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Municipales 2020 : le deuxième tour annulé par le Conseil d’Etat à Pugny-Chatenod
Par Laura Campisano • Publié le 15/04/22
Le 28 juin 2020, date du second tour des élections municipales, est une date qui compte pour la commune de Pugny-Chatenod, car elle est au centre d’une discorde électorale. Convaincue de son fait, alors que sa liste devait perdre de quelques voix face à son adversaire, Valérie Thuillier, qui conduisait la liste Pugny’cipales annonçait dans nos colonnes saisir le tribunal administratif de Grenoble. Deux ans et un appel plus tard, le conseil d’Etat a rendu sa décision le 14 avril : le deuxième tour de l’élection est annulé, en raison d’un élément assez grave pour entacher la sincérité de ce scrutin : les méfaits d’un corbeau laissant dans une soixantaine de boîtes aux lettres du village, des allégations assez graves à l’encontre d’un membre de sa liste.*
C’est un scrutin qui ne risque pas de passer inaperçu en Savoie, d’ordinaire si bien ordonnée : invalidé deux ans plus tard par le Conseil d’Etat, le deuxième tour des élections municipales devra donc être rejoué, vraisemblablement en juin prochain, alors que dans ce petit village les esprits s’échauffent. D’un côté, on argue d’enveloppes non remises en Préfecture, d’une centaine d’enveloppes présentes dans une urne à 10h du matin, et le point d’orgue, la soixantaine de lettres anonymes reçues par des habitants de Pugny, à 4 jours du second tour du scrutin. De l’autre, on conteste formellement ces arguments, relevant que seul « le corbeau » a justifié l’annulation du scrutin arguant que « seul le premier tour a fait l’objet d’un envoi tardif en Préfecture du seul fait qu’il y avait 3 listes, rendant le décompte plus long. Pour ce qui concerne le second tour, nous avons même été plus rapides que les autres fois car deux tables de dépouillement avaient été mises en place. Quant aux 100 enveloppes dans l’urne, c’est ce que nous avons également constaté le 10 avril 2022, à la même heure. » Quoiqu’il en soit, le Conseil d’Etat a bel et bien annulé ce second tour deux ans après qu’il ait permis à l’équipe de Bruno Crouzevialle de se hisser à la tête du village. Un village qui retient son souffle.
Une décision qui fait du bruit, suivant la jurisprudence du Conseil d’Etat
Le tribunal administratif de Grenoble avait invalidé uniquement l’élection du dernier conseiller municipal, dans sa décision du 30 octobre 2020, rejetant le surplus des demandes de Valérie Thuillier. A l’inverse, statuant en appel, le Conseil d’Etat a retenu dans la décision que nous avons consultée le jour de sa publication, que les opérations de vote avaient été entachées d’irrégularités, dans une « commune de moins de 1 000 habitants, les quinze sièges à pourvoir ont été attribués à des candidats figurant sur la liste » Au cœur de vos projets «, conduite par M. Bruno Crouzevialle, qui ont obtenu, pour la première élue, Mme Provent-Chauzu, 278 voix et pour le dernier élu, M. Morand, 224 voix, tandis que le premier candidat non élu, M. Bette, figurant sur la liste Pugny’cipales 2020, conduite par Mme Thuillier, a obtenu 217 voix » alors que le nombre total de votants était de 483 suffrages exprimés, au total. De plus, le Conseil d’Etat, se prononçant sur la lettre anonyme, a estimé que « eu égard à l’ampleur de la diffusion de ce tract, au faible écart de voix entre les différents candidats et au nombre limité de suffrages exprimés, cette manœuvre a été de nature à vicier les résultats du scrutin. » Ainsi, la juridiction a décidé l’annulation des opérations municipales en vue de la désignation des conseillers municipaux du second tour, soit du 28 juin 2020 et réformé le jugement du tribunal administratif de Grenoble « en ce qu’il a de contraire avec la présente décision ». Bien que la décision soit dans la veine de la jurisprudence constante du Conseil d’Etat, comme l’a explicitement indiqué un juriste administratif à notre rédaction, pour le cabinet Munier-Apaire, conseil de Valérie Thuillier, cette décision est suffisamment rare pour être soulignée, en ce qu’elle annule, deux ans plus tard, une élection municipale, et le contexte, très particulier, dans lequel ces opérations électorales se sont déroulées. Pour autant, une nouvelle bataille se prépare, dans les urnes certes mais également dans la communication.
« Je ne veux accuser personne, la justice a été rendue et il faut maintenant la respecter »
Quand tombe la décision, ce n’est pas l’euphorie qui prévaut du côté de Pugny’cipales, restée très discrète durant toute la durée de la procédure, soit près de deux ans. Une simple déclaration sur les réseaux sociaux pour annoncer le résultat, sans effusion. Car pour Valérie Thuillier, c’est surtout un résultat qui vient « remettre le droit au centre du village. Le Conseil d’Etat a fait droit à nos demandes, en prenant en considération l’ensemble des points d’irrégularités, comme je l’ai constaté à l’audience à laquelle j’ai assisté », expose-t-elle, « ce n’est pas seulement la soixantaine de lettres anonymes qui ont été reçues par les habitants, injuriant et diffamant un de mes colistiers, mais bien toutes les preuves concrètes que nous avons apportées au soutien de notre recours. Cette lettre anonyme est l’élément le plus grave de tous ceux que nous avons déposés, les magistrats ont donc estimé que cet élément était si grave qu’il n’avait as besoin de se référer aux autres griefs. »
Nous en avions en effet fait état dans ces colonnes, un mystérieux corbeau avait pris le soin d’écrire à la main des enveloppes contenant un courrier infamant à l’encontre d’un des colistiers de Pugny’cipales à quatre jours du second tour. « Malgré la plainte de mon colistier à la gendarmerie, malgré une enveloppe non ouverte sur laquelle des empreintes pouvaient être exploitables et qui finalement ne l’ont pas été, rien ne nous permet aujourd’hui de retrouver le corbeau », regrette Valérie Thuillier, « ce qui a été écrit est si violent, cela a brisé sa vie et j’étais là à ses côtés durant ces deux dernières années. Personne de l’équipe en place ne nous a aidés à retrouver ce corbeau, je ne veux accuser personne, la justice a été rendue concernant les élections et il faut maintenant la respecter, trouver le corbeau sera mon prochain combat. »
« A l’heure actuelle nous sommes les seuls sanctionnés sans que le corbeau ne soit identifié »
Accusant le coup, l’équipe municipale en place n’a pas énormément communiqué sur les réseaux sociaux au moment de l’annonce. Contacté le jour même par nos soins, le maire Bruno Crouzevialle nous avait simplement indiqué « avoir reçu le verdict du Conseil d’Etat hier soir (jeudi 14 avril, NDLR). Cette annulation est fondée sur la distribution quelques jours avant le second tour d’une lettre diffamatoire à l’encontre d’un des colistiers de l’autre liste, portant le discrédit sur cette élection. En la matière et dans la ligne droite de la jurisprudence sur ce sujet, le Conseil d’Etat a donc prononcé l’annulation du second tour. »
Conseillère municipale de son équipe, Valérie Willano, a également réagi sur notre page Facebook, « Ravie de voir tout ce petit monde qui se réjouit », écrit-elle. « Un grand bravo au corbeau (ne nous trompons pas d adversaire) qui a ce jour n à toujours pas été démasqué. bravo pour le mal (c’était certainement l’unique objectif) qu’il a fait dans cette commune dont les magnifiques paysages alimentent chaque jour les réseaux sociaux. Comme quoi il faut toujours se méfier des images trop parfaites.! Alors en tant que nouvelle ex-élue, oui j’exprime mon amertume à voir ce verdict (que je ne remets pas en cause vu la gravité des faits) tomber après deux années passées bénévolement à essayer d’apporter une petite pierre à l édifice collectif. Deux ans ou j’aurais finalement préféré donner 100% de mon temps à mes proches. Que de temps et d’énergie sacrifiée pour cela… »Tout ça pour ça « pour reprendre le titre d un illustre réalisateur français… Chaque jour, il se dit que certaines communes ne trouvent plus de candidats au poste de maire, et bien avec de telles décisions, ce seront les conseillers bénévoles qui renonceront et peut -être qu’à ce moment-là, il sera enfin temps de se poser la question de savoir si la démocratie sort grandie de ce type d événement et de procédure. Mon seul souhait pour l’avenir, connaître l’identité de ce corbeau qui a joué à faire et défaire la vie de dizaines de personnes… Cette expérience municipale sera pour moi la dernière et bon courage à ceux qui resteront ou se lanceront dans l’aventure » avait-elle conclu.
Trouver le corbeau et réorganiser le scrutin
« Il ne faut pas se tromper de victime », a relevé Valérie Thuillier, « il n’y a qu’une seule victime de ce corbeau, c’est notre colistier. Et ce n’est pas l’unique grief retenu par le Conseil d’Etat. On aurait aimé que les élus nous aident à retrouver le corbeau, qu’on accepte de nous recevoir, Je ne veux pas entrer en conflit, je veux que la vérité soit dite. » Des déclarations qui n’ont pas manqué de faire vivement réagir le maire sortant « Je tiens à préciser que Mme Thuillier ne nous a jamais sollicité pour la recevoir La seule fois que je l’ai reçue en Mairie, cela concernait un litige foncier sur l’accès à la parcelle d’un de ses voisins », nous a écrit ce 26 avril Bruno Crouzevialle, « par ailleurs, si son combat (qui est également le nôtre) doit se concentrer sur la découverte du corbeau, je n’arrive pas à faire le lien avec le fait de » remettre le droit au centre du village «, car à l’heure actuelle nous sommes les seuls sanctionnés sans que le corbeau ne soit identifié. La seule chose obtenue par Mme Thuillier reste la mise sous tutelle de notre commune, sans compter la perte de subventions, le retard dans les projets engagés, le discrédit porté sur les anciens élus, l’énergie et le temps passé à nous défendre que l’on aurait pu mettre au bénéfice de la commune… » a-t-il ajouté, avant de conclure : « Comme l’écrit si bien Mme Thuillier, c’est » dans le respect et la bienveillance des règles démocratiques et républicaines « que les Pugnerains seront appelés à retourner aux urnes en juin prochain, en espérant que d’ici là le corbeau sera démasqué et empêché de récidiver. » L’enquête reprendra-t-elle son cours ? Dans le cas contraire, il reste encore à la victime de ses propos diffamatoires l’option de la saisine d’un juge d’instruction, avec constitution de partie civile, avec dans son escarcelle, cette décision de poids.Quant à la suite électorale, c’est le Préfet qui devra en décider en ordonnant la réorganisation d’un scrutin à Pugny-Chatenod. « Après deux ans de mandat, il faudra donc revoter pour un mandat de quatre ans cette fois », exposait Bruno Crouzevialle, « la date sera fixée par le Préfet après la mise sous tutelle de la commune. » De l’aveu d’un habitant de la commune, les esprits sont loin d’être apaisés à Pugny-Chatenod, la tension est bien palpable, pour un si petit village. Affaire à suivre, donc.
* MISE A JOUR : le 26 avril, notre rédaction a reçu une demande de droit de réponse du maire sortant de Pugny-Chatenod, Bruno Crouzevialle, qui avait été contacté le jour même de la rédaction de cet article et dont la courte réponse avait à ce moment été reportée in extenso dans ces colonnes. L’article a donc été, depuis, mis à jour avec les nouvelles déclarations de Bruno Crouzevialle, en respect du principe du contradictoire.
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