Elle était timide, la pétition lancée par quelques mécontents de ce qu’est devenu le mouvement citoyen. Ils avaient été portés par la vague ou même inspirateurs de cette vague, ils en sont revenus aujourd’hui. Avec 27 signataires, certes elle n’a jamais réellement décollé mais son existence pose tout de même question : le mouvement citoyen s’est-il renié en accédant aux rênes de la ville ?
« Pour moi, il est possible d’être élu sans pour autant renier ses valeurs ». Cette introduction d’Anne-Sandrine, militante de la première heure au mouvement citoyen, dit tout de ce qui la pousse désormais à prendre ses distances – sans toutefois le quitter – avec le collectif dont elle fut actrice dès son apparition sur la scène politique.
Une fusion « mal vécue »
Tout est parti de ce soir de mars 2020 : le mouvement citoyen se place troisième dans la course à la mairie (22,46%), à un cheveu de Demain Chambéry mené par Thierry Repentin (22,63%) et à des kilomètres du grand vainqueur du soir, Michel Dantin (37,38%).
Pour s’épargner le spectre de la déroute totale, germe assez rapidement l’hypothèse d’une fusion de listes, hypothèse loin de mettre tout le monde d’accord. « Je n’y étais pas favorable » , commente Anne-Sandrine, « lorsqu’on a affaire à des gens qui font de la politique un métier, nos objectifs ne peuvent pas être les mêmes ». « L’alliance avec Thierry Repentin a été compliquée à vivre » , renchérit Aurèle, « c’est de là que date la rupture. Il y avait eu des dissensions avec Cap à Gauche, avant le premier tour, des guerres d’ego sont apparues*. Et derrière, il n’a fallu que 48h pour se mettre d’accord avec Demain Chambéry. Or, on ne voulait pas renier nos valeurs ». Le Covid et le premier confinement retarderont les tractations autour de la mise en œuvre d’un programme et d’une équipe communs, elles aboutiront de toute façon sans être indolores : des personnes bien placées sur la première liste finiront exclues de la liste commune. « Ça s’est fait en secret avec un groupe restreint, sans vote préalable, on a tous été mis devant le fait accompli ». Ces négociations avaient été menées par les élus actuels, ceux qui président aux destinées de la ville. « C’était eux. Autour, seulement quelques voix dissidentes et beaucoup d’autres qui se sont tues. Moi-même, je n’étais pas convaincu car il s’agissait du meilleur moyen pour nous faire bouffer » , se crispe Aurèle. « Ça ne collait pas avec notre ADN. Eux ont joué leur carte ».
Des événements contraires et contrariants
« J’étais entrée dans ce mouvement parce que j’en trouvais les idées intéressantes : faire participer les citoyens à toutes les décisions, sur comment on envisageait la ville de demain » , se souvient Anne-Sandrine. « Je suis plutôt apolitique, on faisait les choses autrement, comme ces faux conseils municipaux** organisés devant la mairie ». Les conceptions nouvelles portées par le mouvement faisaient leur chemin sauf que « lorsqu’on est dans le rush d’une campagne, on n’a plus assez de recul. Nous étions lancés dans une course de fond pour mettre en place un système horizontal » qui se caractérise par le fait de mettre élus et citoyens sur une même ligne, souligne Aurèle. Salomé est étudiante en Alsace. Elle n’était âgée que de 18 ans lorsqu’elle a pris part au mouvement, se manifestant notamment lors des multiples happenings réalisés sur le chantier du parking Ravet. Deux ans plus tard, elle se dit « déçue de ne pas être parvenue à construire quelque chose. Il n’y a plus de communication entre eux et nous ». Plusieurs événements ont eu raison de sa motivation. Ravet, évidemment, une annonce qu’elle a jugé « brutale » , les sénatoriales de septembre 2020 et la mise à l’écart de quelques-uns au sein du mouvement. « On a fini par perdre le contrôle ». Pour Salomé, l’attelage né en mars 2020 ne pouvait, pensait-elle, générer que du bon. « J’avais 18 ans, je n’y connaissais rien, je me disais que ça allait marcher. Sans doute aurait-il fallu qu’on se retire de la course mais je ne me voyais pas laisser l’équipe de Michel Dantin gagner ». Aurèle aussi s’était interrogé, fallait-il se désengager de la course au second tour en mars 2020 ? « Non, je pense que nous avions notre place dans l’opposition. Là, on n’a fait qu’offrir le fauteuil de maire à Thierry Repentin ». Exister dans l’opposition leur aurait permis de faire entendre leurs idées dites progressistes, estime-t-il.Si les événements précités ont pu être à l’origine de frictions entre élus et membres du mouvement, un autre avait retenu notre attention, en novembre 2020, le débat en visio autour du stade municipal, initiative purement citoyenne, comme si les militants avaient tenu à se substituer aux décideurs. Avec pour conclusion la signature des différents marchés publics actés en dépit des 14 voix opposées, majoritairement « citoyennes » le 16 décembre, suite à un vote à bulletin secret.
« Nous faisons le constat d’un manque cruel de communication »
Au terme de 14 mois de gestion, une réunion avait été organisée le 16 octobre 2021, sorte de point-étape de l’action menée en mairie et de se confronter au regard des membres du mouvement. Un moment jugé constructif, à l’époque, puisque malgré les critiques formulées çà et là, le mouvement continuait à vivre, comme le signalait une militante (lire notre article du 16 octobre 2021). Mais ce fut un non-membre du mouvement, Jimmy Bâabâa, adjoint au développement durable, qui résuma le mieux la situation, entre attente légitime et bienveillance à l’égard de ceux qui étaient aux manettes : « Le sens de la communication est d’asseoir l’adhésion et le soutien des usagers du territoire. Il y a bien sûr un enjeu d’exemplarité de la ville, qui doit montrer qu’elle agit. On ne peut pas communiquer tous les jours, les enjeux de transition écologiques prennent du temps. Mais il y a une certaine forme de bienveillance de la part des militants, ils comprennent que la ville ne peut pas tout faire mais que la ville peut quand même agir. Sur certains sujets, les citoyens peuvent avoir l’impression que l’on n’avance pas assez, comme sur la réduction des déchets, ou sur la pollution lumineuse, par exemple ». Anne-Sandrine modère toutefois l’emballement qui avait suivi, « nous n’étions, hors élus, qu’une vingtaine sur les 70 qui composaient le mouvement à l’origine »
. « Pour nous, ce n’était qu’une réunion d’information, rien de plus » , abonde Salomé, « ce n’est pas ce dont nous avons besoin. On nous disait même » on ne peut pas tout vous dire «. Comment doit-on le prendre ? ». La pétition, fermée depuis et bloquée à 27 signatures , n’en dit pas moins, en définitive : « Depuis 2 ans, nous faisons le constat qu’il y a un manque cruel de communication. Nous avons très peu d’informations de la part des élus citoyens. De leurs actions, de leurs projets. Qu’il y a des cumuls de mandats qui n’étaient vraiment pas prévus. Une adjointe ne devait pas être vice-présidente, et une vice-présidente ne devait pas être présidente d’une autre structure. Ceci afin d’avoir des personnes disponibles pour leurs mandats. Qu’il y a un manque de transparence. Des choix sont faits et pris par les élus et nous n’avons aucun retour, aucune justification sur cela auprès de la population. Que l’observatoire de la démocratie promis n’est toujours pas mis en place. Nous n’avons aucune garantie que la démocratie au sein de l’équipe municipale soit respectée ni de la bonne tenue des procédés démocratiques lors des prises de décisions. Que nous n’avons eu aucune explication sur les dissensions internes et une mise à l’écart par les élus citoyens alors que la présence de citoyens tirés au sort venant des quartiers populaires était un marqueur important de notre volonté de mixité sociale dans cette équipe. Qu’il y a beaucoup de verticalité dans le leadership où nous voulions de l’horizontalité. Où sont passés les autres élus citoyens ? » Beaucoup de questions en suspens, en somme. « On est plus dans de la docilité, ce mouvement est devenu l’extension de la mairie, c’est pourquoi j’ai pris du recul » , confie Aurèle. « C’est de l’investissement pour zéro retombée. Ce qui m’intéressait, c’était le débat d’idées, il fallait battre le programme en brèche. Est-il seulement aujourd’hui toujours le même ? Ils ont trahi l’essence du mouvement » , conclut-il, amer. Même la réunion-débat autour des finances publiques, le 1er mars, où élus et militants se côtoyèrent pour débattre de l’augmentation de la fiscalité, n’aura pas été de nature à donner l’illusion d’une union sacrée.
Aurélie Le Meur : « On n’a pas été élu sur le programme du 1er tour… »
Pourtant, les élus citoyens se disent toujours là ! Et ils revendiquent encore et toujours cette autre façon de faire politique. Il n’y a pas eu de cassure, promet Aurélie Le Meur, à une semaine d’une rencontre qui doit se tenir entre les mutins et les élus du mouvement. « Il n’y a pas eu de demande de dialogue en amont, seul l’outil pétition a été utilisé, ce n’est pas le meilleur » , regrette la première adjointe, qui ne se voile pas la face, « nous avons l’humilité de dire que tout n’a pas été parfait ». Reprenant un à un les arguments des déçus de la première heure, elle s’étonne toutefois des répercussions que la fusion de l’entre-deux-tours a eu sur ces derniers, « ça ne figurait pas dans la pétition. Je peux comprendre plein de choses. Notre projet de 1er tour avait été validé par 239 votants. Il y avait des positions variées, bien sûr, qui traduisent la diversité qui nous caractérise. Et le projet de fusion a été soumis en assemblée citoyenne, validé là par près de 170 votants. De nombreuses rencontres avaient eu lieu pour formaliser ce projet, nous avions 90% de mesures communes avec l’autre liste ». Tout, selon elle, se justifiait de l’approbation du plus grand nombre, « par un vote au jugement majoritaire ». « Tout a été dit de façon pragmatique, cette union a toutefois pu s’éloigner des éléments de départ » , reconnaît-elle, « notre volonté était bien de mettre en œuvre ce programme, que l’on avait élaboré sans maîtriser certains éléments comme le financier et sans savoir où on allait être au 2e tour. Eux sont probablement restés à avant le 1er tour » , lorsque tout était à la fois hypothétique et théorique. Aurélie Le Meur martèle, « on n’a pas été élu sur le programme du 1er tour mais sur un projet commun ».Si Ravet est resté un écueil pour les pétitionnaires, il a pourtant, pour les élus citoyens, défavorables à sa construction, fallu concéder du terrain aux « pros ». Les Chambériens avaient été consultés, il en ressortait que l’option la moins coûteuse prévalait. « On a cherché la moins mauvaise solution, du coup » , quitte à déplaire à la base militante. « On n’a pas bougé sur nos valeurs, on a seulement appris qu’une fois élus, les choses prennent du temps à se mettre en route, qu’il faut du temps pour dégager des marges de manœuvre ». Il reste, enfin, ce qui ne se voit pas à l’extérieur, « cette nouvelle manière de faire entre élus et services » , à mettre en parallèle avec les réunions élus-militants comme celle du 16 octobre ou encore celle, constructive, du 1er mars. En définitive, la première adjointe se dit « soucieuse » de bien faire, « on constate, la pétition ne reflète pas là où nous en sommes aujourd’hui. Nous restons ouverts » et le 8 avril, date de la rencontre entre tous, permettra peut-être – enfin ? – d’apaiser les choses.
* Lire notre article du 28 février 2020.
** Il s’agissait de plusieurs vrai-faux conseils municipaux organisés, entre février et mars 2020, devant la mairie, manière détournée de vendre le projet des citoyens et de dénoncer certaines mauvais habitudes prises par les élus du moment (dont celui du 8 mars 2020).
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