Si, sur la forme, les débats politiques peuvent se discuter – quand ils ne sont que bruyantes et vaines invectives -, sur le fond, ils sont encore peu discutables. On en a besoin et puis on aime ça. Ils facilitent le jugement moral, ils éduquent le profane à la chose publique et permettent d’affiner un positionnement. Et c’est encore la seule façon que l’on ait trouvé pour confronter des adversaires politiques entre eux. Qu’ils soient respectueux, indignes, agressifs, cacophoniques, les débats contradictoires sont notre façon d’aborder les grands thèmes nationaux. Soyons honnêtes, bien souvent, on ouvre le débat, on ne le referme pas…
Aujourd’hui, il est surtout l’arbre où l’on viendra cueillir les bonnes phrases, les attitudes et les tendances qui feront la gourmandise des chaînes infos pendant plusieurs jours. Le dernier débat présidentiel entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen avait ainsi accouché d’une étude de fond sur les attitudes comportementales du premier. Profond.
Au Scarabée, lundi 6 juin, l’association « Tous élus » avait prévenu, on allait changer la méthode ! Finis les face-à-face ou les matches à 4. On allait se la jouer speed dating, pour ceux à qui ça parle. Une dizaine de minutes par table pour chacun des dix candidats sur la 4e circo présents, confrontés à des habitants, un peu, à des militants le plus souvent – et c’est bien malheureux. Tous se sont montrés satisfaits de cet exercice de séduction express. Tous ou presque, la candidate de Lutte Ouvrière pour qui le concept de débat semble encore obscur, a tenu une poignée de minutes seulement. Agacée, en plein milieu d’exercice, de devoir composer avec les remarques, les questions de personnes lambda et de militants RN, de Zemmour, des LR, Marie Ducruet quitta la salle d’un pas ferme, la mine des mauvais soirs et auréolée d’éclairs. « Je suis partie de ce traquenard : devoir discuter ‘en bienveillance’ et ‘sans jugement’ avec les militants de Zemmour, Le Pen, Macron et Cie, c’est pas mon truc ! On n’est pas dans le même camp. La vraie vie, c’est la lutte des classes, le nier c’est finir K.O » , écrivait-elle dans un tweet rageur. L’intéressée aurait pu préciser que la seule vie, c’est la lutte des classes et que toute autre raison d’être… ne saurait être. Il est vrai que le discours made in LO ne brille jamais par sa variété et ne s’embarrasse guère de nuances. Combien de fois, lors de la présentation des quatre binômes savoyards avions-nous entendu les mots « lutte », « ouvrier », « combat »… Si ce n’est pas un programme, ça. Pour le reste, par contre, l’économie, l’environnement, le social, on repassera.
Ce n’était pas tout ! Car avant même la tenue de ce rendez-vous, qui a drainé une bonne centaine de personnes tout de même, certaines voix s’étaient déjà élevées pour qualifier l’intolérable laisser-aller qui allait s’opérer. « C’est dommage d’inviter les fachos, cela normalise et valide leurs idées et c’est exactement ce qu’ils cherchent » , écrivait ainsi le représentant local du NPA Laurent Ripart. « Tout à fait d’accord, on ne débat pas avec les fachos. On les combats, point » , abondait un fan. « Oh la là je n’avais pas saisi que tout l’aéropage serait présent y compris RN et quelques autres ! Le genre de bons sentiments qui mène à la confusion ! Merci Laurent d’avoir une fois de plus été attentif » , ajouta une dame bien compatissante. Parce que c’est bien connu, pour combattre, le mieux est encore de refuser le combat. Et puis le terme « facho » doit être à la mode, le plus souvent utilisé comme argument par ceux qui n’en ont pas.
Heureusement, le pied sur l’embrayage, un militant bien connu du microcosme chambérien rétorqua : « Je pense qu’il faut combattre dans le débat public et sur tous les fronts les idées nauséabondes de l’extrême droite qui, malheureusement, prospèrent sur la crise de la démocratie et l’inquiétude légitime du futur que certains nous préparent ». Ce à quoi une autre internaute répondit : « Moi, je ne ferais pas un débat où il se trouve le FN (sic). Je ne débats pas avec des fascistes ». C’est mal se souvenir que la diabolisation par l’invisibilisation des idées d’extrême-droite n’ont conduit qu’à leur épanouissement. En refusant de jouter face à Jean-Marie Le Pen, en 2002, Jacques Chirac avait certes remporté une victoire qui ne pouvait pas lui échapper, mais le FN puis le RN n’en sont sortis, après quelques années de remise en question, que plus forts, avec deux finales à la clé, 15 et 20 ans après. Même Patrick Mignola, pour en revenir à notre terroir, avait dit, voici quelques mois que « le RN s’affrontait à l’Assemblée » et que l’invisibiliser ne le rendrait que plus fort. Alors me revient cette citation attribuée à John Stuart Mill : « Ne laissez personne apaiser sa conscience en lui faisant croire qu’il ne peut faire de mal s’il ne participe pas, et ne donne pas son avis. Les hommes méchants n’ont besoin de rien de plus pour parvenir à leur fin, que d’hommes bons qui contemplent sans intervenir ». Ils ont l’air nombreux à regarder le paysage, par les temps qui courent…
« Un débat politique, c’est un duel de cape et d’épée » , avait dit l’artiste peintre Chantal Blanchet. Mais dans leur monde sans adversaire, le bretteur doit se sentir bien seul…
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