis en avant, pour démontrer non seulement la pertinence mais aussi l’engouement du public pour ces initiatives et structures en développement.
Mettre en commun, transmettre et réunir
Bricoler, jardiner et profiter des fruits de la terre, vivre, vieillir, travailler ensemble et créer du réseau, autant d’idées qui ont le vent en poupe de nos jours. Pourtant, l’idée de mettre en commun, de partager des espaces ne date pas d’hier, qu’il s’agisse de la colocation, des achats en commun en coopérative, des clubs ou encore des jardins communaux partagés… « On parle de tiers-lieux comme si on les découvrait », sourit Gaëlle Baron, directrice de la bibliothèque municipale d’Aix-les-Bains, « mais le modèle existe depuis longtemps. Ces troisièmes lieux, comme la bibliothèque, ont évolué depuis ces dernières années. Au départ, on pensait aux collections, aux livres, aux relations avec les usagers, sans avoir jamais réfléchi au lieu en soi. On ne l’apprenait pas dans ces professions. Pourtant, si l’on veut continuer à faire venir le public, nous avons tout intérêt à nous renouveler, en tenant compte des nouveaux courants, de l’influence d’Europe du Nord ou Anglo-Saxonne. Il nous faut réfléchir à ce qui fait venir les gens dans les bibliothèques. Ce sont des lieux de rencontre, et c’est pourquoi il a fallu redéfinir l’espace comme la profession. » Aujourd’hui, les bibliothèques à l’instar de celle d’Aix-les-Bains, élargissent leurs activités par le biais de la médiation, de l’animation et de l’action culturelle, afin de faire entrer les usagers dans leur programmation. « C’est nouveau, ce n’est pas une chose que l’on faisait il y a quelques années, reprend-elle, pourtant ce sont des lieux qui s’y prêtent, ils sont d’ailleurs de plus en plus décloisonnés, on y trouve des salles de conférence, des coins pour prendre le café. On voit bien que la bibliothèque est tout public, c’est un lieu communal où tout le monde peut avoir sa place. » Il en va de même pour le dispositif « Chers voisins », dispositif d’habitat intergénérationnel et solidaire, porté par des bailleurs sociaux, installés dans des maisons à projet, à Aix-les-Bains au Jacotot et au Matisse, dans le quartier de la Liberté. « A présent, les maisons à projet sont ancrés pour les habitants puisqu’ils se sont emparés de cette possibilité de se rencontrer autour d’un café », s’enthousiasme Audrey Tessier, coordinatrice de la gestion-animation AURA et chargée du projet « Chers voisins ». « l’idée est de faire en sorte que les habitants deviennent des consomm’acteurs : tout le monde a des compétences, ce qui permet d’avoir un panel d’activités bénévoles, comme la couture, les arts créatifs, par exemple. Ce type de lieu accompagne le changement sociétal, le pouvoir d’agir et valorise les compétences. » Avec ces maisons au pied des immeubles, les générations s’entrecroisent, la communication est renforcée et désamorce plus facilement les conflits de voisinage. « Quand les habitants ont une idée nouvelle, on ne la met pas en place à sa place : on lui demande comment il compte s’y prendre. On refuse d’animer à leur place, » explique Audrey Tessier. Bien sûr, comme chaque projet collectif, il y a des contraintes et en l’occurrence, il convient d’établir un cadre pour que les habitants ne soient pas ensevelis sous des projets trop conséquents. Toutefois, voilà un espace partagé qui permet de réaliser de belles aventures, comme les vacances senior, financées par des ventes de gâteaux, ou l’emprunt ponctuel de petit matériel avant de débourser, ou encore, le Repair’ café, qui permet de donner un nouvel éclat à des objets du quotidien. « Sur le bassin Aixois, cela fonctionne super bien », reprend Audrey Tessier, « grâce aux outils mutualisés et aux différents acteurs institutionnels de terrain, tels que le bailleur, la CPAM, la CAF, Grand Lac ainsi que la ville. L’idée est vraiment de réunir, autour d’un café, d’un apéro, le cadre de fonctionnement est défini ensemble et cela permet de créer une culture commune avec les gens qui fréquentent le lieu. C’est un cadre accessible à tous, là aussi, tout le monde a sa place et on s’y sent super bien. »
Créer un réseau et bien s’entourer
Si réunir est une des vocations communes de ces espaces partagés et que l’humain est au centre des préoccupations, il est certain que le terme « réseau » y revêt ses lettres de noblesse. Rencontrer, s’entourer, apprendre les uns des autres, transmettre ce que l’on sait faire et ce que l’on connaît, voilà également l’une des vertus des espaces partagés. C’est le cas du O79, espace de coworking place de la gare à Chambéry, grand frère du Mug, qui avait ouvert ses portes jusqu’en 2013 dans la cité des Ducs. D’une association avec deux salariés, la structure a évolué de fil en aiguille, prenant de plus en plus sa place dans la cité et devenant incontournable pour les « digital nomades ». « Il y a un lien intergénérationnel », explique Sophie Spies, l’un des visages du O79, « il y a une diversité de personnalités qui permet d’avoir des idées différentes, de les mettre en commun. Qu’il s’agisse des jeunes, des chercheurs d’emploi, nous les mettons en relation avec des gens qui sont susceptibles de leur apporter des solutions. C’est très enrichissant comme espace. Tout comme » Chers voisins », ce n’est pas nous qui faisons ça, mais des personnes motivées au sein du O79, qui ont cette volonté d’avancer, de trouver du sens dans leurs activités. « C’est également la quête du sens qui a poussé Axel Grisart a fonder son établi il y a trois ans, sur la commune de Sonnaz, à mi-chemin entre Chambéry et Aix-les-Bains. Une menuiserie partagée, que cet ingénieur bois a conçu sur-mesure, pour mutualiser les ressources en bois, les savoir-faire aussi. A l’Etabli, particuliers, professionnels, débutants et confirmés peuvent venir emprunter du matériel, créer des objets en bois et bénéficier des connaissances techniques d’Axel Grisart, qui après s’être formé dans les Bauges a intégré les Compagnons du Tour de France, à Seynod, avec lesquels il a pu encadrer des chantiers. « On a tous besoin de bricoler un truc », explique-t-il, « alors pourquoi ne pas emprunter ? » Accompagné par Citélab et France Active, Axel a inscrit son initiative dans les Ateliers Bois au niveau national, afin de mutualiser et de permettre la création des futurs ateliers partagés. « Les lieux partagés, ce n’est pas nouveau », reprend-il, « dans le milieu agricole on se prête le matos depuis toujours, j’ai juste mis en place un lieu pour le faire. Ce qui freine souvent, c’est la partie administrative parce qu’elle fait peur, mais l’idée d’un collectif national permet d’avoir plus de poids face aux fournisseurs pour obtenir des machines, débloquer des aides. On est davantage crédibles car on est ensemble. Dans l’ensemble, l’établi a été bien accueilli par les artisans. Tout le monde peut venir, qu’il s’agisse de jeunes, de personnes en difficulté, d’associations, de familles… je reçois tout type de public, des personnes très différentes. » Seul aux commandes, Axel propose un droit d’entrée au local sous la forme d’une adhésion, avec une carte au tarif dégressif. « Ce que je propose, c’est un accompagnement, une mise à disposition de bons outils permettant d’accomplir un travail de qualité », sourit Axel qui s’occupe également du SAV pour les professionnels, projetant également de devenir apporteur d’affaires pour les artisans. « notamment pour les jeunes artisans qui se lancent, leur permettre d’expérimenter leur activité sur l’atelier partagé, cela apporte la crédibilité à leur projet. » Tout est donc possiblement partageable, avec en fil rouge, un accompagnement, des outils, des services, et beaucoup de solidarité, humaine et environnementale. Tout l’enjeu étant de permettre à ces espaces de vie d’être visibles de tous et surtout d’être appropriés par tous, afin que leur fonction soit optimale, qu’ils fassent sens. « Tout le monde gagne à être solidaire, ça ne fait aucun doute » souligne Audrey Tessier, « c’est même salvateur pour notre société de s’apporter mutuellement » abonde Sophie Spies, « c’est un état d’esprit rassembleur important, pour que les gens puissent évoluer. » Au travers de ces exemples, l’idée n’est pas de consommer mais d’être acteur de ces lieux, tout comme le propose depuis un an la Contrée, avec le projet de la ruelle verte, « il ne suffit pas de concevoir des espaces, il faut également les animer », concluait Laurie Duran.
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1 commentaire
Delbart
29/01/2023 à 18:56
Bravo pour ré-ouvrir un oeil sur ce qui a disparu dans nos centres.