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La gazette du festival : André Dussollier, le temps suspendu
Par Jérôme Bois • Publié le 27/06/22
Il n’a suffi que d’une petite heure pour mesurer l’immensité du personnage qui se présentait face à nous. L’Annécien de 76 ans devait recevoir son AIXcellence d’honneur des mains du parrain du festival, François Berléand, avec qui il n’a jamais tourné mais dont les destins sont étroitement liés. S’il ignorait tout ou presque de la cérémonie à venir, André Dussollier n’en demeurait pas moins fidèle à sa réputation d’homme simple, gentil, volubile. Mieux, jamais il ne vous contemple du haut de ses presque 50 ans de carrière et privilégie l’anecdote légère, les souvenirs de tournage ou d’une jeunesse passée à Cruseilles, en Haute-Savoie, pour rompre la glace devant un parterre de journalistes forcément séduits.
Le Golden Tulip d’Aix-les-Bains baignait alors dans une atmosphère étrange : un hall d’accueil déserté, peu de vie aux alentours et au loin, dans la grande salle de l’hôtel, de la musique, pas la meilleure mais festive. Un mariage se tenait là, à portée d’oreilles, Francky Vincent fredonnait l’un des titres dont il a le secret, un morceau au verbe… audacieux. Arrivé une poignée de minutes plus tôt, l’acteur s’interrompt, gêné de la situation, « euh, il est possible de baisser le son, s’il vous plaît ? » Il est vrai qu’en matière de comité d’accueil, le chanteur antillais n’est pas à proprement parler une promesse aux charmes d’un entretien ciné…
« Je trouve ça fou de créer un festival de cinéma dans cette période… »
Le lieu n’était toutefois pas sans évoquer certains souvenirs à l’acteur, ceux de ses différents tournages avec sa complice, Catherine Frot, sur la trilogie de Pascal Thomas*. Il évoque aussi ces montagnes, le lac d’azur… « C’est le cinéma qui m’a amené ici » , dit-il, évoquant « une région qui a beaucoup aidé le cinéma. J’ai découvert Aix grâce à Pascal Thomas ». Aix, à quelques kilomètres de Cruseilles, là où André Dussollier, le natif d’Annecy, a grandi, Annecy où avait été tourné « le Genou de Claire », d’Eric Rohmer, non loin du plateau d’Assy, où le réalisateur de « Mon petit doigt m’a dit » était allé en soins… Tout s’imbrique. « Les Savoie sont un lieu propice pour la caméra notamment pour les films de crimes. L’ambiance y est calme, comme apaisée et j’étais surpris qu’il n’y ait jamais eu de festival avant ». On lui apprend alors que « la Nuit du 12 », de Dominik Moll, meilleur film selon le public de ce festival, ex-aequo avec « Citoyen d’honneur », avait été tourné à Saint-Jean-de-Maurienne, et que des « Rivières Pourpres » à « Possession », le film de l’affaire Flactif, on ne compte les péloches sur des affaires policières par chez nous… Ses souvenirs d’ici sont aussi ceux d’une époque (presque) révolue : « J’ai connu un train qui partait d’Annecy à 22h30 pour Paris, arrivée à 6h30. Il s’arrêtait à Rumilly, Culoz… Et dans ce train, il y avait, pour occuper le temps, une salle de cinéma ». Autre temps, autres mœurs, le ciné se consomme à domicile, « les films ne mettent que 4 mois à sortir en VOD. Le cinéma est dans une période délicate, ça perturbe son financement. Maintenant, vous ne produisez que des films à petit budget – pas plus de 3 millions d’euros – ou des gros budgets, à 10 millions. Les films » du milieu « ne rentrent plus dans leurs frais. Je trouve ça fou, en réalité, de créer un festival de cinéma dans cette période incertaine. C’est un bon signe, toute occasion est bonne pour mettre le cinéma en lumière ».
De Truffaud à Ozon, 50 ans de carrière
André Dussollier avait été séduit par Aix, il ne l’a pas moins été par le fait que sur le festival, c’est le public qui était mis à contribution. « Quand Pierre de Gardebosc et Valérie Thuillier m’ont appelé, j’ai accepté » , explique-t-il alors qu’il s’apprête à enchaîner avec la présidence du jury du festival d’Angoulême, fin août. « Un jury, c’est tellement la bagarre… C’est très compliqué. Là, c’est démocratique, sincère alors que nous vivons trop en vase clos, dans ce milieu. Certes, le public aura un avis moins technique mais pas moins sincère ». « Citoyen d’honneur » et « la Nuit du 12 » ont ainsi été récompensés, tout comme « Je joue Rodrigue » de Johann Dionnet, également acteur chez Dominik Moll… Le public a eu le nez creux. L’acteur, lui, parle de François Ozon, également en compétition avec « Peter von Kant », un réal’ qu’il connaît bien pour avoir joué récemment devant sa caméra. « J’ai fait un film avec lui l’an dernier, ‘Tout s’est bien passé’ avec Sophie Marceau, un film que personne n’a vu, parce que le thème était sans doute trop dérangeant ».
Il y est question de la fin de vie volontaire. « C’est un film très important pour moi, l’histoire d’un homme victime d’un AVC et qui demande à ses filles de l’aider à mourir. Un rôle de composition, émouvant et drôle, une histoire vraie » … et profondément d’actualité. Le ton se fait plus grave, tant le sujet n’est pas simple à appréhender et c’est alors qu’apparaît Antoine Duléry, qui logeait à l’hôtel. Evidemment, l’imitacteur ne put s’empêcher de lui tomber dans les bras et d’en faire des tonnes, comme à chacune de ses apparitions durant ce festival. La bonne humeur a ceci d’exaltant qu’elle est communicative et la sobriété de l’un tranche avec l’excentricité de l’autre.
On en revient à ses débuts, d’abord chez François Truffaud pour « Une belle fille comme moi » (1972) puis « Toute une vie » de Claude Lellouch (1974) puis tant d’autres, jusqu’au climax de « trois hommes et un couffin », de Coline Serreau (1985), « le film qui a tout déclenché ». On lui parle de quelques rôles marquants, dont le moins visuel d’entre tous, la voix off d’Amélie Poulain (2001), de Jean-Pierre Jeunet, qui mérite quelque explication tant elle est indissociable de l’histoire. Un personnage à part entière : « Ils cherchaient une voix mais ne la trouvaient pas. Parallèlement, je tournais un film de Jean Becker et ils m’ont essayé. J’avais fait pas mal de voix off avant, j’ai enregistré pas mal de romans, pour des radios notamment, j’aime assez. Il y a une citation que j’aime, d’Orson Welles, ‘L’avantage de la radio sur le cinéma, c’est qu’à la radio l’écran est plus large.’ Quand on écoute la radio, on est actif, concentré, j’y ai toujours été sensible ». Acteur tout terrain, André Dussollier s’épanouit dans la diversité, « j’aime ne pas être dans une seule couleur même si j’apprécie la comédie. Faire rire, c’est palpable, la réaction est immédiate ». On attend l’homme aux 50 ans de carrière fin 2022 dans « le Torrent », d’Anne le Ny et en 2023 dans « Madeleine » de François Ozon. Jamais rassasié malgré ses quelque 140 pellicules au compteur. Géant, c’est le mot…
* Pascal Thomas a réalisé la trilogie tirée des romans d’Agatha Christie « Mon petit doigt m’a dit… » (2005), « le crime est notre affaire » (2008) et « Associés contre le crime » (2012).
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