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Présidentielle 2022 : Emmanuel Macron, président d’une République divisée

Par Jérôme Bois • Publié le 25/04/22

Verdict attendu, la Macronie a étiré son règne sur les cinq prochaines années dans un climat de défiance rarement connu. Avant même l’officialisation des résultats, le renouvellement du CDD d’Emmanuel Macron était-il délégitimé par une partie de la classe politique française, engluée dans une faille temporelle qui la maintenait encore 15 jours en arrière. Le président sortant rempile, la Savoie s’est fait l’écho du national en le validant à hauteur de 57,62% tandis que Marine Le Pen progresse avec 92 487 électeurs. Le monde n’a pas tout à fait changé, la tectonique des partis n’a pas abouti à de grands bouleversements, contrairement à ce que tous promettaient… A se demander si tout ce vacarme depuis six mois était bien nécessaire.

« Une moitié a voté pour Jacques Chirac, je le félicite pour cette victoire et je lui souhaite bonne chance » , « je souhaite au prochain président de la République d’accomplir sa mission auprès de tous les Français » , « je veux lui souhaiter bonne chance, au milieu des épreuves, ce sera difficile » , « mes vœux vont vers celui que les Français ont choisi pour être le premier d’entre eux » , « j’ai appelé M. Macron pour le féliciter de son élection et dans l’intérêt supérieur de notre pays, je lui ai souhaité de réussir ».

Les septennats et quinquennats se sont suivis, les candidats défaits portaient en eux, néanmoins, une forme d’élégance à l’endroit du vainqueur, de Lionel Jospin en 1995 à Ségolène Royal en 2007, de Nicolas Sarkozy en 2012 à Valéry Giscard d’Estaing en 1981, jusqu’à Marine Le Pen il y a 5 ans. La reconnaissance dans l’honneur d’une défaite n’était pas un renoncement mais renvoyait à la symbolique des duels d’antan, où le respect de l’adversaire prévalait sur l’issue du combat. L’an de grâce 2022 a dérogé à cette règle. Ce n’est pas la première fois qu’un candidat défait usait de formules alambiquées pour ne pas saluer son vainqueur, Jacques Chirac n’avait pas été d’une totale clarté en 88 dans ses vœux adressés à François Mitterrand au soir de son premier (et seul) échec lors d’une présidentielle. Mais jamais vaincue n’avait été aussi véhémente dans son propos à l’égard du vainqueur*. Autres temps, autres mœurs, l’inélégance globale qui a enveloppé cette lamentable campagne présidentielle a jailli jusque dans les discours d’une classe politique qui en a manqué. 

« Une part d’irrationnel » dans les attaques contre Emmanuel Macron

On savait le climat délétère, nos responsables politiques ont poussé d’un cran le niveau d’agressivité à l’égard de leur adversaire désigné. « Le plus mal élu » , selon Jean-Luc Mélenchon, seul homme politique capable de parler de 3e tour sans être passé par le deuxième, « nous avons échappé au pire du pire, il nous reste le pire » , chantait l’un de ses lieutenants, Clémentine Autain, « les amoureux de la France ont perdu » , selon Eric Zemmour, « il est minoritaire » , pour Alexis Corbière, tandis que Philippe Poutou tweetait des « Macron dégage » dès 20h dimanche… Quant à Nathalie Arthaud, elle soutenait qu’Emmanuel Macron, « larbin avéré des organismes financiers » , ne « nous a pas protégés de l’extrême droite » , coupable d’avoir « fait, tout au long de son quinquennat, des concessions à des forces réactionnaires ». Dans un grand geste théâtral, Jean Lassalle avait, quant à lui et un peu plus tôt, pris la salle de vote pour une tribune, au mépris du code électoral… Tout le monde en roue libre, comme dans un théâtre de Guignol… D’autres, comme Anne Hidalgo, préféraient adresser leurs « félicitations républicaines » au président élu quand certains se drapaient dans le silence, tel Yannick Jadot. La fonction présidentielle a sans doute perdu quelque chose de son éclat sur ces cinq dernières années, le premier personnage de France n’est plus un fédérateur et chacun y va de sa partition pour tenter de délégitimer un président élu au suffrage universel direct.

Du jamais vu ? Peut-être pas. Mais du rarement vu, ça oui. Quand de l’autre côté de l’Atlantique, des personnalités manifestaient leur soulagement, de Rob Reiner à Stephen King, quand des responsables politiques européens se félicitaient de cette victoire, la France, elle, du moins une partie, vomissait ses rancœurs. Emmanuel Macron serait l’homme le plus détesté de France, ce 25 avril, nous dit-on alors même qu’il vient d’être désigné par 18 779 641 électeurs**, un paradoxe si français… « Un triste spectacle » , commentait sobrement Christian Saint-André, « les anti-Macron sont méchamment anti-Macron, il y a une part d’irrationnel là-dedans ». Sa « grande satisfaction » était, de fait, quelque peu atténuée par la prédominance, dans les médias, de ces farouches opposants qui promettent pis que pendre au président réélu. « Dans un contexte de gravité et de montée des extrêmes » , il va falloir rassembler. Pour lui, il s’agissait « de la fin du front républicain » confronté à « l’enracinement des extrêmes » , Marine Le Pen a en effet gagné du terrain dans les cœurs (bien qu’elle ait été battue… par l’abstention***) et les esprits, jusqu’en Savoie où son score est sans commune mesure avec celui de 2017. En effet, entre le 7 mai 2017 et le 24 avril 2022, la candidate du Rassemblement national a gagné 18 889 électeurs tandis qu’Emmanuel Macron en perdait 9 348. Certes, la différence générale est toujours largement en faveur du président mais les écarts s’amenuisent (de 64,74 à 57,62% pour l’un, de 35,26 à 42,38% pour l’autre), le front républicain n’est plus devenu qu’un glorieux fragment de notre histoire, aujourd’hui fossilisé. Ainsi, le parti radical se fendait d’un communiqué pour le moins nuancé sitôt les résultats connus : « Aujourd’hui, face au risque de l’autoritarisme, la République l’a emporté. Les Français ont défendu les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité, qui font la grandeur de notre pays. Mais l’augmentation de l’abstention et la poussée des votes extrémistes nécessiteront, dans les prochains mois, de donner davantage de pouvoir à nos concitoyens, de leur garantir une société plus juste et de lutter sans merci pour préserver notre planète ».

« Marine Le Pen a levé un espoir »

Même tonalité chez Horizons qui rappelait par les voix de Jean-Claude Croze et de Philippe Cordier que ce résultat « n’était pas un blanc-seing adressé à Emmanuel Macron ». « Après de longs mois de crise Covid qui ont fragilisé l’économie, la crise ukrainienne a des conséquences graves qui s’inscriront dans la durée. La question du pouvoir d’achat dans un contexte inflationniste, la souveraineté alimentaire, la crise énergétique fragiliseront de nombreux ménages ». Du grain à moudre pour le locataire de l’Elysée. A gauche, de Florian Penaroyas à Jean-Benoît Cerino, le soulagement n’était que de façade : certes, l’extrême-droite était restée à quai, mais l’impression générale avait un arrière goût âcre. 

Forcément, un tel message des urnes ne pouvait être que porteur d’espoir pour Brice Bernard, délégué départemental du RN et candidat sur la 2e circonscription, et ses équipes, déjà ouverts sur les législatives. « Marine Le Pen a levé un espoir, a su mobiliser, notamment auprès de la France des oubliés. Nous sommes, durant cette campagne, sortis des grands meetings pour aller sur le terrain ». Une réussite entamée par « les journalistes » , coupables selon Marie Dauchy, conseillère régionale et candidate sur la 3e circonscription, d’avoir contribué à « cette campagne clairement délétère » , ces mêmes journalistes qui ont agi « contre le peuple ». Un grief également en adressé à la gauche. « Nos pensées vont vers les pauvres, les étudiants, les soignants qui ont été suspendus et tous les oubliés, nous disons que la France Insoumise s’est faite la complice de ce bilan alors qu’ils avaient la possibilité de dire stop à Macron ». Les mouvements de plaques n’auront donc pas occasionné autant de séismes qu’imaginé il y a quelques semaines encore, trois blocs ont survécu à 2017, la REM, le RN et l’abstention, deuxième force du pays sur ce second tour. Alors que la promesse d’un renversement total était brandi par bon nombre de candidats, on retrouve les mêmes, à ceci près que le RN est bien mieux sur ses appuis et que les Français sont plus que jamais divisés, unis seulement dans la détestation de leurs ennemis.

Reste alors à lancer la course à la députation. En Savoie, le RN sera pourvu sur chacune des circonscriptions tandis que la majorité présidentielle, si elle a déjà laissé filtrer des noms, s’est tournée vers une nouvelle approche, l’appel à candidatures. Sans passe droit ni gentleman agreement, car « j’ai entendu pendant 5 ans des attaques d’une grande violence contre Emmanuel Macron, je ne pense pas, par conséquent, qu’il soit imaginable de trouver des arrangements avec d’autres candidats » , révélait Christian Saint-André. La vague de 2017 est passée, les défaites se sont enchaînées depuis jusqu’à ce 24 avril. Désormais, tout est ouvert. « Nous nous orientons vers des candidatures communes, c’est la base, sans volonté d’hégémonie » , indiquait Florian Penaroyas, représentant local du PCF. Dans une campagne qu’il espère positive. « Fabien Roussel a proposé un projet positif parce qu’une campagne anxiogène, ce n’est pas la meilleure technique pour rassembler, on l’a vu avec certaines forces qui n’ont cessé de l’être. On doit réenchanter la politique ». Ce qui au vu du spectacle proposé depuis l’automne dernier paraît improbable.Vous étiez soulagé de la fin de cette calamiteuse campagne électorale où l’on a recensé de grands absents dont l’écologie, la condition animale, la jeunesse ou l’enseignement ? Pas de chance, vous risquez d’en reprendre pour deux mois !

 

* « Ce résultat témoigne d’une grande défiance des Français envers les institutions françaises et européennes. (…) Nous les protégerons face au délitement du système social, face au recul de l’âge de la retraite, face au laxisme judiciaire, à l’immigration anarchique. Emmanuel Macron ne fera rien pour réparer les fractures du pays (…) Les Français manifestent ce soir le souhait d’un contre-pouvoir fort à celui d’Emmanuel Macron. » 

 

** Un total qui comprend autant les macronistes convaincus que les électeurs qui ont fait barrage à Marine Le Pen.

 

*** L’abstention à l’échelle nationale s’élève à 28,01% soit 13 656 109 électeurs, quand Marine Le Pen en a rassemblé 13 297 760 sous son nom.

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