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Chambéry : le premier Festival du film judiciaire crée une rencontre droit/ados inédite

Par Laura Campisano • Publié le 24/03/22

C’est un festival qui voit le jour grâce à la ténacité et la persévérance de ses organisateurs. Après un premier contact en 2020, les événements que l’on connaît l’ayant contraint, la première édition du film judiciaire de Savoie voit le jour les 4 et 5 avril prochains, sous l’égide du tribunal judiciaire de Chambéry, du Conseil départemental de l’accès au droit, de la direction départementale de l’éducation nationale et de Malraux, scène nationale. L’objectif de ce festival est de créer une réaction chez de jeunes collégiens et lycéens auxquels deux films seront projetés, pour libérer la parole, autour de sujets qui les concernent, au quotidien.

Le consentement, la force de la parole, la règle, le cadre, l’image que l’on renvoie, l’influence des écrans aussi, autant de sujets auxquels les jeunes sont confrontés, sans doute depuis toujours mais encore plus depuis l’apparition des réseaux sociaux et le déclic, courant, de photographier ou de filmer, sans même y penser. Au travers de deux films, l’un scénarisé, l’autre documentaire, des collégiens de Jules-Ferry et Bissy et lycéens de la Cardinière et de Monge seront confrontés à des situations peut-être familières, et desquelles ils pourront discuter avec des professionnels du droit après les projections.

Amener le droit aux jeunes : une mission que la justice prend à cœur

Plusieurs fois « renvoyée », à l’instar de bon nombre d’affaires durant les confinements successifs, cette première édition aura finalement eu raison des complications sanitaires. L’initiative est partie du Conseil départemental de l’accès au droit (CDAD) que Myriam Bendaoud, présidente du Tribunal judiciaire de Chambéry, préside également. Avec Déborah Girard-Pichoud, sa secrétaire générale, ainsi que la direction départementale de l’Education nationale, Myriam Bendaoud a mis en place cette action commune visant à faire entrer le droit dans le quotidien des adolescents et jeunes adultes, par le biais de leurs établissements scolaires et du 7e art, vecteur d’émotions et de messages forts. « Il est important dans les missions du CDAD de travailler avec l’Education Nationale », a expliqué la présidente du Tribunal judiciaire et du CDAD de la Savoie, « et la culture est un vecteur essentiel à la promotion du droit et de l’accès au droit. Il faut garder à l’esprit que le jeune public représente les citoyens de demain, et l’une des missions du CDAD est de rendre l’institution judiciaire visible dans sa complexité. »  C’est ainsi que CinéMalraux a rejoint le projet, par l’intermédiaire de Cynthia Labat, chargée de projet cinéma à Malraux scène nationale, dans le choix des films qui seront présentés aux jeunes, selon qu’ils soient collégiens ou lycéens au cinéma de Malraux. Le 4 avril sera ainsi projeté le film de Maimouna Doucouré, « Mignonnes », sorti en 2020 en salles en France et sur Netflix aux Etats-Unis après avoir été primé au festival Sundance, aux élèves des collèges chambériens de Bissy et Jules-Ferry, au cours de deux séances, l’une le matin à 9h15, l’autre à 14 heures. Le lendemain, le film projeté sera un documentaire de Delphine Dhilly sorti en 2018, que verront les élèves des lycées Monge et de la Cardinière également au cours de deux séances distinctes. A l’issue des projections, des professionnels du droit – magistrats, avocats, éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) – seront présents pour discuter avec les élèves des problématiques relevées par les films. « Les professionnels du droit se sont rendu disponibles pour participer aux débats avec les élèves autour de ces thématiques dès que je leur en ai parlé. Un juge des enfants sera notamment présent à l’issue de chacune des projections », a assuré Myriam Bendaoud, « ils pourront répondre aux interrogations des jeunes, soulevées par ce qu’ils auront vu. Le travail qui est fait avec ce festival nous tient à cœur, car il permet à la justice d’être au plus près des jeunes en Savoie, plus lisible, de rendre le droit plus accessible, et au jeune public de s’interroger. C’est un grand moment, le début d’un partenariat qui se poursuivra dans les années à venir. » « C’est aussi une démarche de proximité », a renchéri Déborah Girard-Pichoud, « la justice ne reste pas dans son Palais, elle sort et va à la rencontre des jeunes pour échanger. Pour cela, ce partenariat est en effet tout trouvé. » 

Pour l’Education nationale, la culture comme vecteur de réflexion

Un partenariat qui a reçu un écho favorable auprès de François Coux, nouveau directeur académique des services de l’Education nationale à Chambéry, représenté par Marie-Françoise Olivier, conseillère technique arts et culture à l’EN, chargée de mission pour le département de la Savoie et Sylvie Blanc, conseillère technique du pôle social, lors de la conférence de presse de présentation du festival à Malraux, mardi 22 mars 2022. « C’est un projet-phare pour nous dont le directeur académique est fier et qu’il portera », expliquait Marie-Françoise Olivier. « Au-delà de la cerise sur le gâteau des rencontres avec des artistes, des sorties culturelles proposées aux élèves, il s’agit ici de permettre aux jeunes de s’ouvrir à la citoyenneté, de permettre des discussions entre les élèves, les jeunes, qu’ils soient collégiens, lycéens issus d’établissements généraux ou professionnels, et des professionnels du droit. Cela leur permet d’être interpellés, et de les toucher profondément, sur un temps long. C’est un leurre pédagogique positif. »Pour cette première édition, les établissements scolaires retenus sont chambériens, au vu des circonstances dans lesquelles finalement le projet a pu voir le jour, après maints reports en interne. Mais il en sera autrement l’an prochain, pour la 2e édition, à laquelle des élèves albertvillois pourront également participer, ressort du Tribunal judiciaire d’Albertville. Bien plus, ce festival entrera dans le dispositif « Pass Culture » permettant de financer les spectacles pour les élèves, « cela donnera un sens à ce dispositif en Savoie, car il fera partie des offres du pass culture en Savoie » a indiqué Marie-Françoise Olivier. L’objectif pédagogique de ce festival intervient aussi au niveau social, puisque les thématiques du consentement, du rapport à l’autre, du corps, sont très prégnantes en milieu scolaire, si l’on en croit les retours qui sont faits à Sylvie Blanc, sur ces sujets. « Qu’il s’agisse des assistantes sociales, des infirmières de vie scolaire et du personnel médico-social présents dans les établissements, tous contribuent aux actions de prévention, en matière d’éducation sexuelle, du rapport au corps, des rapports avec les autres, du consentement », a-t-elle rappelé, « c’est très prégnant pour les adolescents. Au-delà de la prévention, il y a également un accompagnement sur les rapports des jeunes avec la justice, les démarches de signalement, de protection. L’Education nationale est très sensible aux partenariats et celui avec l’Espace Malraux est une chance. » 

« La force du film est de créer l’émotion »

Ce festival se pose comme une grande première, même si à bien y réfléchir, l’idée semble naturelle. En effet, « la force du film est de créer l’émotion » comme le souligne Sylvie Blanc, « la culture ouvre une dimension différente, elle ouvre la réflexion, hors du cadre institutionnel, » renchérissait Marie-Françoise Olivier. Les élèves auront également travaillé en amont avec leurs professeurs, et ces séances de cinéma, suivies des discussions avec les professionnels du droit, « s’intégreront dans le continuum »  de leur programme. Côté culture justement, « il est tout naturel pour nous d’accompagner ce projet » exprimait Cynthia Labat, également coordinatrice de l’opération « Collège au cinéma » grâce à laquelle il est possible d’aborder certains projets, « il s’agit là d’autres types de narration, on ne montre pas simplement des films, on porte certaines thématiques et ces sujets nous touchaient tout particulièrement. » Qu’il s’agisse de « Mignonnes » ou de « Sexe sans consentement », on comprend que les thèmes sont forts et très parlants pour des jeunes en pleine découverte d’eux-mêmes. « Les sujets évoqués dans ces films ne laisseront pas les jeunes indifférents », reprend Cynthia Labat, « que ce soit au collège ou au lycée, la force de la parole, le consentement, la conscience de l’image que l’on renvoie, ce sont des films super forts, autour de l’émancipation des femmes occidentales, la critique des autres cultures et façons de vivre : en quoi finalement la femme est-elle plus libre d’un côté comme de l’autre ? Cela pose la question de l’éducation à la sexualité, on leur donne là à voir quelque chose de vrai, là où la représentation des rapports humains dans les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux est souvent biaisée. » Il y a donc également un travail sur l’image, une déconstruction des stéréotypes véhiculés encore aujourd’hui de manière presque naturelle, des rapports dominant/dominé. Une manière de comprendre, avec les professionnels du droit, les limites à ne pas franchir, les comportements qui semblent anodins mais qui ne sont pas exempts de conséquences. Bien sûr, il est possible que ces visionnages créent aussi des électrochocs chez certains élèves, et c’est pourquoi le personnel médico-social sera présent pour pouvoir les entendre, au retour des projections-débats. « Ce sont des personnes identifiées par les élèves toute l’année, tout le temps », reprend Sylvie Blanc, « elles pourront aider les élèves leur expliquer comment porter plainte, de quelle manière cela se passe, et feront le lien avec les élèves. Le dépôt de plainte, ça ne va pas de soi. »  Avec ce projet, l’idée est d’aller plus loin qu’une sortie pédagogique, mais certainement un voyage, celui de l’éveil des consciences, pour des adolescents en construction identitaire, qui se posent des questions, qui travaillent sur leur estime de soi, leur rapport au monde. « L’école est un endroit où l’on va toucher tout le monde », ajoutait Marie-Pierre Olivier, « en raison du fait qu’elle soit obligatoire, qu’elle permette de tisser des fils avec d’autres ados et adultes. C’est un outil que l’on utilise beaucoup pour faire bouger les familles. » « On concourt à la construction des citoyens de demain, dans toute la complexité de cette grande mission qui nous incombe » souriait Myriam Bendaoud. Une vraie grande mission, multidisciplinaire et pédagogique, qui manquait au Département.

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